Gabon – Raymond Ndong Sima : « Le cap est tenu, même si l’on ne va pas à la vitesse souhaitée »

Les progrès, les retards, ce qui le satisfait, ce qui le hérisse… Le Premier ministre gabonais, Raymond Ndong Sima, s’explique.

Pragmatique, Raymond Ndong Sima veut remettre l’administration en ordre de marche. © Xavier Bourgois/JA

Pragmatique, Raymond Ndong Sima veut remettre l’administration en ordre de marche. © Xavier Bourgois/JA

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Publié le 25 avril 2013 Lecture : 8 minutes.

Le Gabon change-t-il vraiment ?
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Le Gabon change-t-il vraiment ?

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Il est connu pour son humeur badine. Mais derrière son éternel sourire, Raymond Ndong Sima garde l’esprit tranchant, surtout sur les questions économiques. Cet ancien patron du privé, qui a aussi excellé dans la restructuration des sociétés publiques en difficulté, a intégré le gouvernement en 2009, au portefeuille de l’Agriculture, avant d’être nommé Premier ministre du Gabon le 27 février 2012. Dirigeant d’entreprise, il taillait dans le vif et appliquait les bonnes recettes libérales. Chef du gouvernement, il doit affronter les crocodiles du marigot librevillois, les conservatismes et les pesanteurs administratives, qui retardent les réformes et font traîner certains projets. Explication de texte. 

Jeune Afrique : Est-ce que le tandem exécutif que vous formez depuis plus de un an avec Ali Bongo Ondimba marche bien ?

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Raymond Ndong Sima : De mon point de vue, nos rapports sont très bons. Mais c’est à lui qu’il faut poser la question, c’est lui qui a été élu par les Gabonais et qui est donc l’autorité suprême. 

Et qu’est-ce qui a changé depuis son investiture ?

Le cap et l’échéance ont été fixés. Il est bon d’essayer de s’y tenir, en corrigeant la trajectoire au fur et à mesure

Des changements sont visibles, mais c’est d’abord une perspective qui s’est précisée. Il y a bien sûr des sceptiques, des impatients, ceux qui regardent leur bulletin de salaire et se disent que rien n’a changé. Mais, depuis 2009, une vision est mise en oeuvre avec pour objectif l’émergence en 2025 : le cap et l’échéance ont été fixés. Il est bon d’essayer de s’y tenir, en corrigeant la trajectoire au fur et à mesure. 

La trajectoire actuelle est-elle la bonne ?

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Absolument, même si l’on ne va peut-être pas à la vitesse souhaitée. Nous avons hérité d’un ensemble de dysfonctionnements apparus ces trente dernières années, que nous nous employons à corriger, mais le cap est tenu car nous faisons un travail de fond.

Pour ne prendre qu’un exemple, nous souhaitons augmenter nos capacités de transformation de manganèse, ce qui requiert une grande quantité d’électricité. Or nous avons hérité d’un déficit énergétique. Le chantier en cours du barrage hydroélectrique de Poubara III est quasiment fini, et sa puissance [160 MW en phase de démarrage, 280 MW à terme, NDLR] va rendre cela possible. Par ailleurs nous avons corrigé la situation administrative de milliers de fonctionnaires, ce qui était essentiel, car je suis convaincu qu’on ne peut arriver à rien si l’on ne remet pas d’abord en ordre de marche l’appareil administratif. Donc, globalement, nous allons dans le sens des objectifs fixés. 

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Mais les difficultés d’accès au logement, à l’eau, à l’électricité sont toujours bien présentes…

C’est vrai, certains dossiers ont pris du retard. En particulier la construction des logements sociaux sur laquelle la plupart des critiques se focalisent. On reproche au gouvernement de ne pas avoir tenu ses objectifs, mais il faut examiner ce dossier avec un certain recul. Ces dernières décennies, il y a eu un dérèglement complet du système de gestion foncière de l’État et, pour construire, il faut « déguerpir » l’habitat anarchique. Donc, aujourd’hui, on doit régler plusieurs problèmes, et non des moindres, en même temps : récupérer des espaces occupés par des bidonvilles pour les rendre disponibles, ce qui fait perdre un temps considérable ; régler les problèmes juridiques résultant de ces expropriations… Si on avait voulu y aller par la force, ce qui n’est pas notre méthode, nous aurions eu de fortes protestations, préjudiciables au climat social. Toujours est-il que d’ici à la fin de cette année, la construction des logements sociaux va s’accélérer. 

Et pour l’électricité ?

Une centrale a été construite près de Libreville, principalement pour alimenter la zone économique de Nkok. Les essais de production ont commencé, et elle va être mise en service dans les semaines à venir. Ce qui va permettre de renforcer les capacités de la centrale de la Seeg et de venir à bout des coupures d’électricité, très mal vécues par les ménages comme par les entreprises. 

Quelle est votre politique pour l’emploi, en particulier celui des jeunes ?

C’est un problème délicat. Lisez les annonces : un agro-industriel [Siat, ex-Hévégab, dont Ndong Sima a été le DG pendant quatre ans] qui possède des plantations d’hévéas a besoin de six mille ouvriers. Ce sont des emplois manuels. Or nous avons poussé nos enfants à choisir des filières d’enseignement général qui ne correspondent pas à la demande actuelle du marché du travail. Ce qui est vrai pour la Siat l’est pour le programme Palmier développé par un autre opérateur [Olam Gabon]. Et si vous prenez le bassin d’emploi de Port-Gentil, vous verrez que beaucoup d’employeurs se plaignent de ne pas avoir la main-d’oeuvre qualifiée dont ils ont besoin, notamment pour la conduite des engins lourds.

Comme beaucoup de pays, nous avons un problème d’adaptation entre les offres d’emploi et les aspirations des jeunes. C’est l’un des enjeux des états généraux de l’éducation que nous avons organisés en 2010. Leurs conclusions ont fait l’objet d’une loi d’orientation, en 2011, qui va commencer à être mise en oeuvre. 

L’État a beaucoup recruté, n’est-ce pas risqué pour l’équilibre du budget ?

Pouvait-on agir autrement sans accroître le désarroi et le mécontentement populaire ?

De 2010 à 2012, nous avons recruté 15 000 fonctionnaires, ce qui a accru les effectifs de 25 %. Ces recrutements étaient en phase avec l’idée que le président se fait du partage de la richesse nationale. Nous avions le choix entre revaloriser les salaires individuels de ceux qui travaillent déjà ou élargir le nombre de personnes accédant à un revenu en maintenant en l’état le niveau de rémunération des anciens agents publics. Nous avons choisi cette seconde solution. C’était nécessaire parce que le marché du travail n’absorbait pas en nombre suffisant les personnes en recherche d’emploi. Est-ce un risque en cas de baisse des recettes ? Oui, certainement. Mais pouvait-on agir autrement sans accroître le désarroi et le mécontentement populaire ? Si de telles baisses survenaient, un effort collectif serait demandé, à tous. 

Pourquoi y a-t-il autant de tensions avec les salariés du public ?

Les syndicats font des demandes qui nous semblent difficiles à satisfaire. Dans un souci de transparence, le gouvernement a déclaré que les indicateurs économiques étaient au vert. Alors les salariés du public ont décidé qu’il était temps de prendre leur part, et exigent une augmentation de leur rémunération. 

Le chef de l’État n’a-t-il pas lui-même promis, à trois reprises, une revalorisation du salaire des enseignants ?

Oui, le président a fait cette promesse tout à fait librement. Il l’a formulée en souhaitant donner une impulsion au secteur de l’éducation. Mais vous aurez noté qu’il a eu la sagesse de ne pas annoncer de chiffres. Partant de ce principe, je m’étonne que les syndicats aient rejeté d’emblée la proposition du gouvernement de leur octroyer des augmentations allant de 15 % à 20 % des salaires actuels.

Un assistant d’université qui débute aujourd’hui avec un traitement mensuel oscillant entre 500 000 et 600 000 F CFA [762 et 915 euros] ne devrait pas, en toute objectivité, refuser une augmentation de 150 000 F CFA (228 euros) de son salaire. Est-il réaliste et responsable dans les conditions actuelles de demander 100 % d’augmentation pour les 1 500 enseignants du supérieur ? Que répondrons-nous ensuite aux 12 000 enseignants des lycées et collèges ? Je n’ose pas imaginer les conséquences sociales et financières de la propagation d’une telle demande à l’ensemble du secteur public ! 

La concertation sur la biométrie est close, que pouvez-vous en dire ?

Nous avons remis au président de la République le rapport général de ces travaux qui, à sa demande, a été examiné par la Cour constitutionnelle et sera rendu public dans les jours à venir. Je ne trahis pas un secret en disant que l’objet premier de cette concertation, à laquelle tous les groupements politiques du pays (majorité et opposition) ont activement pris part, était de créer les conditions pour que toutes les forces participent aux élections. Rappelons aussi que la loi sur la biométrie a été votée à l’unanimité lors de la précédente législature, qui comptait davantage de députés de l’opposition.

Pour faire court, cette concertation a débouché sur des recommandations, toutes consensuelles, qui visent à rendre effective la mise en oeuvre de la biométrie dans notre processus électoral. L’application de ces recommandations devrait nous conduire à avoir une liste électorale plus propre, des électeurs mieux identifiés, un processus électoral plus fluide et, donc, aboutir à des résultats moins sujets à contestation. 

Est-ce si difficile de « faire émerger » le Gabon ?

Aucun pays n’est facile à changer. Tous ont en leur sein une certaine inertie liée aux habitudes acquises. Les gens n’aiment pas se remettre en cause, cela explique les comportements défensifs, qui sont autant d’obstacles aux changements rapides que le président a impulsés. Certains ont eu des privilèges et quand on leur dit que cela ne peut plus continuer, ils se battent pour les conserver. C’est humain.

Nous essayons de faire adhérer les Gabonais à une vision. Tant que ce message restera brouillé par ces forces de l’inertie, qui travaillent pour que rien ne change, notre marche vers l’émergence sera émaillée d’obstacles. 

L’administration fait-elle partie de ces obstacles, en partie contournés par la création d’agences ?

J’ai fait de la remise en ordre de l’administration une priorité. Certains n’y voient aucun intérêt, mais moi j’en sais quelque chose pour avoir dans le passé restructuré plusieurs entreprises en difficulté. Comme je l’ai dit, il fallait remettre ce rouage essentiel en ordre de marche. J’ai terminé la première partie de cette réforme. Reste à payer les fonctionnaires concernés. Quand ce sera fait, en tant qu’employeur, l’État pourra se montrer exigeant avec ses agents, qui n’auront plus de prétexte pour s’absenter de leur poste de travail. Quant aux employés des agences, la plupart sont des fonctionnaires, qui ont également intérêt à la régularisation de leur situation administrative. 

Quelle est votre conception de l’action publique ?

Je me suis engagé dans la vie publique pour apporter ma contribution à l’amélioration du système économique et social de mon pays et, partant, des conditions de vie de mes concitoyens. Qu’on soit libéral ou interventionniste, ce qui compte c’est d’être efficace dans la recherche de cet objectif. 

Votre province, le Woleu-Ntem, est réputée acquise à l’opposition, avez-vous le sentiment d’y être rejeté quand vous y retournez ?

Ça fait partie des clichés largement diffusés et qui ne correspondent pas à la réalité. Dans ma province, par tradition, comme partout, chacun est jaloux de son indépendance et, contrairement aux idées reçues, ne se soumet pas à une consigne communautaire. Il n’y a pas d’unanimité contre le parti au pouvoir. Certains me soutiennent, d’autres me contestent. N’est-ce pas le propre de l’homme public ? Quoi qu’il en soit, quand je m’y rends, je suis bien accueilli. Les gens qui viennent me voir souhaitent que je sois un bon Premier ministre du Gabon. Ils veulent que je réussisse ma mission dans l’ensemble du pays. C’est le bilan global qui va être déterminant.

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Propos recueillis à Libreville par Geoges Dougueli

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