L’indépendance du Cap-Vert, cette ultime victoire d’Amílcar Cabral

L’élan révolutionnaire qui habitait les jeunes Africains des années 1960 et 1970 a disparu. Mais cinquante ans après le décès du héros de la lutte pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, le 20 janvier 1973 à Conakry, son succès posthume est bien réel.

Amílcar Cabral fut à l’origine, avec quelques camarades, de la constitution du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), en 1956. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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© Hannah ASSOULINE/Opale

Publié le 20 janvier 2023 Lecture : 4 minutes.

En 1994, lors de la prestation de serment de Nelson Mandela, longtemps prisonnier durant le régime de l’apartheid, la belle-sœur d’Amílcar Cabral félicita le nouveau chef de l’État sud-africain en lui déclarant : « You are the best ! » Ce à quoi Mandela répliqua : « No, there is Cabral ! » Nelson Mandela savait reconnaître la grandeur. En effet, la figure d’Amílcar Cabral, aujourd’hui ignorée des opinions publiques, fut largement célébrée de son vivant, notamment lors de la conférence tricontinentale qui se tint à La Havane, en 1966, et qui eu une répercussion très importante. Amílcar Cabral, pas plus que le général Vô Nguyên Giáp, personnage considérable, n’était l’un de ces dirigeants spectaculaires dont raffolent les médias.

Le dernier héros blanc

Ernesto Che Guevara, en revanche, jouissait de tous les suffrages. Il dégageait une aura romantique. Argentin issu d’une famille aisée, il avait rejoint la guérilla cubaine en préparation au Mexique et s’était illustré dans la Sierra Maestra (1959-1962). Puis, après avoir triomphé de la tyrannie de Batista, il était allé chercher des aventures révolutionnaires en Afrique subsaharienne (Congo) et en Amérique du Sud (Bolivie) qui se soldèrent, l’une comme l’autre, par des échecs politiques et militaires. Comme théoricien, il ne pouvait se comparer à Giap. Comme politique, il ne pouvait rivaliser avec Cabral. Mais, dernier héros blanc, il avait su transformer son désastre militaire en Bolivie et au Congo en victoire personnelle.

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Il faut du temps pour situer les personnalités à leur juste place. À cet égard, Amílcar Cabral, comme Nelson Mandela, en Afrique, est à la toute première. Mais le combat qu’il a mené se déroulait dans un petit pays peu connu (la Guinée portugaise). Et son pays d’origine, le Cap-Vert, ne subit pas de conflit armé. La trajectoire d’Amílcar Cabral n’en demeure pas moins exemplaire. Métis appartenant à une élite jadis christianisée, il ne fait pas partie de ceux que les Portugais utilisent pour dominer. Il appartient au contraire à cette minorité cap-verdienne qui avait épousé la cause de l’indépendance et la nécessité d’une lutte de libération.

Travail de mobilisation

C’est ainsi qu’Amílcar Cabral, qui avait suivi des études d’agronomie et avait connu en Guinée-Bissau le terrain social, fut à l’origine, avec quelques camarades, de la constitution du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), en 1956. Après une expérience malheureuse en 1959, lorsque la police portugaise écrasa une grève de dockers à Bissau, Amílcar Cabral se replia sagement pour assurer un patient travail de mobilisation dans les campagnes. Tandis que les éléments islamisés, tels les Foulas, se révélaient réticents, les ethnies animistes apparurent les plus aptes à la mobilisation anticoloniale. Des cadres formés en Chine s’infiltrèrent dans les villages et s’assurèrent la complicité d’une partie de la population avant de passer à l’action.

Ainsi, en 1964-1965, de larges parties du pays échappent au contrôle des Portugais, tandis que le PAIGC organise des hiérarchies parallèles à celles imposées par les colons. Au début des années 1970, les villes sont tenues par les Portugais – comme les côtes, d’une façon générale –, et les régions islamisées penchent de leur côté, notamment dans le Fouta-Djalon. En revanche, le PAIGC est bien implanté dans les régions animistes. Pour tenter de redresser une situation qui lui échappait, il a fallu que le Portugal fasse appel à un renfort militaire sérieux et dépêche en Guinée-Bissau le général Spinola, qui avait mené la répression en Angola.

Propagande anticolonialiste

Mais une période d’offensive portugaise, couplée à des bombardements, empêcha l’extension des régions libérées. Amílcar Cabral, toujours actif dans les maquis, menait aussi une campagne de propagande anticolonialiste à travers le monde, y compris aux États-Unis (à l’Université de Syracuse). Il décida, de façon originale, de porter la lutte sur un autre terrain. Pour cela, il invita des observateurs des Nations unies à assister au vote de la population en faveur de l’indépendance dans les parties libérées, une pratique inédite. Et les Portugais, bien que prévenus, ne parvinrent pas à s’emparer des représentants de l’ONU qui pénétrèrent clandestinement en Guinée portugaise.

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Cette innovation eu à l’époque un retentissement considérable. En janvier 1973, le Portugal, grâce à une infiltration, parvint à dresser certains Guinéens contre les Cap-Verdiens, et Amílcar Cabral fut assassiné à Conakry par des membres de son propre parti. Mais l’appareil du PAIGC réussit à tenir et, de fait, l’indépendance fut proclamée et reconnue par une immense majorité de membres des Nations unies, à l’exception de ceux appartenant à l’Otan.

La victoire d’Amílcar Cabral est posthume. Elle sera par la suite entachée par des accusations de racisme. La Guinée-Bissau rompt en 1975 avec le Cap-Vert, et son président, Luis Cabral, demi-frère d’Amílcar Cabral, est destitué. Mais, ironie du sort, toujours en 1975, une importante révolte menée par l’armée coloniale, avec à sa tête le général Spinola, met à bas un régime colonial portugais en bout de course.

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Aujourd’hui, le Cap-Vert est un petit État dynamique dont la corruption n’est pas la caractéristique principale comme elle l’est dans la majorité des autres pays africains. Le Cap-Vert se développe et représente l’ultime victoire d’Amílcar Cabral.

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