Guerre au Mali : soutiens prudents, réserves timides

Soulagement de voir la menace terroriste traitée, influences islamistes, opposition à toute ingérence occidentale… Les capitales subsahariennes et arabes doivent composer avec l’intervention française au Mali.

Un hélicoptère de l’armée française à Sévaré. © AFP

Un hélicoptère de l’armée française à Sévaré. © AFP

Publié le 1 février 2013 Lecture : 6 minutes.

Afrique subsaharienne

Rien. Encéphalogramme plat. Depuis l’entrée en guerre de la France en terre malienne, le 11 janvier, et malgré l’annonce, quelques jours plus tard, que plus de 2 500 soldats français seraient envoyés sur place et que cette présence était appelée à durer, pas une voix officielle subsaharienne n’est venue troubler l’approbation générale. Aucune diatribe anticolonialiste, comme on a pu en entendre en France. Pas même un soupçon de critique. Qu’ils soient anglophones, lusophones ou francophones, tous les chefs d’État ou de gouvernement de l’Afrique subsaharienne ont soit applaudi, soit gardé le silence. Si tant est qu’il existe des doutes quant aux bienfaits de cette intervention, ils sont tus.

L’Afrique du Sud, habituellement prompte à dénoncer l’interventionnisme occidental sur « son » continent et dont les désaccords avec la France ont été récurrents ces derniers temps (Côte d’Ivoire, Libye, Madagascar) ? Elle adhère. Certes, Jacob Zuma a observé le silence, mais en approuvant du bout des lèvres l’intervention française, son ex-épouse, la présidente de la Commission de l’Union africaine (UA) Nkosazana Dlamini-Zuma, a en quelque sorte parlé pour lui. Pretoria s’est même engagé à fournir un appui à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) conduite par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). D’autres pays plus ou moins éloignés de la zone d’influence française (le Burundi, la Tanzanie et le Rwanda) ont eux aussi promis d’apporter leur concours à cette opération.

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Nkosazana Dlamini-Zuma a reconnu la contribution de la France. ©AFP

Et les autres ? Mugabe, le président zimbabwéen, qui n’a pas de mots assez durs pour dénoncer l’impérialisme blanc, est absent du débat. Il faut dire que les élections approchent chez lui. Dos Santos, dont les ambitions sous-régionales sont régulièrement contrecarrées par la résistance de la Cedeao, a jugé l’opération Serval salutaire. L’Angola étudie même la possibilité d’apporter « un appui financier ou matériel » à la Misma. L’Éthiopie et l’Ouganda applaudissent aussi. « Avec les Shebab qu’ils combattent en Somalie, ils sont bien placés pour savoir qu’il était urgent d’agir au Mali », souligne un diplomate d’un pays sahélien.

Cet unanimisme au sud du Sahara a de quoi surprendre. Les opérations militaires françaises en Afrique ont toujours créé leur lot de polémiques. Un ministre ouest-africain des Affaires étrangères l’explique par « le soulagement » des chefs d’État. « Tout le monde était conscient qu’il fallait agir, analyse-t-il, car chacun connaît la réalité de la menace terroriste et de l’effondrement de l’État malien. D’autant que les pays de la région en étaient incapables car, en face, il y a des combattants bien formés et surtout très bien armés. Même les puissances africaines s’étaient fait une raison : il fallait que la France intervienne. »

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Quant à savoir si ce soutien massif résistera au temps, c’est une autre histoire. Mais comme le souligne un général ouest-africain, avec l’arrivée des troupes tchadiennes (2 250 hommes seront mobilisés), la mise en place d’une véritable force d’intervention ouest-africaine (la Misma, qui devait initialement compter 3 300 soldats, pourrait être plus fournie encore) et la probable implication de trois grandes puissances continentales (Nigeria, Afrique du Sud et Angola), « on ne pourra plus dire que c’est une guerre de la France »… Rémi Carayol

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De Nouakchott à Doha

 

Mauritanie. Lors d’un meeting à Nouakchott le 16 janvier, la Coordination de l’opposition démocratique (COD) au président Mohamed Ould Abdelaziz a condamné l’intervention française, surtout pour dénoncer par avance un éventuel engagement de la Mauritanie. Unissant leurs voix derrière leur leader, Ahmed Ould Daddah, les opposants mettent ainsi la pression sur le chef de l’État, qui a déclaré à Abou Dhabi que le pays était prêt à apporter son aide à son voisin « si le Mali lui en [faisait] la demande ». Pour l’opposition, la priorité est de sécuriser le territoire national, qui partage avec le Mali plus de 2 200 km de frontières. En réalité, la COD est hostile à toute ingérence dans les affaires maliennes, depuis le raid mené conjointement par Paris et Nouakchott en 2010 pour tenter de libérer l’otage français Michel Germaneau, mort entre les mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Maroc. Les premières réactions hostiles à l’opération menée par la France au Mali ont été l’oeuvre de cheikhs de la Salafiya Jihadiya. Le trio Hassan Kettani, Abdelwahab Rifki et Omar Haddouchi a dénoncé une « agression » et une « immixtion dans les affaires des musulmans ». Même son de cloche chez Mohamed Al Maghraoui, une autorité du camp salafiste. Plus nuancé, le Mouvement Unicité et Réforme (MUR), matrice du Parti de la justice et du développement (PJD, au pouvoir), « refuse par principe » l’action de la France au Mali, tout en condamnant « l’intégrisme, la sécession et le recours à la violence ». Bel exercice d’équilibriste…

Algérie. Même la prise d’otages d’In Amenas n’a pas étouffé les critiques contre la guerre au Mali. Parmi les islamistes opposés à l’intervention française, l’inévitable Ali Benhadj, cofondateur du Front islamique du salut (FIS). Il a mobilisé un petit groupe de fidèles de la mosquée Al-Wafaa dans le quartier Kouba, à Alger. Mais la vraie question qui a fait débat est l’autorisation de survol accordée aux avions français, annoncée par Laurent Fabius le 13 janvier. Beaucoup de commentateurs ont été surpris que pareille annonce soit faite par le chef de la diplomatie française. En pointe pour dénoncer une bénédiction présidentielle à une « guerre néocolonialiste », des partis d’opposition, parmi lesquels le Front des forces socialistes (FFS de Hocine Aït Ahmed) et les trotskistes du Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune). Il n’empêche, pour Abdelaziz Rahabi, diplomate à la retraite qui s’exprime beaucoup dans El-Watan : « On ne peut être contre le terrorisme international et s’opposer à cette intervention militaire. »

Libye. Le chef du gouvernement de transition, Ali Zeidan, a formulé une opinion surprenante et pour le moins confuse sur l’intervention française. Tout en disant comprendre « les décisions prises par le gouvernement du Mali en réponse à la crise », le Premier ministre n’a pas soutenu Paris : « Nous rejetons les attaques au Mali. La position libyenne est claire, nous demandons qu’une chance soit donnée au dialogue. » Au moment où beaucoup d’observateurs rappellent que la chute de Kadhafi a provoqué un afflux de Touaregs, avec armes et bagages, au Nord-Mali – ils ont gonflé les rangs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et d’Ansar Eddine -, Tripoli s’inquiète de leur éventuel retour. L’effet boomerang en quelque sorte. Au fait : qu’en pense Bernard-Henri Lévy ?

Le président égyptien Mohamed Morsi s’est opposé à l’opération Serval. ©Sipa

Égypte. Lors de la séance d’ouverture du sommet économique de la Ligue arabe à Riyad le 21 janvier, le président égyptien Mohamed Morsi a exprimé son opposition à l’opération Serval : « Nous n’approuvons pas du tout l’intervention militaire au Mali, qui est de nature à attiser le conflit dans la région [Sahel, NDLR] et à séparer l’Afrique du Nord arabe de sa profondeur au sud. » Morsi s’est empressé également de dénoncer la violence et l’intégrisme, demandant à ses homologues de « se tenir aux côtés de l’Algérie, contre l’atteinte à son indépendance et à sa souveraineté ». Une position « délicate et mesurée », selon le raïs, mais qui semble surtout calquée sur celle de son parti, les Frères musulmans, qui ont appelé à manifester contre la guerre « française ».

Moyen-Orient. Dans le Golfe, la guerre au Mali rencontre de farouches résistances au sein de l’opinion publique. En Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, par exemple, des cheikhs salafistes dénoncent une « ingérence dans les affaires d’un État musulman ». Dans ces pays très connectés à internet, des appels à protester sont lancés sur les réseaux sociaux. Comme ce curieux appel au boycott de Carrefour, enseigne très présente dans la région, ou encore du « tourisme en France ».

Qatar. Premier État à manifester son scepticisme sur la pertinence de l’attaque française, l’émirat a donné du grain à moudre à ses détracteurs, qui l’accusent d’entretenir des relations ambiguës avec la mouvance jihadiste. « Le dialogue politique est important et nécessaire. La force ne réglera pas le problème », a déclaré, dès le 15 janvier, le Premier ministre qatari Hamad Ibn Jassem. Quant au prédicateur Youssef al-Qaradawi, star d’Al-Jazira et président de l’Union internationale des oulémas, il dénonce depuis Doha une intervention « précipitée » en appelant à un « règlement pacifique équitable ».

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Youssef Aït Akdim, Rémi Carayol et Laurent de Saint Périer

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