Sénégal : « Activistes anti-troisième mandat, NTM est grossier et indigne ! » 

Réunis au sein d’une dizaine d’organisations, les Sénégalais qui s’opposent à une troisième candidature de Macky Sall à la magistrature suprême ont opté pour un sigle aussi suggestif que singulier, qui brouille leur message.

Lors d’une manifestation intitulée « Peuple pour l’indépendance de la justice » à Dakar, le 17 décembre 2021. © SEYLLOU/AFP

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Publié le 8 novembre 2022 Lecture : 5 minutes.

AfrikaJom Center, Y’en a marre, AfricTivistes, Legs Africa, Ligue sénégalaise de défense des droits de l’homme, Raddho, Forum social sénégalais, Frapp France dégage, Uden, Seydi Ababacar Sy Ndiaye, et Abdourahmane Sow… Ce sont là les dix organisations activistes signataires d’une lettre ouverte collective qui met en garde Macky Sall contre la tentation de se représenter en 2024. Déterminées, elles ont choisi de hurler « NTM », « non à un troisième mandat ».

On voit bien, avec cet acronyme, que les rappeurs de Y’en a marre, qui connaissent leurs classiques, ont pris le pouvoir dans ce collectif anti-troisième mandat, ou plutôt anti-troisième candidature. Car, dans l’Hexagone, NTM est le nom d’un groupe de rap des années 1990 – qui s’est disloqué depuis –, composé de Kool Shen et de Joey Starr, et qui signifie « nique ta m…e ». Astafourllah!

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Paroles virulentes

C’est très insultant pour la fonction présidentielle sénégalaise. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Rappelons que NTM est à l’origine un groupe de « graffeurs » désœuvrés qui inondaient les murs des couloirs du métro parisien et ses wagons de ces trois initiales pour crier leur rage envers les pouvoirs établis et, osons le dire, leur haine de la société. « Je ne sais pas si ça a réellement eu un sens, c’était juste ce qu’on écrivait sur les murs. On n’avait pas de raison d’être exposé médiatiquement, alors on s’est appelé “Nique ta mère”. Après on a fait du rap et on a gardé le même nom », a déclaré Kool Shen en tentant d’expliquer la symbolique de ce nom.

Comme de bien entendu, NTM a été très critiqué pour la virulence de ses paroles. En juillet 1995, le jour même de la fête nationale française, lors d’un concert à La Seyne-sur-Mer organisé par SOS Racisme pour protester contre l’élection d’un maire du Front national (FN) à Toulon (en 2022, l’ex-FN a un groupe parlementaire, donc toute cette agitation n’aura servi à rien), NTM interprète le titre « Police ». Pour introduire le morceau, Joey Starr crie sa haine de la justice et de la police. Cela vaudra aux membres du groupe, à la fin 1996, une condamnation en première instance au tribunal à trois mois de prison ferme (et trois mois avec sursis) ainsi qu’à six mois d’interdiction « d’exercer la profession de chanteur de variété », pour « propos outrageants » envers les forces de l’ordre.

NTM interjette appel et, en juin 1997, la cour d’appel allège le jugement du tribunal de Toulon en condamnant Kool Shen et Joey Starr à 50 000 francs d’amende (environ 7 600 euros) et à deux mois d’emprisonnement avec sursis. Voici un extrait des paroles du morceau litigieux : « Nique la police / Nique le CSA / Donne-moi des balles pour la police municipale / Fous donc ton gilet pare-balles / à base de popopopop »…

Référence outrancière

En clair, le collectif des activistes sénégalais nous propose une référence outrancière, dérangeante et dégradante, dans son combat anti-troisième mandat ; combat dont on peut toutefois accepter la légitimité du principe. Mais la politique, en République et dans une démocratie, ne se fait pas dans la rue. Elle se pratique dans les assemblées délibératives, au sein du gouvernement et devant les cours habilitées à être saisies.

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À défaut, on concourt à une course à l’échalote, avec le retour précoce d’un climat délétère : depuis que les Alioune Tine, Y’en a marre et autres ont décidé de battre le pavé avec leur texte collectif et leurs interviews subséquentes contre ce qu’il serait plus précis d’appeler une « éventuelle troisième candidature présidentielle » de Macky Sall (et non pas « un troisième mandat assuré », car ce serait vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué), les déclarations politiques publiques de ministres, directeurs généraux et soutiens du chef de l’État en faveur de sa nouvelle participation à la course à la magistrature suprême se multiplient.

Les Sénégalais perdent à nouveau leur sérénité. Alors qu’avec le gouvernement d’Amadou Ba juste installé et l’Assemblée nationale récemment formée, nous aurions dû avoir droit à une paix des braves et à une trêve de douze mois, pour que le pays travaille sur les questions économiques et les politiques publiques au moins jusqu’en septembre-octobre 2023.

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« Yewwi », « Wallu »

Puisque c’est l’ère et l’heure des formules lapidaires et des sigles qui sifflent aux oreilles, giflent, griffent et avilissent, permettez-moi d’en filer quelques-unes, de ces perles prononcées par les politiques, d’ici et d’ailleurs, à peine paraphrasées, pour les mettre tous d’accord.

Quand le moment est venu, l’heure est arrivée ? Les activistes sénégalais autour d’Alioune Tine sont les spécialistes du piège à consensus – consensus dont ne sait d’ailleurs pas comment et par quel effet du Saint-Esprit ils les proclament.

Voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter ? Les activistes sénégalais aiment tellement les aliénés et les enchaînés qu’ils en fabriquent eux-mêmes pour mieux prétendre qu’ils détachent les chaînes de ces derniers, sur le mode « Yewwi », « Wallu ».

Chers activistes, je ne suis pas sûr qu’on prenne de la hauteur en montant sur une table pour y trépigner et y gesticuler. On est dans une maison commune avec une fuite de gaz. Les activistes, avec leur sigle NTM, ont décidé d’y craquer une allumette pour y voir clair. Il doit bien rester un angle de tir pour la paix.

Quand vous êtes aux affaires vous manquez de souffle ; quand vous êtes dans l’opposition (et l’activisme), vous ne manquez pas d’air ? Le miracle permanent des activistes sénégalais, c’est qu’ils sont persuadés que les gens les attendent encore pour refaire le monde, après chaque double mandat présidentiel.

Trancher dans les urnes

Quant à Macky Sall, il pourrait être en train de penser ceci : « Même quand je ne dis rien, cela fait du bruit. » Et comme disait feu le président français Valéry Giscard d’Estaing à propos de la Constitution européenne (propos qui pourrait aussi s’appliquer à l’actuelle Constitution sénégalaise) : « C’est un texte facilement lisible, limpide et assez joliment écrit : je le dis d’autant plus aisément que c’est moi qui l’ai écrit. »

Si le chef de l’État veut se présenter, et s’y décide finalement, laissons le Conseil constitutionnel statuer pour savoir s’il en a le droit ou non. Quand il aura effectivement déposé sa candidature. Et tranchons dans les urnes, comme nous l’avons fait avec Abdoulaye Wade en mars 2012. Qui peut le plus peut le moins. Sans morts inutiles.

En ce qui me concerne, je n’ai pas le sentiment de tromper ma femme quand je suis avec le Sénégal. Et avec le peuple. Activistes, plutôt que de choisir cet indigne sigle NTM, quitte à aller chercher des idées chez des rappeurs hexagonaux, vous auriez dû sélectionner le poète MC Solaar (né au Sénégal d’ailleurs) et adopter comme slogan le titre de sa chanson emblématique et fondatrice :  « Bouge de »!

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