« Pour la France », une odyssée familiale qui porte le deuil de Jallal Hami, mort noyé à Saint-Cyr

Le réalisateur Rachid Hami revient sur l’histoire de son frère, un brillant élève-officier de l’école militaire française, décédé lors d’un bahutage. Loin de l’affaire judiciaire, il signe avant tout un portait nuancé mais résolument politique d’une famille qui a fait beaucoup de sacrifices, sans renoncer à sa culture.

Dans « Pour la France », Karim Leklou incarne Ismaël, à g.) et Shaïn Boumedine, son frère Aïssa, qui rêve de devenir officier de l’armée française. © Gophoto/MizarFilms.

eva sauphie

Publié le 8 février 2023 Lecture : 5 minutes.

Pour Rachid Hami – vu notamment dans L’Esquive d’Abdellatif Kechiche –, le travail du cinéma n’est pas celui de la justice. Le 29 octobre 2012, son frère cadet, Jallal Hami, un élève-officier de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr, meurt noyé lors d’un rituel d’intégration organisé par ses camarades, reconstituant le débarquement de Provence du 15 août 1944. Mais pas question avec Pour la France, deuxième long-métrage du réalisateur et acteur, de régler des comptes. La justice a parlé.

Huit ans après les faits, sept militaires et ex-soldats ont comparu pour homicide involontaire. Trois d’entre eux ont été condamnés à quelques mois de prison avec sursis, quatre ont été relaxés. « Je vous remercie d’avoir trahi mon frère. Vous m’avez déçu et vous avez déçu notre justice », avait alors prononcé Rachid Hami à l’annonce du verdict, en 2020. Dans son film, le cinéaste renonce volontairement à toute enquête pour se concentrer sur les funérailles de celui qui porte le nom d’Aïssa Aïdi – joué avec justesse par Shaïn Boumedine – dans la fiction.

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Que faire de la dépouille de ce jeune officier né en Algérie et mort pour la France sans avoir combattu ? Lui offrir une cérémonie miliaire aux Invalides comme le propose la direction de Saint-Cyr, ou se contenter du carré musulman de Bobigny, comme le préconise l’état-major de l’armée de terre ? « Le film n’est pas une revanche teintée de colère. Il est très porté sur les individus, sur les nuances qui les composent, tout comme sur les nuances qui composent les institutions », revendique le réalisateur de 37 ans, lors d’une interview accordée à Jeune Afrique à l’occasion de la sortie en salles de son film, ce 8 février.

Manque de perspectives

C’est au romanesque que Pour la France empreinte ses codes, faisant naviguer sa narration sur trois continents : l’Afrique (les scènes qui se passent en Algérie ont été tournées au Maroc), l’Europe et l’Asie (à Taïwan plus précisément), où Aïssa effectue son année de césure. Rachid Hami modifie volontiers les prénoms pour ne pas tomber dans l’écueil naturaliste ni dans celui du documentaire, afin de raconter au mieux « une odyssée familiale ». Une famille issue de la bourgeoisie algéroise portée par une mère intellectuelle – interprétée par la brillante Lubna Azabal –, qui décide de quitter l’Algérie alors en proie à la guerre civile et à la montée du Front islamique du salut (FIS). Enceinte, elle part avec ses deux enfants pour leur offrir un avenir meilleur en France. À Pierrefitte-sur-Seine, où ses frères et lui ont grandi, le réalisateur préfère Bobigny, commune populaire située à la périphérie de Paris, pour camper son histoire.

Le premier fils, Ismaël dans la fiction – campé par l’excellent Karim Leklou –, peine à trouver sa voie entre les barres d’immeubles. « La vraie tragédie des banlieues, c’est le manque de perspectives et d’horizon, l’isolement et l’ennui, assure Rachid Hami. Et pas la violence que l’on veut bien lui prêter. Les émeutes sont des microphénomènes qui interviennent une fois tous les 5-10 ans. » Le second fils, Aïssa, ce garçon né en Algérie et qui rêve de devenir officier de l’armée française, rejoint quant à lui les bancs de Science Po avant d’intégrer Saint-Cyr. Et d’incarner la réussite et l’excellence françaises.

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La France et sa devise, un idéal plus qu’une réalité

D’aucuns verront Pour la France comme l’histoire d’un dévouement. « C’est un sacrifice plus qu’un dévouement, nuance le cinéaste. C’est l’histoire d’une femme qui se sacrifie pour ses enfants et qui sacrifie sa famille en quittant son mari Adil [Samir Guesmi], l’histoire d’un homme qui sacrifie sa paternité et son humanité, d’un fils qui sacrifie son enfance pour devenir un homme trop tôt, d’un autre fils qui est prêt à donner sa vie en devenant miliaire pour défendre un idéal à la fois républicain et démocratique. »

Mais s’il y a bien un sacrifice que cette famille ne fait pas, c’est celui de renoncer à sa culture. Intégrée sans être assimilée. Voilà le tableau de la famille Saïdi que brosse Rachid Hami, n’en déplaise à ses détracteurs. « On voit un jeune homme qui est à la fois exilé, algérien, musulman, mais aussi très français, parce qu’il considère qu’il appartient à ce tissu social qu’est la France. C’est aussi pour cela que le film s’appelle Pour la France. La France et sa devise “Liberté, égalité, fraternité” n’est pas une réalité mais un idéal vers lequel on tend tous en tant que citoyen. C’est pour la France que l’on agit tous, à notre échelle et au niveau de notre citoyenneté, pour atteindre cet idéal. »

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L’antiracisme et le piège de la victimisation

Résolument politique, Pour la France soulève bien des questions, notamment celle des croyances autour de l’identité française, sans jamais être militant. « Quand on voit Marine Le Pen faire des scores hallucinants aujourd’hui et le discours d’Éric Zemmour plébiscité par un certain nombre de personnes, force est de constater une dégradation des relations sociales et une radicalisation de la pensée – laquelle est de plus en plus binaire. On finit donc par défendre des opinions. Or la pensée est une construction. Il faut avoir le courage d’être nuancé dans cette société », défend Rachid Hami, qui a balayé d’un revers de main la question latente liée au racisme supposé de l’école.

L’idée même que nous nous approprions l’identité française en étant d’origine étrangère gène encore une partie de la France

Quand le dernier-né de la fratrie, Yacine, apprend que le seul homme qui est mort ce soir-là est un Arabe, l’aîné s’empresse de lui répondre de ne surtout pas tomber là-dedans. « S’ils avaient été racistes, ils ne l’auraient pas recruté », répond-il alors. « Et ça, je le pense profondément, renchérit Rachid Hami. Il ne faut surtout pas que l’on tombe dans le piège de la victimisation là où il n’y en a pas. Cela nous fragilise, et le combat contre le racisme perd de sa valeur. Je voulais retirer cette idée du film. Ce soir-là, n’importe qui aurait pu mourir, parce que cinq idiots ont joué avec la vie de cent vingt autres. »

Ne pas donner de munitions à ceux qui pourraient récupérer le film, voilà ce qu’évite judicieusement et avec honnêteté Rachid Hami, qui a pourtant été pris à partie sur les réseaux sociaux avant même la sortie du film. « C’est une minorité bruyante qui s’exprime, et moi, je fais un film sur la majorité silencieuse. Les noms qu’on lit sur cette affiche ont une consonance étrangère mais ils sont français aujourd’hui. C’est ma façon de répondre à ces gens que l’on est français, que ça leur plaise ou non. L’idée même que nous nous approprions l’identité française en étant d’origine étrangère gène encore une partie de la France. Ce que j’essaie de faire avec ce film, c’est de déstabiliser ces gens qui ont des idées arrêtées sur ces jeunes qui viennent de milieux modestes et d’ailleurs, dans un truc profondément intérieur », souhaite Rachid Hami qui se dit heureux de contribuer à une meilleure représentativité du cinéma français.

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