Tori et Lokita, deux enfants béninois seuls contre tous

Le nouveau film des frères Dardenne a obtenu le prix du 75e anniversaire du Festival de Cannes. C’est un drame social émouvant sur l’accueil des enfants immigrés. Quand le destin tient à un papier…

« Tori et Lokita », film des frères Dardenne, a obtenu le prix du 75e anniversaire du Festival de Cannes. © Films du Fleuve

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Publié le 12 octobre 2022 Lecture : 3 minutes.

« Si tu avais tes papiers, tu serais devenue aide-ménagère en Belgique. Maintenant tu es morte et je suis seul. » Cette phrase de Tori et Lokita, de Luc et Jean-Pierre Dardenne, claque comme un couperet. Elle est simple et directe comme le cinéma des deux réalisateurs belges. Et comme l’intrigue : deux enfants béninois immigrés en Belgique luttent pour survivre dignement. Ils sont seuls contre presque tous.

Enfant sorcier

Tori et Lokita affrontent notamment la machine administrative. Tori a été accusé d’être un enfant sorcier dans son pays. Les persécutions dont il a été victime lui valent d’avoir ses papiers. Lokita, plus âgée, ne les a pas. Ils se font passer pour frère et sœur afin de rester ensemble. Les circonstances de leur rencontre pendant leur migration restent floues, mais le lien qui en est né est indéfectible.

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Cette famille d’élection n’entre pas dans les petites cases des services de l’immigration. Le film commence par cette scène saisissante où Lokita est sous le feu des questions. Quel était le nom du directeur de son école ? Comment a-t-elle retrouvé son frère à l’orphelinat ? La moindre contradiction est un élément à charge dans ce qui ressemble à un véritable interrogatoire.

Tori et Lokita affrontent aussi, seuls, les profiteurs. Lokita rêve de suivre une formation d’aide-ménagère. Sans-papiers, elle ne peut pas. Avec Tori, elle vivote en chantant dans une pizzeria. Après le spectacle, ils vendent de la drogue pour le compte du cuisinier. Cet argent, elle l’envoie à sa mère restée au pays pour subvenir aux besoins de sa famille et sert à rembourser un passeur qui la dépouille sans scrupules.

Absurdité administrative

Tori et Lokita sont aussi seuls contre l’absurde. Et si Lokita avait ses papiers ? Sa situation la met en permanence sur le qui-vive. Elle mène une lutte permanente pour la survie au lieu de poursuivre son ambition. La détresse de Lokita est instrumentalisée par les prédateurs en tous genres. Résultat : un pays en déficit de personnels de ménage s’en prive pour des raisons politiques, nourrissant les réseaux criminels.

Et l’espoir dans tout ça ? Il est dans la formidable solidarité entre les deux enfants. La résilience dont ils font preuve pour surmonter les multiples épreuves. Et l’amour entre eux, inséparables, qui se soutiennent coûte que coûte. La famille n’est pas qu’un lien de sang, c’est une communauté de destins. Et outre cette relation forte, il y a les attentions et les petits gestes qui donnent foi en l’humanité au cœur de la tourmente : les soutiens lors des audiences de Lokita, un jeune homme qui fait la courte échelle pour aider à fuir une menace, un autre qui accepte d’endosser un virement au nom d’un mineur…

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Film social, film à suspense

Tori et Lokita, c’est presque deux films en un. Le premier est un drame social, le second est une course-poursuite à suspens. Doubles lauréats de la Palme d’or au festival de Cannes pour Rosetta (1999) et L’enfant (2005), les frères Dardenne sont fidèles à l’épure qui fait leur patte. Le rythme est donné par un montage alternant les plans séquences et les scènes plus nerveuses. Le calme précède la tempête. Les réalisateurs sont des maîtres de l’ellipse narrative et du hors-champ.

Les frères Dardenne, c’est aussi la caméra à l’épaule, à hauteur de femmes et d’hommes. Le cadre serré est toujours un défi car elle expose les acteurs. Joely Mbundu (Lokita) et Pablo Schils (Tori) n’avaient jamais tourné dans un film auparavant et cela ne se voit pas. Leur jeu tout en retenue provoque de grandes émotions à travers un minimum d’effets.

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Tori et Lokita est né du double constat que 200 à 300 enfants mineurs disparaissent chaque année en Belgique et que les mineurs en exil souffrent de solitude. Les deux enfants ont la malchance et la chance d’être seuls à deux. Dans ce dernier film comme dans leur œuvre, les frères Dardenne signent une ode à l’humanisme qui sommeille (trop) profondément en nous.

Tori et Lokita de Luc et Jean-Pierre Dardenne, sortie en France depuis le 5 octobre 2022.

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