Marcolino Moco : « João Lourenço va devoir gouverner malgré une illégitimité visible »

L’ACTU VUE PAR… Chaque semaine, Jeune Afrique invite une personnalité à décrypter un sujet d’actualité. L’ancien Premier ministre angolais, figure du parti présidentiel devenu soutien de l’opposition, explique les défis qui attendent João Lourenço après les élections du 24 août.

Marcolino Moco, ancien Premier ministre et actuel directeur non exécutif de la compagnie pétrolière d’Etat Sonangol, dans sa résidence à Luanda. © Bruno Fonseca

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Publié le 3 septembre 2022 Lecture : 6 minutes.

Pour le parti présidentiel de João Lourenço, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), l’affaire est pliée. Il a remporté les élections générales du 24 août en récoltant 51 % des suffrages, selon les résultats définitifs communiqués le 29 août par la Commission nationale électorale (CNE). Pour les autres, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), principale force d’opposition dirigée par Adalberto Costa Júnior, d’autres formations politiques, plus d’une vingtaine d’associations et un certain nombre d’Angolais, cette victoire a été « volée » à l’Unita.

Le parti, dénonçant un scrutin marqué par les illégalités, a déposé le 1er septembre un recours demandant son annulation auprès du Tribunal constitutionnel. Et cela malgré sa percée inédite avec 44 % des votes et la victoire dans trois provinces sur les dix-huit que compte le pays, dont la capitale Luanda. Ancien Premier ministre (1992-1996) et figure historique du MPLA, Marcolino Moco est un observateur averti de la vie politique angolaise. Alors que ses prises de positions, souvent critiques, lui ont souvent valu d’être mis au ban de son propre camp, il est allé encore plus loin en annonçant, quelques jours avant les élections, son soutien à Adalberto Costa Júnior, seul candidat à même de construire un « État inclusif », selon lui. C’est avec son franc-parler habituel qu’il analyse pour Jeune Afrique le rapport de force entre pouvoir et opposition.

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Jeune Afrique : Si les élections générales du 24 août se sont déroulées dans le calme, la période post-électorale est marquée par des tensions. Que traduisent-elles ?

Marcolino Moco : Malgré l’annonce des résultats définitifs et la célébration par le MPLA de sa réussite, on ne peut parler que d’une victoire forcée de João Lourenço. D’une part, les caravanes fêtant le succès de son parti n’ont pas croulé sous le nombre de participants et elles ont, dans plusieurs villes du pays, déclenché les huées des habitants sur leur passage. D’autre part, après le dépôt de réclamations auprès de la CNE, il y a maintenant un recours au niveau du Tribunal constitutionnel demandant l’annulation des élections. Cela témoigne du manque de crédibilité du scrutin et de l’absence de confiance dans les institutions qui, loin d’être objectives, sont en réalité à la solde de l’exécutif.

La majorité de la population ne croit pas aux résultats officiels

Le MPLA met en avant le sérieux du processus, la composition multipartite de la CNE et la reconnaissance des résultats par nombre d’acteurs de la communauté internationale…

Il y a bien un certain soutien du parti au pouvoir au niveau international : des félicitations adressées à Lourenço pour sa réélection, la reconnaissance de l’implication des Angolais dans le processus, le déroulement du jour de vote sans heurt ni problème majeur. Mais cela ne va pas jusqu’au blanc-seing.

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Les rapports préliminaires de plusieurs institutions – l’Union africaine, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) – déplorent tous plusieurs faiblesses, exposées par l’Unita : des médias publics acquis au MPLA, un fichier électoral problématique, le manque de transparence du processus électoral. L’Union européenne a appelé à ce qu’une réponse soit apportée de façon juste et transparente aux contestations, quand les États-Unis plaident pour la résolution des recours dans le respect de la loi.

Quant à l’argument du sérieux de ces élections porté par le MPLA, il s’écroule face à une donnée : le taux d’abstention record, 54 %, qui témoigne d’un sentiment dominant dans la société, celui d’avoir assisté à un sabotage. Il suffit de sortir dans la rue, de regarder les réseaux sociaux, d’écouter la jeunesse pour comprendre que la majorité de la population ne croit pas aux résultats officiels, preuve d’un système démocratique ruiné.

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Malgré tout, on s’achemine vers un deuxième mandat pour le président Lourenço. Quel est le principal défi qu’il aura à relever ?

Il se trouve dans une situation très compliquée : gouverner avec une illégitimité visible. À cette difficulté de taille, s’ajoutent plusieurs obstacles : il doit composer avec un contexte socio-économique de crise, contrer son impopularité croissante et enrayer la fragilisation de son socle de soutien traditionnel.

Plusieurs signaux ne trompent pas. À Luanda, le MPLA a perdu face à l’Unita même dans le bureau de vote du président. Au sein des forces armées, de sécurité et de la police, l’adhésion n’est plus aussi incontestable que par le passé. Dernier indicateur, tiré de mon expérience personnelle : après ma vidéo de soutien à Adalberto Costa Júnior, j’ai reçu des appels de membres du MPLA appuyant ma position. Même si ces personnes n’ont in fine pas voté contre le MPLA, elles n’ont pas non plus voté pour lui. Que feront-elles en 2027 lors des prochaines élections générales ?

Dans ce cadre, je ne vois que deux issues pour le président Lourenço : soit il intensifie les mécanismes de violence contre la population, ce qui serait désastreux ; soit il engage un processus de pacification permettant de répondre aux attentes sociales.

Vous n’êtes pas le seul à dire que le MPLA doit engager une réforme et revoir son mode de gouvernance. Le parti est-il capable de mener ce changement ?

C’est imprévisible. Sur le papier, bien sûr que le parti dispose des moyens de se réformer. Dans la pratique et au regard de son histoire, force est de constater qu’il a tendance à contrer violemment les voix critiques ou portant des idées nouvelles. Une chose est sûre, il faudra beaucoup de courage en interne pour mener une réforme.

L’issue passe par la fin du système de parti-État qui donne tous les pouvoirs au président

À son arrivée au pouvoir en 2017, João Lourenço a un temps opté pour la méthode forte en déclarant la guerre à la corruption et au népotisme, appelant à faire fi des errements du passé. Depuis, l’approche est plus modérée. Le changement dans la continuité, est-ce la solution ?

Ce discours de rupture suivi du retour en force au système de l’ancien président José Eduardo dos Santos a contribué à la chute de popularité de l’actuel chef de l’État. Ce revirement donne l’image d’une gouvernance qui avance à l’aveugle, sans ligne directrice, et d’un président qui décide seul sur tous les sujets dans une grande arrogance.

Le bilan du premier mandat de Lourenço est amer : alors que l’on pensait avoir touché le fond durant les dernières années au pouvoir de son prédécesseur, on est tombé encore plus bas avec lui. D’où la difficulté de prévoir la suite. Quelle que soit l’évolution, l’issue passe par la fin du système de parti-État qui donne tous les pouvoirs au président et par la construction d’un mode de gouvernance plus ouvert.

On a assisté le week-end dernier aux funérailles de l’ancien président dos Santos. Cela a-t-il aidé le camp présidentiel ?

Ces funérailles ont été l’occasion de rappeler que José Eduardo dos Santos, malgré tous les écueils de son mandat, a su laisser le pouvoir d’une façon pacifique, ce qui l’a partiellement réhabilité. Il est encore tôt mais, sachant que João Lourenço sera lui jugé sur sa capacité à mener les réformes dont le pays a besoin, j’ai le sentiment que l’histoire sera beaucoup plus sévère avec lui qu’avec son prédécesseur.

L’opposition doit aussi se consolider en assurant le maintien de son unité, la mobilisation de ses militants et sa modernisation. Est-elle en bonne voie ?

Dans l’immédiat, la difficulté pour elle consiste à faire entendre sa voix dans un pays où la majorité des institutions est contrôlée par le pouvoir. Ce qui signifie éviter que les représailles menées par l’exécutif contre ses militants ne découragent le soutien populaire.

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