Burkina Faso : l’obsession présidentielle

La question taraude les Burkinabè : le chef de l’État, Blaise Compaoré, demandera-t-il une révision de la Constitution pour briguer un autre mandat ? À deux ans de l’échéance, il va devoir lever le voile.

Blaise Compaoré, 62 ans, deux septennats et deux quinquennats au compteur. © Olivier Morin/AFP

Blaise Compaoré, 62 ans, deux septennats et deux quinquennats au compteur. © Olivier Morin/AFP

Publié le 11 mars 2013 Lecture : 4 minutes.

Burkina Faso : comptes et décompte
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Burkina Faso : comptes et décompte

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Le spot a marqué les esprits. Diffusé en France dans les années 1990, il montrait un enfant qui, sommé par un médecin de dire « trente-trois » sous les yeux inquiets de sa mère, répondait inlassablement le même chiffre, « huit cent six », celui du modèle de voiture vanté par la publicité. Au Burkina Faso, c’est un peu la même chose. Le chiffre 37 revient sans cesse. Un M37, inspiré du M23 sénégalais (mouvement né le 23 juin 2011, en opposition à la candidature d’Abdoulaye Wade), a même été créé en début d’année. Son objectif : s’opposer à toute modification de l’article de la Constitution le plus connu des Burkinabè, l’article 37, qui interdit au chef de l’État de briguer un troisième mandat.

Blaise Compaoré en est à son quatrième – si l’on ne tient pas compte des quatre années de la « rectification » qui ont suivi la mort de Thomas Sankara, en 1987, au cours desquelles il a gouverné sans être passé par les urnes. Compaoré a été élu une première fois en 1991, puis réélu en 1998, 2005 et 2010, la limitation du nombre de mandats n’étant intervenue qu’en 2000, sans rétroactivité. Si la Constitution reste en l’état, Blaise Compaoré ne pourra pas se représenter fin 2015. Mais un pays ne peut être dirigé plus de vingt-cinq ans par un même homme sans que sa succession charrie son lot de fantasmes. Au Burkina, rares sont ceux qui croient que Compaoré quittera le palais de Kosyam dans moins de trois ans. Il faut dire que le président burkinabè n’a jamais rien fait pour lever les doutes. « Si je dis aujourd’hui que je m’en vais, ce sera un problème […]. Si je dis le contraire également, parce qu’on m’accusera de m’accrocher au pouvoir », confiait-il, en octobre, à Jeune Afrique.

L’argument pour la modification constitutionnelle est connu : on ne peut pas interdire à quelqu’un d’être candidat, c’est au peuple de trancher.

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Silences gênés

Il est vrai aussi qu’en cas de « retraite », les prétendants ne manqueraient pas et son autorité serait mise à rude épreuve au sein même de son parti. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), sur lequel il a la main, avait parlé pour lui à l’été 2010, en se prononçant en faveur d’une modification de l’article 37. L’argument est connu : on ne peut pas interdire à quelqu’un d’être candidat, c’est au peuple de trancher. Mais depuis, au siège du parti comme à la présidence, la règle est au silence gêné lorsque ce sujet est abordé. C’est que, entre-temps, de l’eau a coulé sous les ponts. Une eau tumultueuse. Certes, Compaoré a été réélu sans mal le 21 novembre 2010 (80 % des suffrages), et son parti reste largement majoritaire, comme l’a démontré sa victoire aux législatives et municipales de décembre 2012. Le CDP a conservé la plupart des villes, dont Ouagadougou, et compte 70 députés sur 127. Mais entre la présidentielle et les scrutins de fin 2012, au cours du premier semestre 2011, le président a dû faire face à une vague de mutineries et de contestation sociale sans précédent, l’obligeant à remettre de l’ordre dans l’armée, à changer de Premier ministre, à revoir la communication gouvernementale et à faire des concessions aux syndicats. « Jamais le régime n’avait à ce point vacillé. Ce fut un sérieux avertissement », confie un diplomate burkinabè.

Équation

Sérieux avertissement également que l’incapacité de trouver un consensus à propos de l’article 37. À l’été 2011, un Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), boycotté par une partie de l’opposition, a planché sur les réformes institutionnelles à mener. Il s’est notamment prononcé en faveur de la création d’un Sénat, qui devrait voir le jour dans les prochains mois. Mais ses membres n’ont pas trouvé d’accord sur l’article 37. Depuis, la question est mise en sourdine. Sans être abandonnée pour autant. Selon Arsène Bongnessan Yé, un vieux compagnon de Compaoré chargé dans le gouvernement de mener les réformes politiques, « le débat n’est pas clos ». Deux options sont possibles pour modifier la Constitution : la voie référendaire et la voie parlementaire. La première est aléatoire. Une étude sérieuse menée en 2008 par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a montré que les Burkinabè sont partagés sur cette question. La seconde est tout aussi hasardeuse, puisque, pour être adoptée, une loi organique doit recueillir l’assentiment de deux tiers des députés. Or le CDP ne les a pas, et les alliés lui font défaut. Reste l’équation de la rue. L’opposition et une grande partie des organisations de la société civile promettent le feu si Compaoré se lance dans ce projet, et les étudiants ainsi que les syndicats, peu favorables au chef de l’État, représentent des forces non négligeables à Ouaga. Mais le Burkina n’est pas le Sénégal. La société civile n’y est pas aussi soudée contre le pouvoir – le président jouit du soutien des autorités religieuses et de la chefferie, sans parler du patronat -, et l’opposition n’y a pas le même poids, loin s’en faut.

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