Algérie : enfermé à Koléa comme les pontes de l’ère Bouteflika

Inaugurée en 2015, la prison algérienne est célèbre pour abriter de nombreux dignitaires déchus. Mais beaucoup de détenus de droit commun ou de personnes accusées de terrorisme y sont aussi incarcérés. Témoignage.

À l’époque où la prison de Koléa a ouvert ses portes, en 2015, elle avait été présentée comme l’une des plus grandes et des plus modernes d’Afrique et comme un modèle de la réforme carcérale engagée sous le régime de l’ancien président Bouteflika. © RYAD KRAMDI / AFP

Publié le 31 octobre 2022 Lecture : 5 minutes.

« Ce 14 septembre 2021, quand nous arrivons à Koléa, il est un peu plus de minuit et nous sommes accueillis par des gardiens aux cris de Khawana ! Khawana ! (« Traîtres ! Traîtres ! »). C’est mon premier contact avec cette prison dans laquelle je vais passer un peu plus d’une année », raconte Mourad, enseignant à la retraite dont la vie va subitement basculer au moment où il s’y attend le moins. Au milieu d’une journée caniculaire de septembre, il s’apprête à faire une sieste lorsque des escouades de gendarmes en tenue et en civil font irruption dans sa modeste maison. Munis d’un ordre de perquisition et d’un mandat d’amener, les hommes signifient à Mourad qu’il figure sur une liste de terroristes recherchés.

Au bout de neuf jours d’interrogatoires, Mourad et une dizaines d’autres prévenus, dont un homme sans jambes cloué sur un fauteuil, sont présentés devant le procureur du pôle antiterroriste d’Alger puis devant le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’Hamed. Ils sont accusés d’appartenir au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation qualifiée de terroriste et jugée porter « atteinte à l’intégrité du territoire national et à la sureté de l’État ». Mandat de dépôt pour tous à la prison de Koléa, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Alger.

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Il est minuit passé quand les prisonniers arrivent au portail de ce désormais célèbre pénitencier. Avec ses 2 000 places et ses 18 hectares, il accueille journalistes, opposants au régime, anciens hauts dignitaires et grands patrons, prisonniers de droit commun ou terroristes. Dans une aile, un pavillon spécial est réservé aux anciens membres de gouvernement et Premiers ministres du président Bouteflika tels qu’Abdelmalek Sellal ou encore aux oligarques comme Mahieddine Tahkout, les frères Kouninef ou l’industriel Laid Benamor. Mourad et les nouveaux arrivés ne croiseront jamais la route de ces anciens puissants tombés en disgrâce.

Lumière allumée 24 heures sur 24

Les formalités administratives évacuées, chaque prisonnier reçoit deux couvertures, une assiette, un verre et une cuillère en plastique avant d’être dirigé vers sa cellule avec deux compagnons. « Nous avons reçu une baguette de pain chacun et de l’eau. Comme il n’y avait pas encore de matelas, nous avons dû dormir à même le sol », raconte Mourad. Très vite, les prisonniers apprennent une règle qui se transmet de bouche à oreille. Ceux qui transgressent le règlement intérieur ou se rendent coupables de « fautes » sont attachés et roués de coups de bâton par les gardiens dans un cachot insonorisé qui étouffe leurs cris.

Considérés comme des terroristes, Mourad et ses compagnons sont détenus dans un quartier de haute sécurité appelé « l’isolement ». Ils logent dans une cellule de 9 m2 pourvue de lits superposés, d’un lavabo et de toilettes. La lumière reste allumée 24 heures sur 24. Interdiction absolue de la couvrir par un moyen quelconque sous peine de perdre son droit de visite au parloir. Les prisonniers ont droit à deux baguettes par jour et, chaque matin, au réveil, on leur apporte du lait et du café, servis à travers la petite lucarne de la porte de la cellule. Vers 8 heures, les geôliers procèdent au comptage et à l’appel des prisonniers alignés deux par deux dans le couloir du box, qui comprend huit cellules de trois personnes chacune.

Les détenus ont ensuite l’obligation de procéder au nettoyage et au lavage de leurs cellules et du couloir. De 9 à 11 heures du matin, c’est quartier libre dans une cour de 12 mètres sur 15. Ils peuvent discuter et se dégourdir les jambes. D’une hauteur de 6 mètres, les murs sont grillagés et les seules ouvertures prévues par les architectes pour permettre un regard sur la nature ont été bouchées par des rangées de parpaings. « On ne pouvait apercevoir qu’un coin du ciel », dit Mourad.

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C’est dans cette cour que Mourad va faire la connaissance d’un terroriste islamiste arrêté quelques mois plus tôt après trente années passées dans le maquis. Au moment de sa capture par des éléments de l’armée spécialisés dans la lutte antiterroriste, l’homme et ses acolytes en étaient réduits à se nourrir d’herbe, de racines et de baies sauvages.

Samira TV et sermons islamiques

À Koléa comme dans le reste des prisons du pays, le régime alimentaire est pauvre, indigeste. « Légumes secs tels que lentilles, fayots, pois chiches ou riz pour le déjeuner et pâtes le soir. Le vendredi, couscous avec un morceau de poulet de la taille d’une noix », se rappelle Mourad. L’après-midi, les prisonniers sont autorisés à faire la sieste, à lire ou à regarder la télévision réglée sur quatre ou cinq chaînes nationales et officielles. « Comble de cynisme pour des prisonniers réduits à manger des bouillies infâmes, on avait également Samira TV, une chaîne de cuisine qui ne montre que des plats de viande riches et somptueux. Par contre, sur le 5e canal, on pouvait écouter des prêches et des sermons islamiques à volonté », souligne-t-il encore.

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Les détenus reçoivent par ailleurs un catalogue de livres disponibles chaque quinzaine. Ils ont droit à un seul titre sur les trois qu’ils peuvent choisir. « On se les échangeait. Il y en avait à peu près 3 900 en français, dont des centaines d’exemplaires du Coran et beaucoup d’ouvrages religieux. »

Chaque quinzaine également, le prisonnier a droit à la visite de trois membres de sa famille proche. Il peuvent communiquer au téléphone pendant quinze minutes, séparés par une vitre. Le détenu est également soumis à une fouille systématique avant et après chaque visite de son avocat. « Impossible de faire sortir ou entrer la moindre petite chose. D’ailleurs, les cellules sont régulièrement fouillées de façon inopinée, précise Mourad.  À chaque fois, on retrouvait toutes nos affaires mêlées par terre et sens dessus dessous. »

Pendant tout leur séjour à Koléa, Mourad et ses compagnons ont nourri l’espoir d’une remise en liberté imminente. « Régulièrement, des rumeurs faisaient état de notre libération prochaine sur décision politique. Nous étions persuadés que notre innocence allait être reconnue publiquement, assure-t-il. Nos avocats nous disaient : “Nous avons beaucoup d’espoir, vous allez tous sortir. Dans une semaine, un mois ou une année, personne ne le sait”. »

En 2015, une prison modèle

Le jour du procès, Mourad et ses coaccusés sont finalement condamnés à deux ans de prison, dont un avec sursis. Toutes les accusations de terrorisme sont tombées. En Algérie, il se dit que les juges ont pour instruction de couvrir les périodes passées en prison durant le mandat de dépôt. Le verdict prononcé, Mourad et ses compagnons quittent la prison, de nuit, comme ils y sont entrés. Exit Koléa – du moins pour eux.

À l’époque où la prison de Koléa a ouvert ses portes, en 2015, elle avait été présentée comme l’une des plus grandes et des plus modernes d’Afrique et comme un modèle dans la réforme carcérale engagée sous le régime de l’ancien président Bouteflika. En 2018, elle a reçu la visite d’une délégation de représentants de l’Union européenne, mais aussi d’administrations pénitentiaires de pays européens et africains. Des membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et des journalistes s’y sont également rendus. Ultime ironie du sort : elle a été inaugurée sous la mandature du Premier ministre Abdelmalek Sellal et du ministre de la Justice, Tayeb Louh… qui y sont aujourd’hui tous deux incarcérés.

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