Marguerite Abouet : « Yopougon n’est plus le petit quartier que j’ai connu dans mon enfance »

Avec la série « Aya de Yopougon » réalisée avec le dessinateur Clément Oubrerie, la scénariste a donné une notoriété mondiale au quartier d’Abidjan et s’est fait un nom dans le monde de la bande dessinée. Quel regard porte-t-elle sur la ville qu’elle a quittée à l’âge de 12 ans ?

Marguerite Abouet © Patrick Gaillardin / Hans Lucas

eva sauphie

Publié le 30 septembre 2022 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Est-ce que les habitants du quartier se sont appropriés Aya ?

Marguerite Abouet : Ils vivent Aya ! Je suis souvent sur place, à Yopougon. Quand je me présente anonymement, tout le monde s’en moque. Mais lorsqu’ils apprennent que je suis la scénariste d’Aya, les gens me sautent dessus. On me souffle même des idées. Les Ivoiriens sont super fiers car cette BD est connue dans le monde entier : en France, au Canada, au Brésil, au Sri Lanka, et même en Asie du Sud. Ce personnage fait vraiment école. C’est une ambassadrice, car elle fait des études et veut réussir. Aya est un personnage de fiction qui ne l’est plus.

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Couverture de l’album « Aya de Yopougon » © DR

Couverture de l’album « Aya de Yopougon » © DR

Quels changements majeurs du quartier de Yopougon avez-vous observé en 50 ans ?

Yopougon n’est plus ce petit quartier ouvert, aéré et propre que j’ai connu dans mon enfance, dans les années 1970. La classe juste n’existe plus. Je ne parle pas de la classe moyenne, mais de celle dont les enfants ne manquaient de rien et mangeaient trois fois par jour. Ceux-là avaient au moins un de leur deux parents qui travaillait, et ils partaient en vacances au village, chez les grands-parents. Aujourd’hui, ces parents n’ont pas de retraite et doivent installer des baraquements de fortune devant leur maison pour vendre tout et n’importe quoi. Ils vivent avec leurs enfants et petits-enfants. Des pièces ont été ajoutées à la maison avec les moyens du bord pour accueillir tout le monde. Tout ceci change la physionomie du quartier.

Qu’est-ce que cette paupérisation traduit-elle selon vous ?

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Que le pays régresse. Une grande partie de la population est marquée par la guerre civile, et c’est celle-ci qui vit dans les bas-fonds de la ville minés par des trafics en tout genre : drogue, amours tarifés… Les gens vivent dans la pauvreté et doivent choisir les enfants qui iront à l’école, en général les petits garçons. Les enfants des rues, que l’on appelle “les microbes”, disparaissent puisqu’ils sont tués et abandonnés. On ne s’est jamais intéressé à eux. On aurait pu les former et les remettre sur le droit chemin.

Qu’en est-il plus largement de l’évolution d’Abidjan et de ses infrastructures ?

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Comme toutes les grandes villes, Abidjan s’étend de plus en plus. Et pas forcément dans le bon sens. Il y a plus de 200 ghettos en Côte d’Ivoire, qui ont été installés en plein cœur d’Abidjan, notamment dans les quartiers chics comme Cocody. Ça vous change une ville. On construit de beaux échangeurs et de jolis ponts, mais la population est lésée. Dès Houphouët, on a vu le petit plateau se créer, ce “petit Manhattan” bien industrialisé, mis à cet emplacement pour ce soit la première chose que les étrangers voient en arrivant à Abidjan. C’était magique à l’époque.

 © DR

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Or aujourd’hui, ce n’est pas possible de laisser vivre les gens dans ces conditions, où les réseaux de criminalités, comme les narcotrafics venus du Niger et du Maroc, sont puissants. De petites associations existent pour venir en aide aux enfants délaissés des ghettos, qui sont drogués la plupart du temps et commettent des larcins, mais celles-ci sont dépassées par la situation. Abidjan est une grosse mégalopole, mais son taux de croissance profite à certains et ne freine pas les activités criminelles.

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