RDC – Tosi Mpanu Mpanu : « Nous ne pouvons pas privilégier l’action climatique si la pauvreté tue nos populations »

Manque de financements pour lutter contre le réchauffement climatique, droit souverain au développement, exploitation pétrolière… Le négociateur de la RD Congo sur les questions de climat est le Grand invité de l’économie RFI/Jeune Afrique au moment où s’ouvre la COP27 en Égypte.

© Vincent Fournier pour JA – Montage JA

Julien_Clemencot

Publié le 5 novembre 2022 Lecture : 8 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Calme, capable de porter un regard froid sur des réalités souvent dramatiques, Tosi Mpanu Mpanu est le négociateur de la République démocratique du Congo sur les questions de climat depuis 2007.

Formé à la finance aux États-Unis, élevé au rang d’ambassadeur en 2018, le fils du patron de presse et homme d’affaires Raphaël Mpanu Mpanu a débuté sa carrière comme conseiller au sein du ministère des Affaires étrangères congolais entre 2003 et 2007, avant de devenir l’un des porte-voix du continent et des pays les moins avancés concernant les enjeux environnementaux depuis une quinzaine d’années.

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À quelques jours du début de la Conférence des parties (COP27) organisée du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte, il était le Grand invité de l’économie Jeune Afrique-RFI. Au micro, il a dénoncé les critiques des nations les plus développées à l’égard des pays dont les émissions de CO2 devront inévitablement augmenter pour soutenir leur développement. Il a réaffirmé le droit souverain pour le Congo à exploiter les ressources pétrolières et gazière de son sous-sol.

Jeune Afrique-RFI : Vous dénoncez régulièrement ce que vous appelez le colonialisme climatique : pourquoi utiliser cette expression ? 

Tosi Mpanu Mpanu : Aujourd’hui, ce sont les pays développés qui sont essentiellement responsables du réchauffement climatique. Depuis le milieu du XIXe siècle, ceux qui se sont industrialisés, enrichis et ont pris la majeure partie de l’espace atmosphérique, nous disent : ne faites pas comme nous, faites comme on vous dit de faire. Ce dirigisme, ce diktat, face à des populations qui ne bénéficient pas de la même prospérité, pose problème.

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70 % des Congolais vivent avec moins de 1,9 dollar par jour et on nous demande de changer nos modes de vie, de production, de consommation. Nous n’avons pas forcément les moyens de procéder à cela. Sans accompagnement, il ne faut pas s’attendre à ce qu’on puisse être plus royaliste que le roi.

Sur ces questions, vous avez travaillé avec les présidents Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Est-ce que vous notez une évolution dans la prise de conscience de l’urgence à agir ?

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Le degré d’appropriation du sujet est le même, mais il est clair que le président Tshisekedi est beaucoup plus engagé sur ce front. Il s’est par exemple rendu à la COP de Glasgow, alors que son prédécesseur n’avait jamais assisté aux conférences des parties.

Les négociations sur le climat au niveau international n’ont pas permis de résoudre les questions fondamentales des émissions de CO2 et de la hausse des températures. Faut-il parler d’un échec collectif ?

Je ne pense pas. Il y a une progression dans la démarche. Avant, nous étions dans un cadre gouverné par le protocole de Kyoto qui requérait qu’une quarantaine de pays développés réduise leurs émissions. Depuis 2015, l’Accord de Paris demande à tous les pays de contribuer à l’effort global.

Les défenseurs de l’environnement disent que les engagements pris sont très peu souvent respectés. 

Pour reprendre le cas de la RDC, nous avons pris l’engagement de réduire nos émissions de 21 % d’ici à 2030. Nous estimons que l’effort à fournir pour y parvenir requiert environ 48 milliards de dollars. Mon pays a annoncé pouvoir financer sa contribution à hauteur de 10 %. Donc 90 % de ces 48 milliards de dollars doivent être apportés par la communauté internationale et s’ils ne le sont pas, malheureusement, la RDC ne pourra pas être aussi vertueuse qu’attendue.

Que peut attendre le continent de la conférence des parties la COP27 qui s’ouvre en Égypte ?

Depuis 2009 et la COP15 de Copenhague, l’Afrique ne va plus à ces rendez-vous en ordre dispersé. 54 pays qui parlent d’une seule et même voix, cela ne peut pas être ignoré. Qui plus est cette année, c’est une COP africaine. Le continent est responsable de 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre et pourtant, nous sommes les plus vulnérables. Nous pensons que les participants du reste du monde ne peuvent pas venir sur la terre africaine en y restant insensible.

Votre rôle va-t-il consister à prendre le minimum d’engagements supplémentaires, parce que les financements extérieurs ne sont pas aussi nombreux qu’ils devraient ?

L’Afrique a toujours dit les choses comme elles devaient être dites. Si nous sommes un peu sensibles sur la question, c’est parce que nous sommes les victimes d’un changement climatique que nous n’avons pas créé. Mais nous avons décidé de sortir de cette posture victimiste pour nous inscrire dans une démarche proactive sur la base de faits. Le monde est sur une trajectoire de hausse de 2,6° d’ici la fin du siècle. En Afrique, il faut multiplier ce chiffre par 1,5 pour avoir une idée du ressenti. Si jamais rien ne change, la vie ne sera plus possible dans les régions du lac Tchad ou du Kalahari.

Le second élément objectif, c’est le droit et la force des conventions. Nous mettons nos interlocuteurs en face de leurs engagements pour qu’ils les respectent. Aujourd’hui, pour que les pays africains puissent mettre en place leurs contributions déterminées au niveau national d’ici 2030, il faudra mobiliser 2 800 milliards de dollars. Où sont-ils ?

Il s’agit d’obtenir plus de financements, et plus seulement des promesses. 

Les financements, c’est important, mais le premier élément dans notre liste de desiderata, c’est la reconnaissance des circonstances particulières de l’Afrique. Par rapport aux autres continents, nous connaissons une situation d’extrême vulnérabilité. Celle-ci doit être reconnue.

Le deuxième élément, c’est de faire en sorte que l’adaptation au changement climatique reçoive plus d’attention. Nous voulons également que la question des pertes et préjudices soit mise sur la table, et que l’on puisse mobiliser également des ressources financières pour cela. La question de l’agriculture est également importante pour préparer l’avenir.

Revenons sur la question de l’adaptation : au sommet de Rotterdam, en septembre, les chefs d’État africains ont fustigé l’absence de leurs homologues du Nord.

L’action climatique est double. D’une part, il y a l’atténuation, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre ; d’autre part, il y a l’adaptation pour faire face aux conséquences néfastes du changement climatique. Aujourd’hui, au niveau mondial, les financements vont plutôt vers l’atténuation. Or les pays africains sont sur des trajectoires de développement qui vont les contraindre à davantage d’émissions de gaz à effet de serre à l’avenir, du fait de leur croissance économique et de leur croissance démographique. Leur priorité, c’est surtout l’adaptation et, donc, effectivement, lorsque nos chefs d’État vont à un sommet international sur ce sujet et ne voient pas leurs pairs des pays développés, cela confirme le biais que beaucoup de pays ont par rapport à cette question.

Les pays africains doivent-ils se concentrer sur leur développement et laisser les pays riches s’occuper de financer la lutte contre le changement climatique ?

Il serait un tout petit peu dommage que nous soyons de bons élèves en termes d’action climatique et qu’en même temps la pauvreté tue nos populations. Nous aurions des pays très verts et personne pour y vivre. La priorité des priorités pour les pays africains demeure la réduction de la pauvreté.

La difficulté à recevoir des financements n’est-elle pas liée à la méfiance des pays les plus industrialisés quant à leur utilisation par les États africains ? 

C’est un serpent qui se mord la queue. Pour améliorer notre capacité d’absorption des fonds, il faut avoir de bons projets. Pour y parvenir, nous avons besoin d’être appuyé. Si c’est le cas, nous pourrons absorber les ressources financières qui sont mobilisées au niveau international et qui, je dois le répéter, ne sont pas suffisantes.

En RDC, la décision du gouvernement d’exploiter ses ressources en pétrole inquiète les défenseurs de l’environnement, mais aussi ses partenaires extérieurs comme le secrétaire d’État américain Anthony Blinken.

Le gouvernement de la RDC gère son espace national de manière souveraine, et peut lever l’option qui lui paraît la plus opportune pour réduire la pauvreté de sa population. Il y a des choses que nous pourrions dire nous aussi sur l’exploitation de gaz de schiste (aux États-Unis), mais nous ne voulons pas pointer les gens du doigt.

Il y a effectivement eu un appel d’offres sur 27 blocs pétroliers et trois blocs gaziers. Six blocs pétroliers semblent poser problème parce qu’ils empiètent soit sur une zone de tourbière, soit sur des aires protégées. La législation congolaise est très claire : là où il y a une aire protégée, il n’y aura pas d’exploitation de pétrole. Concernant la tourbière, nous sommes conscients qu’elle stocke 30 milliards de CO2, ce qui représente trois années d’émissions globales. Nous entendons gérer cette ressource de manière responsable (…) La tourbière, il ne faut pas l’assécher ou aller dedans. Donc il faut soit la contourner, soit la surplomber. Qui va payer ce surcoût ?

Vous demandez à être payé pour protéger ces espaces ?

Si la communauté internationale veut éviter ce qui s’est passé en Asie du sud-est où les tourbières ont été asséchées pour produire de l’huile de palme, et sont aujourd’hui sujettes à des incendies et relâchent énormément de CO2, oui, il faut un accompagnement adéquat. Mais pour ne pas m’éloigner de la question sur l’exploitation pétrolière, je veux préciser que lorsqu’on prend un bloc pétrolier qui fait plusieurs milliers de kilomètres et empiète un peu sur une zone de tourbières, il y a des moyens d’exploiter le pétrole sans endommager la tourbière. Faire croire au monde entier que nous allons relâcher une bombe de carbone dans l’atmosphère, c’est un petit peu malhonnête.

Avez-vous le sentiment que la guerre en Ukraine a offert à l’Afrique une opportunité pour mieux faire entendre sa voix concernant les énergies fossiles ? 

Très clairement. Quand un pays développé décide de rouvrir ses centrales à charbon, en sachant que le charbon a un facteur d’émission deux fois supérieur à celui du pétrole… On peut maintenant lui proposer notre pétrole. Ce conflit aura permis de montrer que le sujet est plus complexe que certains le pensaient, qu’il faut à la fois évaluer ce qu’il y a de mieux pour la planète, tout en considérant les options disponibles pour réduire la pauvreté dans nos pays.

Cela remet sur la table la question des actifs échoués (notamment les actifs dont les investisseurs se désengagent sous la pression des lobbys parce qu’ils sont émetteurs de CO2). Je ne suis pas pour le tout pétrole, mais je pense que certains pays qui veulent utiliser leur industrie extractive pour réduire la pauvreté ne devraient plus être pointés du doigt.

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