États-Unis : leur guerre secrète en Afrique

De la Mauritanie aux Seychelles, les Américains tissent en toute discrétion un vaste réseau de bases militaires. Objectif : surveiller les organisations terroristes, lutter contre la piraterie et assurer la sécurité des compagnies pétrolières.

Un militaire américain avec des soldats de l’UA. © AFP

Un militaire américain avec des soldats de l’UA. © AFP

Publié le 29 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

Dans le ciel azuré du Niger ou du Tchad, un petit point blanc apparaît. Un vrombissement de moteur se fait à peine entendre. Il ne s’agit ni d’un avion de ligne à 10 000 mètres d’altitude ni d’un chasseur dont la vitesse et le bruit auraient été remarqués depuis longtemps. Il s’agit d’un simple appareil de tourisme – un Pilatus PC-12, pour être précis. Sans marquage particulier, ce petit avion de fabrication suisse, dont le principal atout est justement de passer inaperçu, est en réalité loin d’être comme les autres. Bourré d’électronique et de caméras, il appartient à une flotte d’une vingtaine d’autres dont la principale mission est de quadriller les zones où sévissent les groupes identifiés comme terroristes – Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Armée de résistance du Seigneur (LRA), Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (Aqpa) et Shebab. Outre leur équipement, les Pilatus PC-12 et autres PC-6 ont comme particularité d’appartenir à l’armée des États-Unis. Celle-ci dispose désormais, sur un territoire allant de l’océan Atlantique à l’océan Indien, d’une dizaine de bases à partir desquelles elle mène en toute discrétion une surveillance très serrée afin de repérer les déplacements de ces formations jugées dangereuses.

L’existence de ce réseau discret de bases a été révélée le 14 juin par le Washington Post. Selon le quotidien américain, elles sont supervisées par les forces des opérations spéciales, mais gérées en grande partie par des sociétés privées (lire encadré p. 12). L’une des plus importantes en termes stratégiques est celle de Ouagadougou, implantée dans la partie militaire de l’aéroport international. Une soixantaine d’Américains y travaillent le plus discrètement possible pour entretenir des Pilatus PC-12 qui sillonnent le ciel du Sahel et du Sahara. Leur rôle est devenu encore plus vital depuis que le nord du Mali est tombé entre les mains des islamistes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad.

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Pizzéria

La présence à Ouagadougou ne date pas d’hier. Selon une source militaire jointe par Jeune Afrique dans la capitale burkinabè, elle remonte à 2008 et au coup d’État, à Nouakchott, de Mohamed Ould Abdelaziz. « Les Américains ne pouvaient plus mener leurs opérations depuis la Mauritanie, explique un officier burkinabè qui a souhaité conserver l’anonymat. Ils se sont rabattus sur le Burkina. » Un pays que Washington juge stratégique au vu de sa position géographique et dont les diplomates américains ne cessent de louer la stabilité. Au fil des ans, Blaise Compaoré a en effet su gagner leur confiance. Dans les câbles diplomatiques américains révélés par WikiLeaks en 2011, le président burkinabè est décrit comme un allié de poids. En juillet 2009, un de ces câbles rapporte que le ministre de la Défense de l’époque, Yéro Boly, a proposé une zone retirée de la base aérienne de Ouagadougou pour rendre encore plus discrète la présence des avions américains. « Le problème n’est pas la présence de ces avions », aurait indiqué le ministre. La discrétion est toujours de mise. « No comment », répond un proche collaborateur du président.

Collecte de renseignements bombardement ciblés, chasse à l’homme…

La question de la présence de soldats occidentaux dans le pays (qu’ils soient français ou américains) dérange au plus haut point. « Il faut nous comprendre, indiquait il y a quelques semaines un conseiller de Compaoré. Les gens d’Aqmi lisent la presse. Quand nous négocions la libération d’otages, ils nous en parlent. Cela ne facilite pas notre tâche. » Aujourd’hui, les Américains sont identifiés à Ouaga. Ils aiment notamment fréquenter une pizzéria située au coeur de la ville. Mais peu de Burkinabè savent ce qu’ils font ici. Officiellement, « de l’humanitaire », indique un responsable public. La tension qui règne dans le Nord malien incite aussi le Pentagone à renforcer sa présence en Mauritanie. Initialement implantée à Nouakchott, la base a été fermée après le coup d’État du 6 août 2008. Actuellement, affirme le Washington Post, les Américains auraient débloqué plus de 8 millions de dollars pour rénover une base proche de la frontière malienne et mener des opérations de surveillance conjointes avec les forces mauritaniennes.

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Main-forte

Les deux autres points chauds qui ont incité les États-Unis à mettre en branle leur dispositif sont le Nigeria, avec la montée en puissance de Boko Haram, et la Somalie, où les activités des Shebab entretiennent une instabilité chronique. Plus récemment, en Afrique centrale, dans le nord de l’Ouganda et l’extrême est de la Centrafrique, une centaine d’hommes des forces spéciales ont été dépêchés pour prêter main-forte dans la chasse à l’homme qui vise Joseph Kony, le leader de la LRA. Cette dernière mission tranche avec toutes les autres, car elle place en première ligne des uniformes américains. Partout ailleurs, leur présence est presque invisible.

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À Stuttgart (Allemagne), siège du commandement régional pour l’Afrique (Africom), on explique cette volonté de rester discret par « le besoin de travailler de concert avec [nos] partenaires africains pour faciliter la mise en oeuvre d’opérations et de missions qui favorisent [nos] objectifs communs en matière de sécurité » sans avoir à faire une démonstration de puissance. Le général Carter Ham, qui dirige l’Africom, a souligné en mars dernier devant une commission du Congrès la nécessité pour les États-Unis d’accroître le RSR en Afrique, à savoir le renseignement, la surveillance et la reconnaissance. « Si nous ne disposions pas de bases sur le continent, nos moyens en RSR seraient limités et cela contribuerait à fragiliser la sécurité des États-Unis », a-t-il déclaré.

Télécommandés

Toutefois, ces opérations secrètes ne se limitent pas à la collecte de renseignements et à la surveillance. Sur les bases implantées à Djibouti, en Éthiopie et aux Seychelles, les Américains ont déployé des drones Predator et Reaper déjà utilisés dans la lutte contre Al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan. Grâce à ces appareils sans pilote et télécommandés, les militaires américains peuvent mener des opérations de bombardements ciblés pour éliminer des combattants, notamment au Yémen ou en Somalie. Ils servent également à contrer les assauts des pirates dans l’océan Indien. Dans ces deux zones où les intérêts américains sont directement menacés, la présence militaire est beaucoup moins discrète.

Washington privatise la surveillance

Au cours des dix dernières années, le Pentagone a renforcé ses liens avec des « contractors », des sociétés privées spécialisées, pour des opérations de sécurité en Irak et en Afghanistan. Dans les années 1990, la proportion était de 1 civil pour 50 militaires. Désormais, elle s’établit à 1 pour 10. Si leurs méthodes dans ces pays ont parfois été décriées, cela n’a pas empêché Washington de se tourner vers ces entreprises pour qu’elles prennent en charge la surveillance et la collecte d’informations dans le Sahel et le Sahara. Elles fournissent avions, pilotes, mécaniciens et analystes de données, tout en garantissant la discrétion exigée par le Pentagone puisque leur personnel ne relève pas de l’armée. L’exemple américain est désormais suivi par d’autres pays comme la France, où des sociétés comme Strike Global Services (SGS) ont vu le jour. Celle-ci assure notamment la formation de futurs détachements de l’ONU à Djibouti. C.L.

À Djibouti, le Camp Lemonnier, seule base permanente américaine en Afrique, où sont stationnés 1 200 hommes, abrite des U-28A, appareils militaires de surveillance. Les activités de piraterie le long de la côte somalienne expliquent en grande partie pourquoi les Américains sont moins enclins à se cacher que dans le Sahel. Aux Seychelles, c’est le président James Michel lui-même qui a demandé aux Américains de venir. « Michel a fait des pieds et des mains pour que les Américains installent une base », explique une source gouvernementale seychelloise. Un accord bilatéral permettant le stationnement de militaires américains a été signé en juin 2009.

Lors de son passage devant les parlementaires, le général Carter Ham a aussi déclaré qu’il souhaitait pouvoir établir une nouvelle base de surveillance à Nzara, au Soudan du Sud. Là encore, ce projet s’explique par le contexte local. Les tensions entre le Soudan et son voisin méridional riche en hydrocarbures ne laissent pas indifférent Washington, qui doit assurer la sécurité des compagnies pétrolières présentes dans la région. Quelle que soit la manière dont les États-Unis mènent leurs opérations – en toute discrétion ou au grand jour -, leur intérêt pour l’Afrique démontre que celle-ci est devenue un enjeu majeur dans leur stratégie depuis 2007, année où ils ont commencé à établir leur réseau de bases. Rappelons qu’au cours des cinq dernières années les investissements directs américains sur le continent ont augmenté de 40 %. CQFD. 

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