Mimi Touré : « Marine Le Pen n’aurait jamais dû être autorisée à venir au Sénégal »

Au regard du passé, des discours et de la ligne politique de son parti, la présidente du Rassemblement national, principale formation de l’extrême droite française, n’est pas la bienvenue au pays de la Teranga.

Marine Le Pen au Sénégal, le 17 janvier 2023. © Compte Twitter Marine Le Pen

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  • Aminata Touré

    Militante des droits humains, ancienne Première ministre et ex-présidente du Conseil économique, social et environnemental.

Publié le 18 janvier 2023 Lecture : 3 minutes.

Le Sénégal s’honore d’être un pays d’accueil et de brassage, de tolérance et d’ouverture. De nombreux étrangers, de toutes origines, ont choisi d’en faire leur lieu de vie et d’épanouissement. Cela est très bien ainsi. Depuis des temps immémoriaux, cette tradition d’hospitalité (la Teranga, en langue wolof) est ancrée dans notre culture – ou plutôt dans nos cultures, car nous comptons 22 langues codifiées au Sénégal. Les brassages culturels et ethniques y sont la norme. C’est ce « vivre ensemble » qui contribue largement à notre volonté atavique de dialogue et qui est, in fine, un des gages de notre stabilité.

Le Sénégal est aussi un pays de fierté et de refus. De refus de l’indignité. De refus de l’aplatissement. C’est pourquoi il est inacceptable que Marine Le Pen, dirigeante de 2011 à 2021 du Front national [renommé Rassemblement national en 2018], parti raciste et xénophobe français, ait été autorisée à fouler le sol sénégalais. Depuis des décennies, nos centaines de milliers de compatriotes africains vivant en France subissent les attaques racistes verbales – et même physiques – du Front national, lequel a d’abord été dirigé par son père, Jean-Marie Le Pen.

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Terreur

Je me souviens encore, quand j’étais étudiante en France, de la violence raciste et de la terreur que faisait régner sur les campus français le GUD (Groupe Union Défense), organisation estudiantine d’extrême droite violente et directement liée au Front national. À l’annonce de la présence de ses membres sur le campus, nous, étudiants africains et arabes, nous terrions dans nos chambres pour ne pas être victimes de leurs expéditions punitives sans fondement. Le mouvement « Touche pas à mon pote », initié par l’association SOS Racisme, en 1985, avait constitué une riposte massive de la jeunesse de l’époque, dans toute sa diversité, à ces militants d’extrême droite.

Des anciens dirigeants du GUD, Frédéric Chatillon et Axel Loustau, sont toujours actifs aux côtés de Marine Le Pen et figuraient même dans son équipe de campagne lors de l’élection présidentielle française de 2022. Le 3 novembre dernier, Grégoire de Fournas, député du Rassemblement national, injuriait par ailleurs le député Carlos Martens Bilongo en pleine séance à l’Assemblée nationale en déclarant « Qu’il[s] retourne[nt] en Afrique ! ». Bref, le Front national, bien que rebaptisé Rassemblement national, continue à faire du racisme, de la xénophobie et de la haine de l’autre son principal fonds de commerce politique.

Veiller sur notre fierté

Pourquoi les autorités sénégalaises ont-elles donc autorisé le séjour de Marine Le Pen au Sénégal ? Elles ont manqué l’opportunité de symboliquement lui signifier notre dégoût collectif du discours raciste et haineux que son parti tient depuis des décennies en France à l’endroit des Africains, à tel point que le racisme, pourtant puni par le code pénal français, est aujourd’hui banalisé voire intégré dans cette France pourtant si souvent surnommée « patrie des droits de l’Homme ».

Il est temps pour nos leaders africains d’avoir une tolérance zéro pour le racisme

À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler l’existence d’une Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur en 1969, et dont la France et le Sénégal font partie des 182 pays signataires. Voilà une base légale solide qui aurait permis aux autorités sénégalaises de mettre Marine Le Pen dans le premier avion pour une destination qu’elle aurait elle-même choisie.

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Il est temps pour nos leaders africains d’avoir une tolérance zéro pour le racisme et pour tous ceux qui l’incarnent, le professent et le pratiquent. C’est ce que notre jeunesse, qui constitue 70% de la population africaine, attend d’eux. Il est temps qu’ils veillent sur notre fierté et notre dignité.

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