Tunisie : l’opposition entre fusions et confusion

Tirant les leçons de leur déroute électorale, les partis de l’opposition tunisienne se sont regroupés en trois blocs. Mais pour se poser en alternative à la troïka au pouvoir, ils devront se rassembler sous une seule bannière, ce qui est loin d’être acquis.

Les dirigeants du PDP, du PR et de Afek Tounes, le 11 janvier 2012 à Tunis. © AFP

Les dirigeants du PDP, du PR et de Afek Tounes, le 11 janvier 2012 à Tunis. © AFP

Publié le 1 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

A priori, l’avenir de l’opposition tunisienne semble plutôt radieux. Tirant les leçons de leurs résultats médiocres à l’élection de la Constituante, le 23 octobre 2011, partis et micropartis ont multiplié les fusions en ce mois d’avril pour accroître leurs chances de l’emporter lors des futures consultations générales, prévues entre avril 2013 et fin juin 2013, face à la troïka au pouvoir (Ennahdha, Congrès pour la République, Ettakatol).

La fusion la plus significative est celle qui a eu lieu le 9 avril avec l’absorption par le Parti démocrate progressiste (PDP, centre gauche) de huit autres entités, dont Afek Tounes, pour donner naissance au Parti républicain (PR). Le deuxième regroupement rassemble Ettajdid (ex-Parti communiste), le Parti tunisien du travail (PTT, travailliste) et plusieurs personnalités indépendantes sous la bannière de la Voie démocratique et sociale (VDS). Enfin, le troisième bloc s’est structuré autour du parti Al-Moubadara (« l’Initiative nationale », fondé par Kamel Morjane, ex-ministre de Ben Ali), auquel se sont joints sept de la quarantaine de formations issues de l’ex-parti-État qui a régné sur le pays pendant plus d’un demi-siècle. Dissous sur décision de justice au lendemain de la révolution, en mars 2011, ce dernier était initialement connu sous le nom de Parti socialiste destourien (PSD) sous Bourguiba, puis de Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) sous Ben Ali. Effrité, momentanément paralysé par la disparition des financements occultes et étatiques dont il bénéficiait et par l’interdiction faite à ses anciens cadres de se porter candidats à la Constituante, il a publiquement refait surface le 24 mars, à Monastir, l’un de ses principaux fiefs. Ses structures sont en cours de reconstitution pour reprendre du service.

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Principaux regroupements

Parti républicain Parti démocrate progressiste, Afek Tounes, Parti républicain tunisien.

Chef de file Néjib Chebbi. Secrétaire générale Maya Jribi.

Directeur exécutif Yassine Ibrahim.

Voie démocratique et sociale Ettajdid, Pôle démocratique moderniste et Parti tunisien du travail.

Président du secrétariat national Ahmed Brahim.

Al-Moubadara Al-Moubadara, Patrie libre, Unité et Réforme, Union populaire républicaine, Voix de la Tunisie, Mouvement progressiste tunisien, Alliance pour la Tunisie, Parti néodestourien.

Président Kamel Morjane. Secrétaire général Mohamed Jegham.

Les trois blocs constituent une force de frappe virtuelle en vue des prochaines élections et un relais du mouvement de désobéissance civile qui se développe à la faveur du mécontentement social. À tel point que l’ancien Premier ministre provisoire (de février à décembre 2011), Béji Caïd Essebsi, y a vu l’occasion de se présenter comme l’homme providentiel susceptible de rassembler les trois blocs dans un grand parti du centre qui se poserait en alternative à la troïka.

Faible poids électoral

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Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Historiquement, il n’existe que deux partis de masse en Tunisie : l’ex-parti destourien et Ennahdha. Les autres formations ne sont que des micropartis, élitistes pour la plupart, nés pour certains après la révolution et qui ont encore beaucoup de chemin à parcourir avant de s’imposer électoralement. Les forces politiques qui composent le PR et la VDS n’ont ainsi remporté que 12 % des sièges à la Constituante. De leur côté, les « résidus » du PSD-RCD dissous ne disposent que de 3 % des sièges. Dans la perspective des scrutins de 2013, ces derniers comptent sur la réactivation de leur appareil pour, comme ils le répètent, « reprendre leur place au soleil » autour du pôle de Morjane, mais pas seulement.

Une fusion entre les destouriens, le PR et la VDS semble toutefois – pour le moment – improbable. D’abord parce que, en dehors d’une dizaine de proches, Caïd Essebsi – âgé de 85 ans – ne dispose pas d’un soutien suffisant, à moins qu’il ne parvienne à fédérer derrière lui les destouriens. Mais dans cette perspective, il apparaîtra aux yeux des jeunes comme un homme du passé. Ensuite, parce que le processus devant conduire à la création de ce grand parti prévoit la fusion entre le PR de Néjib Chebbi et la VDS d’Ahmed Brahim. Or cette étape se révèle difficile sur le plan politique et ne sera probablement pas franchie de si tôt. Un « parti Caïd Essebsi » aura le plus grand mal à être viable tant le fossé est grand entre les composantes des trois pôles, dont les militants ont des référents historiques allant de l’extrême gauche à l’extrême droite.

Toute la gestion politique et financière de Chebbi au PDP est mise en cause.

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Les hommes politiques concernés ont par ailleurs sous-estimé ou feint d’ignorer les calculs et ambitions électorales des uns et des autres, mais aussi le gouffre séparant réformateurs et vieilles gardes au sein même de chacun de leurs partis initiaux. Ils ne s’attendaient en tout cas pas à ce que ces réalités apparaissent au grand jour en plein congrès constitutif du PR. À peine la formation était-elle née que 9 députés (dont Moncef Cheikhrouhou, Mohamed Hamdi et Mahmoud Baroudi) sur les 16 que compte le PR au sein de la Constituante ont annoncé le gel de leur adhésion, imités par 16 fédérations sur 25. Appartenant à l’aile réformiste, ils reprochent à la vieille garde regroupée autour de Néjib Chebbi de les avoir délibérément écartés de la direction du PR. En fait, c’est toute la gestion politique et financière de Chebbi qu’ils mettent en cause. Ils dénoncent l’absence d’un audit des finances de l’ex-PDP, qui a bénéficié l’an dernier de généreuses contributions de chefs d’entreprise, et signalent l’existence d’un déficit de 1,5 million de dinars (750 000 euros). Reste à savoir qui mettra la main à la poche pour le combler, et à quelles conditions. 

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