En Algérie, la retraite de l’homme qui a failli être président

Ancien ministre de la Culture sous Bouteflika, Azzedine Mihoubi était passé tout près du pouvoir suprême en 2019, au terme d’un scrutin dans lequel s’affrontèrent les services secrets et l’armée.

L’ancien ministre algérien de la Culture Azzedine Mihoubi devant un bureau de vote à Alger lors de l’élection présidentielle, le 12 décembre 2019. © RYAD KRAMDI/AFP

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Publié le 5 janvier 2023 Lecture : 5 minutes.

La retraite après le retrait. L’ancien ministre de la Culture, ex-candidat à la présidentielle de décembre 2019, Azzedine Mihoubi, 64 ans, prend sa retraite politique. Dans un message posté sur sa page Facebook, il explique qu’il va désormais se consacrer « au travail d’écriture et à l’acte culturel par lesquels [il a débuté sa] carrière voilà une quarantaine d’années ».

L’annonce de la retraite de cet ancien journaliste et auteur (48 ouvrages) qui a dirigé le ministère de la Culture entre 2015 et 2019 n’a pas suscité de réactions particulières, tant il s’est tenu à l’écart de la vie politique depuis l’échec de sa candidature à l’élection remportée par Abdelmadjid Tebboune.

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Aucune activité partisane

Sur son compte Facebook suivi par 69 000 personnes, il se contente de faire la promotion de ses œuvres littéraires, de commenter l’actualité culturelle ou de parler de foot. Jamais d’activité partisane, jamais de critique à l’égard du président ou du gouvernement ni même de commentaires sur la situation sociale. Comme si Azzedine Mihoubi n’avait jamais sollicité la confiance de ses concitoyens pour « apporter des solutions sérieuses et durables aux multiples défis que connaît son pays », comme il le professait dans une interview accordée à Jeune Afrique à la veille de la dernière élection présidentielle.

Un an après ce scrutin, Azzedine Mihoubi aurait pu passer sous les fourches caudines de la justice comme bon nombre de ses anciens collègues des gouvernements successifs de Bouteflika, qui purgent aujourd’hui de lourdes peines de prison pour corruption ou abus de pouvoir. En décembre 2020, il a été entendu par un magistrat d’Alger dans le cadre d’une enquête pour corruption présumée dans le secteur de la culture dans laquelle la productrice Samira Hadj Djilani, qui fut sa directrice de communication lors de la campagne électorale de 2019, a été poursuivie pour « blanchiment d’argent », « abus de fonction », « dilapidation de deniers publics » et « fuite de capitaux vers l’étranger ».

Interdit de quitter le territoire

Azzedine Mihoubi était ressorti libre du bureau du juge, mais pas Samira Hadj Djilani : incarcérée pendant deux ans à la prison d’El Harrach, elle a fini par être acquittée. Cette affaire a cependant laissé des traces chez Mihoubi, qui a écopé d’une ISTN (Interdiction de quitter le territoire). Ceux qui le connaissent jurent que l’homme n’est pas porté sur l’argent. Pas vraiment porté non plus sur la politique.

On ne sait pas vraiment ce qui a poussé cet ancien ministre de la Culture à se porter candidat à l’élection présidentielle de 2019 sous l’éthique du RND (Rassemblement national démocratique), tant il n’a jamais fait part d’une quelconque ambition politique dans sa carrière de ministre. En revanche, on sait qu’il aurait pu devenir président de la République à la place de Tebboune si le plan du général-major Wassini Bouazza, ancien patron de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), n’avait pas capoté quelques heures avant le scrutin du 12 décembre.

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Le poulain du général

Avant la chute de Bouteflika en avril 2019, Wassini Bouazza avait pris une influence considérable, tant au sein de l’armée et des services de renseignements que dans le clan présidentiel. Après le départ forcé de l’ancien chef de l’État, Bouazza devient encore plus puissant, encore plus machiavélique, encore plus ambitieux. Or pour le scrutin de cette année-là, le général a un poulain : Azzedine Mihoubi, dont il veut faire le prochain président.

Pour booster la candidature du ministre de la Culture, il faut compromettre, affaiblir, discréditer celle d’Abdelmadjid Tebboune, présenté comme le candidat du pouvoir et de l’armée que dirige alors d’une main de fer Ahmed Gaïd Salah (disparu en décembre 2019).

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Rouleau compresseur

Le premier coup de Bouazza pour torpiller Tebboune vise deux de ses amis : l’homme d’affaires Omar Alilat [aucun lien de parenté avec l’auteur de ces lignes, ndlr] et l’ex-conseiller à la présidence Zine Hachichi. Inculpés pour corruption présumée, ils sont placés sous mandat de dépôt le 20 novembre. Le coup est tellement dur pour Tebboune et son équipe qu’ils croient la partie finie. Comment résister au rouleau compresseur du général Bouazza, de ses réseaux ? À la puissance et à la capacité de nuisance des services qu’il dirige ?

Le deuxième coup est encore plus dévastateur. Presque un classique du kompromat. Les hommes de Bouazza sollicitent la chaîne privée Ennahar dont le patron, Anis Rahmani, aujourd’hui en prison, est spécialiste des coups tordus et des campagnes visant à discréditer des responsables politiques ou des hommes d’affaires.

Le lendemain de l’emprisonnement des deux amis de Tebboune, Ennahar publie des clichés privés de ce dernier à l’époque où il était Premier ministre, entre mai et août 2017. Les photos prises lors de ses vacances estivales ou à bord d’un jet privé, montrent Tebboune en compagnie d’hommes d’affaires algériens et turcs. Objectif : salir, discréditer et compromettre le rival de Mihoubi. Enterrer sa candidature ou du moins, la plomber.

Opération classique des services

À quelques jours du scrutin, Azzedine Mihoubi passe du statut de lièvre à celui de candidat de l’armée. Wassina Bouazza ordonne au Premier ministre Noureddine Bedoui de favoriser la candidature de son protégé. Bouazza actionne partout ses relais, ses réseaux, ses amis, ses obligés pour faire élire son poulain. Il ordonne à un cadre du ministère de l’intérieur qui a été affecté à l’ANIE (Autorité nationale indépendante des élections ) de manipuler les résultats du scrutin en faveur de Mihoubi.

Une opération classique des services et du ministère de l’Intérieur, qui a fait ses preuves dans tous les scrutins organisés depuis l’avènement du pluralisme en 1989. Lorsque ce cadre refuse, Bouazza le fait remplacer par l’un de ses hommes. La veille du vote, Azzedine Mihoubi a déjà un pied au Palais d’El Mouradia. Le plan du patron de la DGSI, avec le concours de Bedoui, est sur le point de réussir.

Méthodes brutales

Informé de l’opération fomentée par Wassina Bouazza pour faire élire l’ex-ministre, le vice-ministre de la Défense et redoutable chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah entre dans tous ses états. Mihoubi président ? Il faudrait lui passer sur le corps ! On ne saura sans doute jamais si Gaïd à imposé Tebboune, mais il s’est clairement opposé au plan de Bouazza. Pour qui connaît le caractère volcanique et le tempérament vindicatif du vice-ministre de la Défense, on imagine la brutalité des méthodes auxquelles il a dû recourir pour s’opposer aux plans du patron de la DGSI.

Le 12 décembre 2019, Tebboune est élu président et Mihoubi arrive en quatrième position avec 619 225 voix. Il ne sera jamais président comme le voulait Bouazza. En avril 2020, celui-ci est jeté en prison. Il y est toujours, purgeant une lourde peine de réclusion à la prison militaire de Blida suite à plusieurs condamnations pour, notamment, « entraves à l’opération électorale ». Quant à Azzedine Mihoubi, il ne s’est jamais exprimé sur cette élection qu’il aurait remporter.

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