Mohamed Ould Abdelaziz, chronique d’une résurrection

De retour au pays après une longue convalescence en France, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz est apparu en pleine possession de ses moyens. Ses opposants, eux, restent mobilisés.

Mohamed Ould Abdelaziz, de retour à Nouakchott, le 24 novembre 2012. © Justine Spiegel/JA

Mohamed Ould Abdelaziz, de retour à Nouakchott, le 24 novembre 2012. © Justine Spiegel/JA

Publié le 4 décembre 2012 Lecture : 6 minutes.

Il l’avait promis, il a tenu parole. Le 24 novembre, après une quarantaine de jours de convalescence en France, le président Mohamed Ould Abdelaziz est rentré en Mauritanie. Vers 17 h 15, le jet privé à bord duquel il avait embarqué avec sa femme et la plus jeune de ses filles s’est posé sur le tarmac de l’aéroport international de Nouakchott. À l’extérieur, des milliers de ses partisans s’étaient rassemblés pour l’accueillir. Certains par fidélité, d’autres par curiosité. Peu d’informations fiables avaient en effet filtré sur l’état de santé d’« Aziz », blessé par balle à l’abdomen le 13 octobre par un jeune lieutenant de l’armée de l’air, officiellement à la suite d’une méprise. Nombreux sont ceux qui se demandaient s’il était toujours en mesure de gouverner. À 17 h 30, vêtu d’un costume sombre, Aziz a traversé la foule en la saluant depuis le toit ouvrant de sa voiture, s’efforçant, comme à son habitude, de se montrer proche des Mauritaniens. Mais ce jour-là, en plus de chercher à rassurer sur son état de santé, il avait un message à faire passer : « Le chef, c’est moi. » Et il n’a pas tardé à le prouver.

Sur tous les fronts

o 24 novembre : retour à Nouakchott, minibain de foule

o 25 novembre à 7 h 30 : il retrouve ses bureaux

o 25 novembre entre 10 heures et 15 heures : préside le Conseil des ministres

o 25 novembre, fin d’après-midi : il inaugure deux centrales électriques et fait le tour des installations pendant deux heures

o À partir du 26 novembre : il multiplie les audiences, recevant tour à tour les ambassadeurs de France, des Émirats arabes unis et du Japon, le directeur général adjoint du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe, le président de l’Assemblée nationale, ainsi que celui de la Coordination de la majorité présidentielle

o 27 novembre : dans son traditionnel discours à la veille de la fête de l’indépendance, il défend son bilan et annonce une augmentation des salaires dans la fonction publique

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Dès le lendemain matin, à 7 h 30, Mohamed Ould Abdelaziz retrouvait son bureau. Entre 10 heures et 15 heures, il a présidé le Conseil des ministres, qui n’avait pu se réunir en son absence, la Constitution mauritanienne stipulant que seul le chef de l’État est habilité à le faire. En fin de journée, il s’est rendu à bord d’un Toyota V8 au niveau de la route de Nouadhibou afin d’inaugurer deux centrales électriques. « Il faisait très chaud, et même les ministres montraient des signes de fatigue, témoigne un journaliste. Mais, pendant deux heures, Aziz a fait le tour des installations. Il ne semblait pas affaibli. » Les jours suivants, il a multiplié les audiences, recevant tour à tour les ambassadeurs de France, des Émirats arabes unis et du Japon, le directeur général adjoint du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe, le président de l’Assemblée nationale, ainsi que celui de la Coordination de la majorité présidentielle. « Il n’est pas rare qu’un président tombe malade, je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir des conséquences sur sa politique, explique Mohamed Yahya Ould Horma, vice-président de l’Union pour la République (UPR, parti présidentiel). Il va mieux et, étant travailleur, il s’est remis immédiatement à la tâche. »

Malgré une telle démonstration d’énergie, la Coordination de l’opposition démocratique (COD), qui n’avait cessé de dénoncer la « vacance du pouvoir », reste sceptique. « Ce qui est le plus surprenant, ce n’est pas qu’il ait récupéré des forces, mais plutôt qu’il ne semble pas du tout avoir changé, déplore Mohamed Ould Maouloud, le président de l’Union des forces de progrès (UFP). Il a retrouvé ses vieux réflexes. » D’ailleurs, son traditionnel discours, retransmis le 27 novembre à la télévision nationale, à la veille de la fête de l’indépendance, ne diffère en rien des précédents. Sauf qu’après avoir présenté son bilan il a annoncé une augmentation des salaires des fonctionnaires et agents de l’État à partir du 1er janvier 2013, à hauteur de 30 % pour les moins bien lotis et de 10 % pour les mieux payés. Il n’a pas eu un mot à l’égard de l’opposition, dont la plus radicale avait pourtant amorcé, pendant son absence, un dialogue inédit avec une partie de la majorité présidentielle. « Il a refermé toutes les portes que nous nous étions efforcés d’ouvrir durant sa convalescence », poursuit Ould Maouloud. Après plus de cinq semaines passées à l’étranger et sans jamais avoir officiellement délégué ses pouvoirs – lorsque Moktar Ould Daddah se déplaçait, il avait pour habitude de déléguer ses pouvoirs par décret au ministre de l’Intérieur -, Aziz reprend fermement les commandes du pays, resté tel qu’il l’avait laissé. En son absence, toutes les institutions ont fonctionné normalement. Surtout, la Mauritanie est restée étonnamment calme : il n’y a pas eu un seul mouvement au sein de l’armée.

Les putschs ont toujours rythmé la vie politique du pays. Depuis le renversement de Moktar Ould Daddah, le 10 juillet 1978, six des sept chefs d’État qui se sont succédé étaient des militaires. Le jour même de la fusillade, le 13 octobre, Mohamed Ould Abdelaziz a confié les clés du pouvoir à l’un de ses proches, qu’il considère comme son frère : le chef d’état-major de l’armée, Mohamed Ould Ghazouani. Les deux hommes, qui se connaissent de longue date, ont travaillé en duo : le premier donnait ses ordres depuis la France, pendant que le second se chargeait de verrouiller le pays à double tour. « Pour rien au monde Ould Ghazouani ne trahirait Aziz, assure un observateur de la vie politique mauritanienne. Et, sans lui, un putsch est impossible. » Dès son élection, en juillet 2009, Aziz a pris soin de réorganiser une armée qui avait été totalement déstructurée par le colonel Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005). Ce dernier avait démantelé les différentes unités afin de les placer directement sous ses ordres. En réunifiant l’armée, Aziz l’a replacée sous l’autorité naturelle du chef d’état-major, si bien qu’aujourd’hui Ould Ghazouani a sous son commandement direct la totalité de l’institution, y compris le fameux Basep (Bataillon pour la sécurité présidentielle). En outre, Aziz a pris soin d’augmenter les soldes des militaires – un soldat de deuxième classe gagne désormais 100 000 ouguiyas (environ 250 euros) par mois, contre 13 000 sous Ould Taya -, et les a aussi mieux équipés. En s’assurant ainsi la confiance de l’armée, Aziz s’est surtout prémuni contre d’éventuels coups d’État.

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D’autre part, le président s’est assuré pendant sa convalescence de la fidélité d’un de ses principaux soutiens : la France. Après avoir condamné dans un premier temps le coup d’État du 6 août 2008, elle avait finalement avalisé l’élection du général putschiste en juillet 2009. Devenu un allié précieux de Paris dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Aziz a tout naturellement choisi d’être soigné en France après une première opération à l’hôpital militaire de Nouakchott, le soir de la fusillade. Alors que les plus folles rumeurs couraient sur son état de santé et que son cabinet refusait toujours de communiquer officiellement à ce sujet, l’apparition d’Aziz sur le perron de l’Élysée, le 20 novembre, au côté du président François Hollande, a pris tout le monde de court. Pendant l’entretien, qui a duré une dizaine de minutes, Aziz a notamment réitéré son refus d’engager son pays dans la guerre dans le Nord-Mali.

S’il ne semble pas, pour le moment, marquer de rupture avec la période d’avant son « accident », Aziz va devoir se résoudre à faire, sur la scène politique intérieure, quelques concessions. La crise politique avec la COD, qui continue de réclamer un consensus afin d’aboutir à une transition, n’a jamais été aussi vive. Et, bien qu’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ait été formée, la date des élections législatives et municipales, reportées en novembre 2011, n’a toujours pas été fixée.

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Justine Spiegel (@JustineSpiegel),  envoyée spéciale à Nouakchott

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