Côte d’Ivoire : la troisième vie de Guillaume Soro

Guillaume Soro a d’abord été chef de guerre, puis Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Le voici maintenant président de l’Assemblée nationale, mais cela ne l’a pas empêché, début août, de revenir sur le devant de la scène militaire… Enquête sur un caméléon qui ne fait pas mystère de ses ambitions.

Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, le 25 avril 2012. © AFP

Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, le 25 avril 2012. © AFP

Publié le 3 septembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Au perchoir de l’Assemblée nationale depuis mars 2012, Guillaume Soro entame une nouvelle carrière politique. Et à nouvelle fonction, nouveau style de communication. S’extirpant du carcan imposé par son mandat, celui qui s’est révélé aux Ivoiriens lorsqu’il dirigeait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) au milieu des années 1990 se veut proche du peuple. Adepte des réseaux sociaux, il a demandé à son équipe de communication de bâtir une stratégie interactive. Twitter, Facebook, Google+, web TV sur YouTube… Rien n’est oublié. Chaque jour (où plutôt chaque nuit, puisque Guillaume Soro, 40 ans, aime veiller tard), il y confie ses impressions intimes, y décrit jusqu’à sa relation avec ses enfants. Ses visites officielles y sont abondamment relatées et les partisans de l’ancien président Gbagbo, allègrement critiqués… Enfin, il prépare actuellement un livre d’entretiens avec un éditeur parisien. « Il se donne dix ans pour conquérir les coeurs », explique un de ses conseillers.

Moins stressé par la gestion du temps que lorsqu’il était à la primature (la dernière fois, ce fut entre décembre 2010 et mars 2012), il a toutefois des journées bien occupées. Ces derniers mois, il a étudié de près le fonctionnement du Parlement, s’est battu pour que les arriérés de salaire des députés soient versés et pour que les locaux de l’Assemblée dans le quartier du Plateau, à Abidjan, soient réhabilités. Aidé par une vingtaine de collaborateurs, dont certains travaillaient déjà avec lui à la primature, Soro a mis en place plusieurs cellules (communication, études et diagnostic, questions financières…) censées l’aider dans sa tâche et il étudie actuellement les conclusions d’un audit, réalisé par le cabinet Deloitte, pour améliorer le fonctionnement de l’institution.

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Dans l’esprit de Soro, l’Assemblée ne doit pas être une simple chambre d’enregistrement des décisions d’un régime hyperprésidentialisé. Il a d’ailleurs prévenu le Premier ministre, Jeannot Ahoussou-Kouadio, qu’il comptait bien demander aux ministres de venir défendre leurs dossiers devant les députés. Charles Koffi Diby, chargé de l’Économie et des Finances, a déjà pu parler de l’annulation de la dette. À la rentrée, ses collègues de l’Éducation, de la Jeunesse et de l’Emploi seront à leur tour invités à s’exprimer.

Tremplin

L’Assemblée sera un tremplin sur le chemin de la magistrature suprême, Guillaume Soro en est convaincu. Il sait que c’est une occasion en or pour nouer des liens étroits avec les partis politiques et policer son image, celle d’un chef de guerre devenu homme d’État. Il a même fait appel à un professeur de philosophie français pour rédiger ses discours, qui se veulent « empreints de sagesse ».

Ces derniers mois, il a rencontré le Burkinabè Blaise Compaoré, le Guinéen Alpha Condé, le Gabonais Ali Bongo Ondimba ou le Congolais Denis Sassou Nguesso.

En Côte d’Ivoire, Soro reçoit, et beaucoup, mais a bien soin aussi d’entretenir son réseau international. Ces derniers mois, il a rencontré le Burkinabè Blaise Compaoré, le Guinéen Alpha Condé, le Gabonais Ali Bongo Ondimba ou le Congolais Denis Sassou Nguesso. En juillet, il s’était rendu à Singapour et en Europe, s’était entretenu avec Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères, et Claude Bartolone, son homologue à l’Assemblée nationale française. Il avait même prévu de retourner à Paris pour rencontrer les socialistes, notamment Élisabeth Guigou, ex-garde des Sceaux, et Bertrand Delanoë, maire de Paris… Mais son passé militaire l’a rattrapé.

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Le 5 août dernier en fin de journée, Soro rejoint ses appartements du Golf Hôtel à Abidjan. Habitué à travailler la nuit, il surfe sur les réseaux sociaux et prépare la prochaine session parlementaire. Il lit les notes de ses conseillers et les rapports des présidents de commissions parlementaires quand il est appelé, à 3 h 30 du matin. Au téléphone, un de ses « petits », un jeune militaire : « Patron, ça tire à Akouédo ! » Le plus grand camp militaire de Côte d’Ivoire se trouve à Abidjan, non loin de la Présidence et de la Primature. Soro joint immédiatement le chef de l’État, qui a déjà été alerté.

La menace est sérieuse. Alassane Ouattara demande à son ancien Premier ministre de se mettre en contact avec le chef d’état-major de l’armée, le général Bakayoko. Soro envoie un de ses proches, le commandant Morou Ouattara (ancien commandant de zone à Bouna, dans le nord du pays), sur les lieux. Les assaillants sont mis en déroute, mais c’est le début d’une longue série de tentatives de déstabilisation du régime, qui s’est achevée, le 17 août, avec l’attaque menée contre Taï.

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Grand danger

Au palais présidentiel, on n’a pas vu le coup venir. Le 10 août, le chef de l’État doit se rendre au Ghana pour les obsèques de John Atta Mills. Il doit ensuite poursuivre par une visite en Arabie saoudite et a prévu de se reposer en France. Les premiers constats sont accablants : les rapports des services de renseignements n’ont pas été pris au sérieux ; la chaîne de commandement n’est pas opérationnelle car chaque unité agit de manière autonome, les pro-Gbagbo sont en train d’infiltrer l’armée… Le régime court un grand danger. Ouattara se résout donc à confier la conduite des opérations militaires à Soro, qui a déjà piloté la conquête du territoire lors de la crise postélectorale.

C’est dans la plus grande discrétion que l’ancien patron de la rébellion des Forces nouvelles (FN) rassemble alors les anciens comzones au Golf Hôtel. L’idée est de faire le point sur la situation sécuritaire et de jauger le moral des troupes. Les anciens chefs rebelles sont amers : en juin, on a voulu les mettre à la retraite en les nommant attachés de défense, leurs vivres ont été coupés et leurs hommes cantonnés. Le retour à la normalité est difficile à accepter.

À la demande du président, Soro engage une série de concertations avec tous les responsables de la défense. Les jours suivants, il consulte le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, celui délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi. Il demande aux différents responsables militaires de mettre en oeuvre des plans de sécurisation des villes. Un QG de crise est installé au Golf Hôtel. Lorsque Dabou est attaqué, le 15 août, et que les assaillants occupent la ville pendant quelques heures, Soro est encore à la manoeuvre. Il fait assurer la sécurité du préfet et des bâtiments publics. Aujourd’hui, après une riposte très musclée, la situation semble sous contrôle, mais de nouvelles attaques ne sont pas exclues d’ici à octobre pour perturber le démarrage de la campagne café-cacao.

Le chef de l’État doit maintenant accélérer la mise en place d’un Conseil national de sécurité et d’une autorité autonome chargée de procéder au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion des anciens combattants. Il est probable qu’il réorganisera aussi la chaîne de commandement. Soro, qui a été appelé à la rescousse, ne devrait plus apparaître sur le devant des opérations militaires, mais continuera à être consulté. Il devrait aussi plaider pour que les ex-comzones et les anciens cadres de la rébellion, qui lui sont restés fidèles, conservent leurs prérogatives.

Concurrence

Mais tous ne voient pas d’un bon oeil l’influence que Soro a conservée. Au Palais, les sécurocrates souhaitent installer leurs hommes, et les relations entre le président de l’Assemblée nationale et les ministres de l’Intérieur et délégué à la Défense sont tendues. Hamed Bakayoko et Guillaume Soro se gardent bien de le montrer au grand jour, mais une forte rivalité les oppose. Une guerre de succession larvée aurait-elle débuté ?

Soro s’est fait élire député sous la bannière du Rassemblement des républicains (RDR, parti de Ouattara), mais n’y a pas encore adhéré officiellement. Son intégration et celle de ses proches ne pourront se faire qu’à l’issue du prochain congrès du RDR dont la date n’a pas encore été fixée. Il devrait y revendiquer une place de choix, au risque de contrecarrer les ambitions de personnalités comme Hamed Bakayoko, Amadou Gon Coulibaly, le secrétaire général de la présidence, ou Amadou Soumahoro, secrétaire général du parti. Ils tenteront de lui faire barrage, Soro le sait. Du coup, celui-ci regarde aussi du côté du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié), une formation affaiblie et divisée qui se réunira en congrès en octobre. Habile, il a aussi conservé des contacts avec certains leaders de la jeunesse favorables à Gbagbo qu’il a connus sur les bancs de la Fesci.

En 2020, si Ouattara devait faire deux mandats successifs, Soro aura 48 ans… Mais la route est encore longue. En attendant, il fera sa grande rentrée médiatique le 3 octobre à Yamoussoukro. Ce jour-là, dans la ville d’Houphouët-Boigny, où il a acheté une résidence il y a un peu plus d’un an, il ouvrira la session parlementaire de fin d’année et redeviendra, peut-être, un président « normal » de l’Assemblée. 

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