Algérie : peine de mort requise contre les assassins de Djamel Bensmail

Le musicien et peintre de 38 ans était venu aider les habitants des villages touchés par les incendies dramatiques de l’été 2021. Pris pour un pyromane, il a été battu à mort par la foule. Le procès n’a pas vraiment permis de reconstituer clairement l’enchaînement des faits.

Incendie de forêt à Tizi Ouzou, le 12 août 2021. © Mousaab Rouibi/Anadolu Agency via AFP

Publié le 21 novembre 2022 Lecture : 5 minutes.

En ce mois d’août 2021, le pays est dévoré par les flammes qui ont déjà détruit des dizaines de milliers d’hectares de forêts dans 26 wilayas, et causé la mort de plus 90 personnes, parmi lesquelles 33 militaires. Quand le feu s’est engouffré dans les hameaux nichés dans les forêts de Kabylie, les habitants ont refusé d’abandonner leurs terres et leur bétail. Avant l’arrivée des secours, ils ont tenté de contenir les incendies, aidés par des bénévoles qui se sont déplacés sur les lieux, et avec les moyens du bord : pulls, couvertures et branches d’oliviers.

Djamel Bensmail, musicien et peintre de 38 ans, avait quitté Miliana, sa ville natale, située à trois heures de route à l’ouest de Tizi-Ouzou pour prêter main forte aux villageois. À peine arrivé, il est pris à parti par une foule hystérique qui le bat à mort. Ce drame dans le drame qui s’est déroulé le 11 août en fin de journée, a été filmé par de nombreux habitants de la région.

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Le procès des présumés assassins de l’artiste s’est ouvert le 15 novembre, quinze mois après la tragédie, au tribunal criminel de Dar El Beida. Ce 19 novembre, le procureur a requis la peine capitale contre plus de 70 détenus qui comparaissaient pour « homicide volontaire avec préméditation », mais aussi pour « actes terroristes et subversifs contre l’État et l’unité nationale ».

Vidéos accusatrices

Une peine de 10 ans de prison a également été requise à l’encontre de 25 autres accusés jugés pour des faits délictuels, à savoir « attroupement armé, outrage à corps constitué et diffusion de photos et vidéos visant à semer le trouble ». Les auditions des accusés confrontés aux images du lynchage ont levé le voile sur les circonstances du meurtre, mais n’ont pas répondu à la question que tous les Algériens se posent : pourquoi la foule a-t-elle pris pour cible Djamel Bensmail, qui a été accusé de pyromanie ?

La première vidéo diffusée lors du procès est celle filmée par la victime avec son téléphone, récupéré par la police judiciaire. Elle montre des habitants de la région en train de saccager une Clio blanche dans laquelle étaient venus deux jeunes bénévoles de la wilaya de Boumerdès. Un groupe menaçant, n’appréciant visiblement pas qu’il ait filmé la scène, se forme autour de Djamel Bensmail, qui tente de trouver refuge auprès de la police. Une deuxième vidéo montre un fourgon de la sûreté nationale poursuivi par une foule en colère. L’artiste, torse nu, est extirpé du véhicule et roué de coups, tandis qu’il implore vainement ses bourreaux de l’écouter.

« Je vais mourir injustement », gémit la victime, le visage en sang et boursouflé. Un homme vêtu d’un pull blanc lui confisque son téléphone, tandis que des torrents d’insultes pleuvent sur lui. Son corps est ensuite trainé sur plusieurs mètres, sous le regard des policiers impuissants, brûlé sur la placette de Larbaâ Nath Irathen, puis décapité. Du carton, des herbes et du plastique sont jetés sur ses membres inférieurs pour alimenter les flammes. Les policiers présents ne sortent pas leurs armes, pas même pour procéder à des tirs de sommation afin de disperser la foule. Ils auraient agi ainsi par crainte de débordement, avait expliqué à l’époque la direction générale de la sûreté nationale.

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Le cadavre de Djamel Bensmail sera ensuite abandonné sur place pendant des heures, des passants le photographiant ou prenant des selfies postés sur Facebook. Les restes du corps calcinés seront encore visibles le lendemain.

Une semaine après cet assassinat, les autorités algériennes désignent le Mouvement pour l’autodétermination de la la Kabylie (MAK) : l’organisation indépendantiste est à la fois accusée d’être responsable des incendies, et d’avoir provoqué le lynchage du jeune artiste. Un mandat d’arrêt international est lancé contre son président, Ferhat Mehenni, qui crie à son tour au complot et soutient que « le pouvoir algérien est derrière le meurtre du jeune homme ».

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« Comme des pharaons »

L’un des objectifs du procès était de tenter d’y voir plus clair sur cette responsabilité éventuelle du MAK. Se succédant à la barre, tous les accusés ont nié avoir un lien quelconque avec le mouvement, classé à la suite de cette tragédie sur la liste des organisations terroristes. La plupart affirment avoir filmé le lynchage, d’autres reconnaissent juste avoir donné un coup de pied ou proféré des insultes. Confrontés aux images, certains se murent dans le silence. Dans une ambiance insoutenable, en présence des membres de la famille Bensmail, les avocats de la partie civile chargent les accusés.

« Vous vous êtes comportés comme des pharaons ce jour-là, ayez ce même courage aujourd’hui pour dire la vérité », lance l’un d’eux face au box des accusés. Il se tourne ensuite vers la salle et enchaine sur un ton théâtral : « Sur les photos, ils y sont tous. » Puis il détaille : « Lorsque la Clio a été immobilisée, les trois passagers ont pris la fuite. Deux d’entre eux ont rejoint le celibatorium – un centre d’hébergement pour les membres des forces de l’ordre – où les policiers leur ont donné des tenues de combat pour éviter qu’ils soient reconnus. Djamel a été récupéré par les agents de police en cours de route. Il pensait être en sécurité dans la voiture de police mais à cause de la foule en furie, le véhicule n’a pas pu arriver au commissariat ».

Barbarie

Me Benturkia évoque « un plan diabolique », soulignant que certains accusés font état d’ « un mot d’ordre donné par les activistes du MAK à certains de leurs militants. » Il n’hésite pas à entrer dans les détails du lynchage : l’ambiance dans le tribunal se fait lourde lorsque, voulant sans doute souligner la barbarie des assaillants, il rappelle qu’à l’autopsie, les médecins ont découvert que certaines parties du corps de la victime avaient disparu. L’avocat se tourne vers l’un des accusés, filmés en train d’expliquer qu’il avait « mangé en brochette » le corps de la victime. Apostrophé, l’homme garde le silence. À un autre, présenté comme celui qui a égorgé Djamel Bensmail, l’avocat demande pourquoi il s’est acharné sur un corps déjà carbonisé. « J’avais un cutter, mais il s’est cassé, alors j’ai utilisé un bistouri, répond l’accusé. C’est la foule en colère qui m’a demandé de lui couper la tête. » C’en est trop pour le père de la victime, qui quitte alors la salle d’audience, en larmes.

De son côté, la défense des inculpés s’est surtout attachée à rejeter les charges liées de terrorisme et de subversion. « Si quelques-uns parmi eux ont été membres du MAK par le passé pour militer en faveur de la langue et la culture amazighes, ils n’ont pas hésité à démissionner dès que ce mouvement s’est mis sur une ligne séparatiste », a plaidé un membre du collectif de défense. D’autres avocats ont insisté sur le fait que de nombreux accusés, victimes des incendies, « ont agi sous le choc en frappant Bensmail, sans avoir l’intention de le tuer ». Ils dénoncent aussi l’inculpation jugée « injuste » de certains commerçants de la localité « qui ont aidé les policiers et tenté de calmer la foule ».

Le verdict devrait être annoncé très prochainement par le tribunal. Quant aux circonstances réelles du meurtre de l’artiste, devenu pour les Algériens un symbole d’altruisme, le procès n’aura pas réellement permis de les élucider.

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