Djibouti – Abdoulkader Kamil Mohamed : « Nous avons les moyens financiers de faire face à la crise »

Lutte contre l’inflation, équilibre du budget, emploi… Le Premier ministre fait le point sur les priorités du quinquennat.

Le Premier ministre djiboutien Abdoulkader Kamil Mohamed, en fonction depuis 2013. © Présidence de Djibouti

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Publié le 27 novembre 2022 Lecture : 5 minutes.

Dans la zone de libre-échange de Djibouti, en juillet 2018. © YASUYOSHI CHIBA/AFP.
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Reconduit dans ses fonctions en mai 2021, au lendemain de la réélection d’Ismaïl Omar Guelleh (IOG) pour un cinquième mandat, Abdoulkader Kamil Mohamed, 71 ans, dirige le gouvernement djiboutien depuis mars 2013. Dans un contexte régional et international particulièrement complexe, il a pour mission de coller au plus près à la feuille de route tracée par IOG pour ce quinquennat, tout en préparant le camp présidentiel aux élections législatives prévues en février 2023.

Jeune Afrique : Quels sont les effets, pour Djibouti, des crises sécuritaires et alimentaires qui bouleversent la sous-région ces derniers mois ?

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Abdoulkader Kamil Mohamed : À peine sortis de la pandémie de Covid-19, dont les conséquences avaient déjà été très lourdes pour le pays, nous devons maintenant subir la crise alimentaire provoquée par les conflits en Ukraine, mais aussi en Éthiopie qui reste notre principal partenaire commercial dans la région. La situation est donc très tendue pour Djibouti.

Nous avons dû vite diversifier nos sources d’approvisionnement pour ne pas dépendre de notre seul voisin, notamment sur certaines denrées alimentaires de base comme les fruits et légumes, que nous avons fait venir, pendant quelques mois, d’Égypte ou du Kenya – ce qui nous a permis de maintenir des prix supportables pour la population.

Comment a réagi le gouvernement pour faire face à l’urgence de cette situation ?

Nous avons d’abord vérifié l’état de nos stocks, pour nous rendre compte que nous disposions de très peu de réserves. Le conflit du pain, qui avait secoué certains pays d’Afrique du Nord en 2011, est encore dans toutes les têtes ici… Nous avons donc très vite décidé de subventionner les produits alimentaires ou énergétiques de première nécessité, tout en appliquant un contrôle des prix très rigoureux, pour être certain d’éviter toute augmentation. C’est ainsi que nous sommes parvenus à juguler certains des principaux effets inflationnistes de cette crise.

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Tout cela a dû peser très lourd dans les finances publiques ?

En effet, le budget a souffert. D’autant que, dans le même temps, nous avons perdu une part de nos recettes fiscales, puisqu’un certain nombre de ces produits alimentaires et énergétiques bénéficiaient d’importantes exonérations.

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Ce n’est pas toujours facile mais les comptes publics sont encore bien tenus, et nous tentons de faire des économies partout où nous le pouvons. La priorité du ministère du Budget est justement d’identifier les différents postes qui doivent nous permettre d’économiser au minimum 10 milliards de francs djiboutiens [56,5 millions d’euros] sur notre prochain budget. C’est un défi très sérieux pour notre pays.

Dans ce contexte, disposez-vous des moyens financiers suffisants pour soutenir à la fois la consommation et l’investissement ?

Les investissements sont le plus souvent réalisés sur financement extérieur et, grâce à une croissance économique à 7,5 % ces quinze dernières années, oui, nous disposons des moyens financiers pour faire face à cette crise.

Quelles ont été les principales réalisations de votre gouvernement depuis le début du nouveau quinquennat, en mai 2021 ?

Nous avons pu poursuivre l’avancée des chantiers d’infrastructures les plus importants, notamment dans le domaine du transport maritime. Nous avons également réceptionné la première usine de dessalement d’eau de mer du pays. Notre objectif, en plus de garantir notre sécurité alimentaire, est d’assurer aussi le plus rapidement possible notre indépendance en eau et en énergie.

Sur le plan de la fourniture en eau, une seconde unité de dessalement est déjà prévue et, en matière énergétique, une nouvelle centrale thermique verra le jour sur le futur site industriel de Damerjog, situé au sud de la capitale. Elle sera alimentée par le gaz éthiopien destiné à être exporté à l’international depuis nos installations portuaires, ce qui nous oblige encore à dépendre de fournisseurs extérieurs. D’où notre volonté de nous orienter vers l’utilisation des différentes énergies vertes dont dispose Djibouti : solaire, éolienne, géothermique et marémotrice.

L’objectif annoncé par le président Guelleh de fournir au pays une énergie 100 % renouvelable d’ici à 2030 peut-il être tenu ?

Tout à fait. Nous avons beaucoup avancé dans ce domaine. La ferme éolienne du Goubet va être inaugurée avant la fin de cette année et nous attendons la livraison de la première hydrolienne du pays. Selon les études réalisées ces trois dernières années, nous pourrions récupérer entre 20 et 30 mégawatts [MW] rien que dans cette zone.

En parallèle, nous développons des centrales solaires dans chaque région du pays, et nous poursuivons nos efforts sur la géothermie et l’énergie marémotrice pour alimenter, à terme, la capitale. Je pense pouvoir dire aujourd’hui que l’indépendance énergétique du pays, constituée de sources 100 % renouvelables et bon marché, sera l’une des grandes avancées de ce quinquennat.

Où en sont les autres grands dossiers annoncés par le président lors de sa réélection ?

Sur la formation et l’emploi, la jeunesse et la question du genre – définies comme prioritaires par le chef de l’État -, d’importants efforts ont déjà été consentis. Plus de 5 000 emplois sont en cours de création dans les différentes filières liées au transport, et notre ambition reste de pouvoir fournir un emploi à tous les jeunes Djiboutiens.

Nous devons donc assurer leur formation et, entre autres, développer les filières technique et scientifique qui nous permettront de disposer d’une main d’œuvre qualifiée capable de répondre aux besoins déjà exprimés par le marché du travail djiboutien, tout en assurant à plus long terme le développement économique du pays.

Autre secteur identifié comme prioritaire : le numérique. Est-ce dans ce contexte que doit être comprise l’ouverture annoncée du capital de Djibouti Télécom ?

Tout à fait ! Le numérique est déjà partout et il doit permettre à Djibouti de réaliser tout son potentiel économique. À nous de faire savoir que nous sommes aujourd’hui le pays d’Afrique le plus câblé avec le reste du monde. Nous travaillons notamment au développement d’une fonction publique dématérialisée, avec une administration sans papier et des services disponibles à distance, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays.

Les élections législatives doivent se tenir en février 2023. Quel sera l’enjeu pour la majorité présidentielle ?

Ce scrutin sera l’occasion de montrer à la population les avancées qui ont pu être faites ces dernières années, notamment en matière d’éducation et de santé. Sur ces deux secteurs, Djibouti a réalisé un véritable bond en avant, avec la construction de nouvelles écoles à travers le pays, la formation des enseignants, et la construction d’un nouvel hôpital dans la capitale l’année prochaine. Nous allons également profiter de ces élections pour expliquer ce que nous comptons mettre en place dans les prochaines années, toujours dans le respect de la feuille de route définie par le président.

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