Éthiopie : Mélès Zenawi, le négus mystérieux

Mélès Zenawi s’est éteint le 20 août, après plus de vingt années au pouvoir. Ancien marxiste converti avec succès au capitalisme, il avait su charmer à l’étranger et demeurait particulièrement respecté. Mais restait un autocrate chez lui.

Le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, le 27 janvier 2012 à Addis Abeba. © Tony Karumba/AFP

Le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, le 27 janvier 2012 à Addis Abeba. © Tony Karumba/AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 29 août 2012 Lecture : 6 minutes.

Mélès Zenawi est mort à 57 ans, dans la nuit du 20 au 21 août, comme il était parvenu au pouvoir il y a vingt et un ans : nimbé de mystère. Il était, semble-t-il, soigné depuis plusieurs semaines dans les cliniques universitaires Saint-Luc, près de Bruxelles, mais on ignore quelle maladie (une leucémie ?) l’a empêché de participer au sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba en juillet avant de l’emporter. Son porte-parole a évoqué « une infection brutale », sans plus de précision. Ainsi disparaît celui que l’UA a salué comme « l’un des plus grands fils de l’Afrique ». Un homme d’une trempe peu commune, que regrettent les Occidentaux et les Chinois, mais que les Shebab somaliens et son ancien allié érythréen vouent aux enfers.

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Scène de deuil devant le Palais national, à Addis-Abeba, le 23 août.

©AFP

Zenawi est né le 8 mai 1955 à Adoua, dans la province septentrionale du Tigré. Un symbole : c’est là que les troupes de l’empereur Ménélik II défirent l’armée italienne, en 1896. Ses parents, commerçants, pourvoient largement à son éducation. Il débute des études de médecine en 1972, et les abandonne deux ans plus tard lorsque le Derg, une junte marxiste, renverse l’empereur Haïlé Sélassié. Il fonde alors la Ligue marxiste-léniniste du Tigré, qui deviendra la colonne vertébrale du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), l’une des rébellions armées contre Mengistu Haïlé Mariam, alias le Négus rouge. Marxistes intellectuels contre marxistes militaires…

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Jamais vu au combat mais chargé de la formation idéologique des cadres du mouvement, il prend la tête du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), qui chasse le Derg et Mengistu en 1991. Il devient président de la république nouvellement créée jusqu’en 1995 et dote son pays d’une Constitution instaurant un curieux fédéralisme ethnique assorti d’un régime parlementaire. Il occupe ensuite le poste de Premier ministre, faisant de son pays un pôle de stabilité dans une Afrique orientale en pleine turbulence. Ce n’est pas de tout repos. Dès 1998, Issayas Afewerki, son ancien allié dans le maquis, qui a obtenu l’indépendance de l’Érythrée en 1993, attaque l’Éthiopie pour des raisons territoriales. Une vaine boucherie (80 000 morts) qui durera deux ans.

Gendarme régional

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Dans les années 1990, Mélès Zenawi a entamé sa mutation. Le guérillero marxiste s’est converti au libéralisme économique et joue la carte de l’Occident. Il lit l’hebdomadaire britannique The Economist et les rapports de la Banque mondiale, apprend à manier les concepts qui plaisent aux bailleurs de fonds, vante les vertus du marché et du libre-échange plutôt que de quémander une aide… qui ne lui fait pas défaut ! « Nous ne sommes pas une île, mais les étrangers ne peuvent pas agir à notre place. Nous devons élaborer avec eux des solutions gagnant-gagnant », proclame-t-il. Ses créanciers sont séduits.

Dans les années 1990, lorsqu’il joue le gendarme régional pour lutter contre les islamistes qui commencent à pulluler à ses frontières, la communauté internationale, Bill Clinton en tête, le classe parmi les « dirigeants de la renaissance africaine ». Il envoie des troupes et, parfois, des conseillers militaires et des armes dans la Somalie en décomposition (2006-2009, et depuis 2011), au Soudan, au Rwanda, en RD Congo et au Burundi. Chez lui, il traque le Front national de libération de l’Ogaden et le Front de libération de l’Oromo, qui réclament l’indépendance de leurs régions. Trois bataillons éthiopiens sont formés par des instructeurs américains.

Hostile à Mouammar Kadhafi, libéral et ouvert (à l’extérieur de son pays), antiterroriste à tous crins, il s’attire des éloges planétaires. En 2005, Jeffrey Sachs, le conseiller spécial de Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, le qualifie de « dirigeant parmi les plus brillants de sa génération » en lui remettant un prix. Tony Blair l’enrôle dans sa Commission pour l’Afrique. La Banque mondiale érige l’Éthiopie en modèle pour réussir une « révolution verte ». Zenawi l’introverti devient le porte-drapeau du continent. Il le représente au G20, préside le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), se pose en spécialiste du réchauffement climatique au sommet de Copenhague et a le privilège d’être reçu à Camp David, la résidence des présidents américains.

Poigne de fer

Dans l’imaginaire occidental, il figure en bonne compagnie au côté de despotes éclairés comme le Malaisien Mahathir, le Rwandais Paul Kagamé ou l’Ougandais Yoweri Museveni. C’est oublier sa face sombre. En vingt et un ans de règne, Zenawi aura tenu son pays avec une poigne de fer. En 2005, lorsque l’opposition remporte un quart des sièges aux élections législatives et que les Éthiopiens descendent dans la rue pour dénoncer un scrutin truqué, il réprime violemment les manifestations (200 morts). Les dirigeants de l’opposition sont condamnés à la réclusion à perpétuité et Birtukan Mideksa, leader de l’Union pour la démocratie et la justice, est contrainte de se repentir publiquement. En 2010, nul ne le croit lorsqu’il affirme qu’il est fatigué du pouvoir et que c’est le congrès du FDRPE, son parti, qui lui impose de se représenter. L’interroge-t-on sur les dizaines de journalistes ou d’opposants qui croupissent dans ses geôles ? Il riposte en demandant ce qu’il faut penser de la prison américaine de Guantánamo. Sachant que les villages qui ne votent pas pour le FDRPE ne sont ni électrifiés ni raccordés au réseau routier et que quelque 5,9 millions de personnes détiennent la carte de ce parti qui contrôle l’attribution des emplois, on comprend que son score dépasse allégrement les 99 %.

Terres arables, terres louables

Selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), l’Éthiopie loue à des consortiums agricoles étrangers quelque 3,6 millions d’hectares, notamment dans la région de Gambela (Ouest). Soit l’équivalent de la superficie de la Suisse. Le pays a accueilli à bras ouverts les capitaux qui font tant défaut à ses paysans, et les techniques qui vont avec. Ainsi l’indien Karuturi Global, numéro un mondial du marché des roses coupées, dispose de 100 000 ha et a pris une option sur 200 000 ha supplémentaires. Il compte y faire pousser aussi du maïs, de la canne à sucre et du palmier à huile. Un autre indien, Ruchi Group, cultive 25 000 ha et vient de réaliser sa première récolte de soja. La société saoudienne Saudi Star s’apprête à faire de la riziculture sur 10 000 ha et, un jour, sur 130 000 ha. Selon HRW, 70 000 personnes auraient été déplacées dans le pays pour les besoins de cette politique, parfois par la force. Faux, répond le gouvernement, qui certifie que les déplacements se font « exclusivement sur la base du volontariat ». Un peu trop beau pour être vrai…

Si les droits de l’homme ne fleurissent guère en Éthiopie, son économie prospère. Le taux de croissance a longtemps été à deux chiffres ; l’activité a doublé en cinq ans ; le nombre des étudiants a quintuplé en dix ans ; la compagnie Ethiopian Airlines est l’une des plus rentables du continent. Mélès Zenawi s’est inspiré du modèle chinois. L’État conserve la haute main sur les secteurs considérés comme stratégiques (banques, médias, télécoms, transports) et ouvre aux investisseurs étrangers les secteurs de l’agriculture et des infrastructures où l’argent fait défaut. Avec succès pour le moment. Toutefois, les successeurs du « dernier empereur » devraient prendre garde à trois signes inquiétants. D’abord, la croissance – certes encore élevée – pique du nez depuis quatre ans. Ensuite, la dette publique a été multipliée par quatre en six ans. Enfin, la pauvreté s’enracine, car les inégalités se creusent. De quoi méditer les conseils que Gao Xiqing, patron de China Investment Corp., le premier fonds d’investissements chinois, avait prodigués à Mélès Zenawi lors du Forum économique mondial sur l’Afrique organisé à Addis-Abeba le 9 mai. « Ne faites pas comme nous, l’avait-il averti. Évitez les taux de croissance vertigineux. Ils ont entraîné chez nous une grave pollution et une répartition très inégale des richesses. Vous disposez d’une page vierge, écrivez-y votre développement plus proprement. » Une amicale incitation à redresser la barre. 

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