Océan indien : si tu veux la paix, prépare la guerre…

Stratégique, idéalement située et très convoitée… La région est devenue en quelques années un paradis pour les états-majors, les vendeurs d’armes et les agences de sécurité privées.

Soldats déployés sous la bannière de la mission européenne Atalanta. © AFP

Soldats déployés sous la bannière de la mission européenne Atalanta. © AFP

Publié le 8 août 2012 Lecture : 6 minutes.

Au Yémen et en Somalie, on connaît bien la signification du mot reaper (« faucheuse »). Aux Seychelles, un peu moins. Voilà trois ans pourtant que ce paradis à touristes est régulièrement survolé par des drones ainsi baptisés appartenant à l’armée des États-Unis. Trois de ces engins, qui ne nécessitent pas de pilote et qui sont devenus l’arme privilégiée de Washington sur les théâtres de sa guerre contre le djihadisme, stationnent en permanence sur l’aéroport de Victoria. Le gouvernement seychellois envisage de s’en procurer. Le gouvernement mauricien aussi.

Un paradis, l’océan Indien ? Oui, pour les vendeurs d’armes, les états-majors et les agences de sécurité privées. On y trouve des drones, mais aussi des ­avions de surveillance et des bombardiers, des patrouilleurs en mer, des navires de commerce surarmés, des sous-marins nucléaires et des bases de première importance géostratégique. Il est loin le temps où les dirigeants des États de l’océan Indien rêvaient à un monde démilitarisé.

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C’était dans les années 1970. Avancé par le Sri Lanka, le projet d’un océan sans armes avait fait son chemin jusqu’à New York. En 1971, l’ONU adoptait la résolution 2832, qui faisait de l’océan Indien « une zone de paix ». En pleine guerre froide, le texte demandait aux grandes puissances « d’arrêter le processus d’escalade et d’expansion de leur présence militaire », « d’éliminer » de cette mer hautement stratégique « toutes les bases militaires » et de mettre fin à « la mise en place d’armes nucléaires ».

Des drones, des sous-marins, des bateaux de pêche surarmés… Il est loin le rêve d’un océan démilitarisé

Les guerres d’Irak et d’Afghanistan, ainsi que les menaces iranienne et islamiste, ont ramené les pacifistes à la raison : l’océan Indien est trop stratégique pour que les grandes puissances s’en passent. La résurgence de la piraterie dans le golfe d’Aden, un carrefour essentiel pour le commerce mondial, a achevé de convaincre les petits États insulaires que, pour assurer la défense de leurs intérêts, ils avaient besoin d’être bien protégés.

Flottes multinationales

Depuis trois ans, trois flottes multinationales croisent dans la région : l’opération Atalanta (menée par l’Union européenne), la Combined Task Force (à dominante américaine) et l’Ocean Shield (sous l’égide de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’Otan). Chacune de ces forces déploie en continu entre cinq et dix bâtiments de guerre, qui côtoient des patrouilleurs indiens, russes, japonais, coréens, chinois, et des navires commerciaux à bord desquels des militaires ou des agents de sécurité privés tiennent la garde.

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Ces flottes multinationales disposent de deux ports principaux : Djibouti, où se concentrent des bases permanentes française, américaine et japonaise, et les Seychelles, qui abritent le Centre régional de coordination du renseignement antipiraterie. C’est du port de Victoria qu’embarquent les agents de sécurité privés espagnols et les soldats français sur les thoniers européens. C’est dans ce même port, très sécurisé, que font escale les patrouilleurs des grandes puissances. C’est de l’aéroport international que décollent les drones américains et les avions européens de patrouille maritime.

Des navires et des avions européens stationnent régulièrement aux Seychelles.

Depuis quatre ans, les Seychelles ont conclu des Sofa (Status of Forces Agreement, des accords bilatéraux qui permettent le stationnement de militaires sur un territoire étranger) avec la France, le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) et les États-Unis. Victoria a également signé des accords similaires avec l’Inde et la Chine, coopère dans un cadre moins établi avec la Russie et négocie actuellement avec l’Otan.

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Si des navires et des avions européens stationnent régulièrement aux Seychelles, leur implantation n’est pas permanente. « Ils ne sont là que de septembre à avril. Pendant la mousson, les pirates n’attaquent plus. On a donc moins besoin d’eux », précise un diplomate seychellois. Seuls les États-Unis disposent de soldats positionnés en permanence sur l’archipel – ils seraient une centaine.

Chassés

Les Seychelles appartiennent ainsi à la constellation de bases aériennes plus ou moins secrètes que les États-Unis ont implantées en Afrique ces dernières années. Depuis octobre 2009, trois drones MQ-9 Reaper qui peuvent servir à la surveillance aussi bien qu’au combat, ainsi que trois avions de patrouille, sont basés à Victoria. Ils sillonnent régulièrement le ciel de l’océan Indien, de la Somalie et du Yémen.

Plus au sud, Maurice n’a pas signé de Sofa avec Washington, mais il s’en est fallu de peu – et ce n’est peut-être que partie remise. Les États-Unis ont bien tenté de s’y implanter, et le Premier ministre, Navin Ramgoolam, y était favorable. Mais il s’est heurté au veto de plusieurs hauts fonctionnaires mauriciens – un refus qui s’explique en partie par la discorde au sujet de l’archipel des Chagos.

Permis de tuer?

À en croire les câbles diplomatiques américains rendus publics par WikiLeaks, le fait que les drones stationnés aux Seychelles ne servent pas seulement à surveiller les pirates mais qu’ils puissent être également employés à tuer des combattants islamistes n’émeut pas les autorités locales. En septembre 2009, Jean-Paul Adam, qui était à l’époque le chef de cabinet du président James Michel, aurait affirmé que « le président n’est pas philosophiquement opposé à un tel emploi », mais que cela nécessiterait « la plus grande discrétion possible ». Aujourd’hui, il confirme : « Nous privilégions la surveillance. Si les Américains nous demandaient la permission d’armer les drones, notre réponse dépendrait de la nature de la mission. » Pour l’heure, poursuit-il, « ça n’est jamais arrivé ». R.C.

Au moment de l’indépendance de Maurice, ces îles situées au centre de l’océan Indien ont fait l’objet d’un deal entre les dirigeants mauriciens et britanniques de l’époque. Elles sont restées sous administration britannique et leurs habitants en ont été chassés. Aujourd’hui, Maurice revendique sa souveraineté sur ce territoire, mais l’enjeu est trop important pour que Londres consente à s’en séparer : depuis 1966, la principale île de l’archipel, Diego Garcia, que les Anglais louent aux Américains, est une base militaire de première importance. Le bail expire en 2016, mais selon toute vraisemblance il devrait être renouvelé. « On voit mal les Américains en partir, estime André Oraison, professeur des universités, enseignant à la Réunion de 1967 à 2008. Ils sont aujourd’hui près de 15 000 militaires à y travailler. Ils ont dépensé des millions de dollars pour l’aménager. » Diego Garcia a en effet joué un rôle majeur dans les guerres américaines de ces vingt dernières années, en Irak et en Afghanistan.

Les Etats-Unis, mais aussi la France et le Japon

Les États-Unis, qui disposent de plusieurs autres installations dans le Golfe (Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis), ne sont pas les seuls à stationner dans la zone. En 2011, le Japon a à son tour ouvert une base à Djibouti. Deux ans plus tôt, Paris inaugurait une nouvelle base à Abou Dhabi.

La France dispose en outre de deux bases permanentes (secondaires) à la Réunion et à Mayotte. L’une des raisons qui ont poussé la France à disloquer l’archipel des Comores, en 1975, et à rester à Mayotte se trouve d’ailleurs dans l’intérêt stratégique que représente l’île, située sur la route des pétroliers.

Les Forces armées en zone sud de l’océan Indien (Fazsoi) réparties sur les deux îles, fortes de 1 900 hommes et d’un arsenal complet (des frégates, des patrouilleurs, des avions de transport et des hélicoptères), ont pour mission de protéger le territoire national, mais elles peuvent aussi intervenir en cas de crise dans la région, et mènent des actions de coopération avec les pays de la côte sud-est de l’Afrique. Ce fut le cas récemment à Madagascar. Début juin, 300 hommes de l’armée française ont formé des militaires malgaches à combattre la piraterie. L’exercice se déroulait à Diégo-Suarez, une ville du nord du pays qui fut jusqu’en 1974 le fleuron de la présence militaire française dans la région, et que la France aurait bien conservé comme base navale si Didier Ratsiraka n’en avait décidé autrement. Au XVIIe siècle, c’était un repaire de pirates… 

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