En Tunisie, janvier, mois de luttes et de révoltes

1952, 1978, 1980, 1984, 2008… et bien sûr 2011. Dans l’histoire récente du pays, le début de l’année a souvent été une période « chaude » sur le plan politique. Tous les ingrédients semblent aujourd’hui réunis pour que 2023 confirme la règle.

En janvier 2011, les révoltes ont conduit à la chute du régime de Ben Ali. © FETHI BELAID/AFP.

Publié le 3 janvier 2023 Lecture : 4 minutes.

Traditionnellement, le premier mois de l’année en Tunisie est placé sous le signe de l’appréhension. L’opinion craint une agitation sociale devenue récurrente au fil des années, et rappelle aussi la fronde qui a conduit à la chute du régime de Ben Ali et à l’avènement de la révolution tunisienne, en 2011. Depuis, le moindre frémissement de la rentrée en septembre, la moindre bisbille entre gouvernement et syndicats ou n’importe quelle source de grogne sociale alimentent l’impression, collectivement partagée, que janvier sera chaud.

« Jeudi noir »

La récurrence des crises de début d’année s’est installée au fil des années autour de dates devenues des références mémorielles de la Tunisie contemporaine. Ainsi, le 18 janvier 1952, les Tunisiens se soulèvent contre les autorités du protectorat qui ont opéré un tour de vis sur le mouvement nationaliste. Les affrontements sanglants marquent le début de la lutte armée pour obtenir l’indépendance.

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Vingt-six ans plus tard, le 26 janvier 1978, le peuple est de nouveau dans la rue à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale dont la destinée est intimement liée à la lutte nationale et à la fondation d’un État moderne. Crise économique et difficultés à changer de braquet après l’échec du collectivisme exacerbent les tensions et les divergences de l’UGTT avec un pouvoir qui la veut sous sa coupe.

TUNISIA-RIOTS © UPI/AFP

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La confrontation aura lieu dans la rue et la répression sera sanglante : ce sera le « Jeudi noir », où des Tunisiens en ont abattu d’autres sur instructions du commandement sécuritaire. Le 28 janvier devient le symbole de l’opposition aux autorités.

Révoltes et révolutions

Le 26 janvier 1980, un groupuscule financé et armé par les services libyens et algériens attaque, avant d’être mis en échec, une caserne à Gafsa dans ce qui sera la première offensive armée menée contre le régime. La contestation sociale est au diapason des maux du pays : le 3 janvier 1984, un mouvement de protestation contre une augmentation du prix du pain, initié à Douz (Sud), se répand dans tout le pays. Le même mécontentement mettra le feu aux poudres dans le bassin minier en janvier 2008 : la révolte dénonce la corruption et le népotisme qui entache l’exploitation du phosphate et toute la région. Là aussi la répression sera terrible, mais la graine de la révolution est semée. Elle germera en 2011 et conduira à la chute du système politique.

Pour certains, supposer que janvier sera chaud semble un euphémisme voire une évidence. Mais il est des années, telles 2023, où des raisons économiques et sociales font que le point d’ébullition semble être atteint. Les images des mouvements protestataires en milieu urbain sont impressionnantes mais les derniers soulèvements sont tous partis du Sud, comptant parmi les régions demeurées à l’écart du développement.

TUNISIA-BREAD-RIOTS © TAP/AFP.

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« Les mêmes causes ont produit les mêmes effets, avec un durcissement de ton sans que personne n’en tirent un enseignement jusqu’au soulèvement de 2010-2011 », remarque un militant du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Et d’estime que « les Tunisiens sont résilients, mais débutent une nouvelle année avec des attentes précises, d’autant que différentes promesses ont été formulées dès octobre pour éviter que les esprits ne s’échauffent et impactent les bilans de clôture d’année ».

Une grève dès le 2 janvier

À cette aune, les actuelles tensions en Tunisie pourraient être considérées par certains comme étant une réaction passagère avant que les autorités ne mettent en place les mesures concernant 2023. Il serait toutefois réducteur de ramener le mécontentement actuel à un réflexe social, alors que la Tunisie a débuté l’année avec une grève des transports publics dans la capitale le 2 janvier et l’annonce de l’épuisement du stock stratégique de lait le 3. « Et demain ? » se demande une quinquagénaire, agent d’assurance et qui estime ne plus faire partie de la classe moyenne mais de la strate haute de la précarité. Cette question imprime une dynamique au temps : elle est portée par la majorité des Tunisiens durant toute l’année et finit en un cumul d’angoisses et de frustrations, qui s’épanche dans un sursaut de colère en janvier.

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« S’il y avait du concret, de véritables avancées, au moins une seule mais notable, il n’y aurait plus de mouvements sociaux en janvier », remarque l’anthropologue Kerim Bouzouita. Or, c’est « le mois de la mise en place de la loi de finances et du programme des importations ». C’est aussi le mois où le pays se souvient de son enracinement à l’agriculture, où la nature fait sa dormance et réclame moins d’attention, où tout le monde fait ses comptes pour pouvoir y trouver son compte. Ce qui, les années passant, semble de plus en plus chimérique. Avec le changement climatique qui met le pays sous stress hydrique sans que les autorités ne s’en alarment réellement, et avec des plantations qui bourgeonnent sous l’effet de températures très douces, la saisonnalité des colères de janvier a-t-elle encore sens ? Comme si, pour les soulèvements aussi, il n’y avait plus de saison, à mesure que s’installe une sorte de résilience… ou de sidération

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