Sport business : disciplines reines, parents pauvres

Hors du football, point de salut ? Certes, les gains ne sont pas comparables, mais les sports les plus populaires en Afrique font tout de même vivre – et parfois très bien – leurs champions.

Le lutteur sénégalais Yékini, 130 kg, met au tapis un adversaire en 2005. © AFP

Le lutteur sénégalais Yékini, 130 kg, met au tapis un adversaire en 2005. © AFP

Julien_Clemencot NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

Cyclisme Sans rouler sur l’or

Le cyclisme africain change de braquet. Recruté par l’équipe australienne GreenEdge, l’Érythréen Daniel Teklehaimanot, 23 ans, est le premier Subsaharien noir à intégrer le circuit professionnel. Riche d’un palmarès de quinze victoires, il rejoint cette année une poignée de Blancs sud-africains parmi l’élite mondiale. Coureur longiligne de 1,90 m pour 81 kg, qui s’anime quand la pente s’élève, il pourrait concrétiser dès sa première saison chez les pros l’un de ses rêves : avaler les 3 000 km du Tour de France 2012. Mais pour faire fortune, il devra patienter.

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Daniel Teklehaimanot ne figure pas dans le peloton de la vingtaine de coureurs qui gagnent plus de 1 million d’euros par an, loin de là. Il ne perçoit pas non plus le salaire annuel moyen de 264 000 euros en vigueur dans les 18 équipes professionnelles qui participent à toutes les épreuves du calendrier international. L’Érythréen est dans la voiture-balai des 450 forçats de la route du circuit pro, celui des néoprofessionnels dont le salaire brut minimum a été négocié à 24 000 euros par an. La saison prochaine, il pourra prétendre au salaire minimum légal de 30 000 euros par an pour un cycliste professionnel.

>> Voir notre dossier : "Salaires de sportifs, ce que gagnent les stars"

Pourtant, Daniel Teklehaimanot fait rêver les stars de la petite reine restées sur le continent comme son compatriote Natnael Berhane (numéro un africain), le Camerounais Yves Ngué Ngock ou les Marocains Adil Jelloul et Tarik Chaoufi, aux avant-postes dans les 25 courses de l’UCI Africa Tour, les épreuves officielles de l’Union cycliste internationale (UCI) sur le continent. En théorie, ils perçoivent le salaire minimum négocié par la profession. Sauf si « le salaire minimum légal du pays de la nationalité de l’équipe » qui l’emploie est inférieur, précise l’UCI…

De plus, les épreuves africaines sont moins richement dotées. Le célèbre Tour du Faso a un budget d’environ 600 000 euros – et partage 25 000 euros de primes entre les coureurs -, celui du Cameroun de 457 000 euros, celui d’Algérie de 710 000 euros, celui du Maroc de 450 000 euros… On est donc très loin de l’épreuve reine : le Tour de France est à la tête d’un budget de 100 millions d’euros et distribue plus de 1 million d’euros de primes aux coureurs.

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Lutte sénégalaise, les millions sont dans l’arène

Cantonné parmi les sports mineurs en Europe, la lutte vit un destin radicalement différent en Afrique. Notamment au Sénégal, où elle est la discipline reine devant le football. À Dakar, les combats remplissent les stades, déchaînent les appétits des télévisions et des sponsors, alimentent des discussions passionnées dans tous les bars… Un engouement dont les meilleurs lutteurs sont les premiers à profiter. Les cachets de 150 000 euros par combat sont devenus monnaie courante pour les stars comme Modou Lô ou Eumeu Sène.

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Un nouveau record devrait bientôt être battu par Yékini. Pour son combat contre Balla Gaye 2, prévu le 22 avril, le « roi des arènes » aurait négocié, selon l’hebdomadaire spécialisé Tuus, une enveloppe comprise entre 250 000 et 300 000 euros. Quel chemin parcouru depuis le pactole de 45 000 euros empoché par Tyson pour son combat contre Manga 2, à la fin du siècle dernier ! Des sommes folles dont les lutteurs ne rougissent pas. Entre 2005 et 2011, Balla Gaye 2 se vante d’avoir gagné entre 900 000 et 1 million d’euros.

La professionnalisation de leur sport est une aubaine pour les lutteurs.

Comme les autres ténors de la discipline, l’ancien mécanicien profite à plein de la professionnalisation de son sport, rendue possible par la multiplication des retransmissions télévisées – la plupart du temps parrainées par un opérateur téléphonique -, sous le double effet de la libéralisation de l’audiovisuel et de l’émergence de nouveaux promoteurs. Une aubaine pour les lutteurs dont les carrières, souvent brèves, peuvent être à tout moment interrompues par une blessure grave. Conscient de leur vulnérabilité, ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à anticiper leur reconversion.

Retiré des arènes depuis 1999, Manga 2 fait partie des champions ayant réussi cette transition. Propriétaire de villas à Thiaroye, dans le quartier dakarois des Parcelles assainies et dans son fief de Joal, il possède aussi une école de lutte et s’est lancé à son tour dans la promotion de combats. Parmi les hommes forts en activité ayant déjà assuré leurs arrières, on peut citer Yékini et Tyson. Outre l’immobilier, il faut ajouter une salle de musculation et des pirogues pour le premier et des stations-service pour le second. Histoire de ne pas tout flamber.

Course à pied, duopole est-africain

Tôt le matin, avant même le lever du soleil, Meskel Square, la place centrale d’Addis-Abeba, vibre d’une étonnante activité. Sur les vastes gradins de cet immense amphithéâtre à ciel ouvert, sous d’énormes panneaux publicitaires, des dizaines de coureurs s’entraînent. Jeunes et vieux, hommes et femmes, ils alternent assouplissements, étirements, courses fractionnées, jusqu’à ce que la chaleur devienne trop intense. Si l’équipe éthiopienne de football a remporté la Coupe d’Afrique des nations il y a cinquante ans, elle n’a pas, depuis, brillé par ses résultats. Et à vrai dire, peu importe : ici, le sport roi, c’est la course à pied. Et depuis une vingtaine d’années, les coureurs éthiopiens et leurs rivaux kényans dominent l’ensemble des compétitions internationales.

En mars, aux championnats du monde d’athlétisme en salle d’Istanbul, l’Éthiopien Mohammed Aman a ainsi remporté le 800 m hommes, tandis que les Kényanes Pamela Jelimo et Hellen Onsando Obiri se sont imposées respectivement dans le 800 m et le 3 000 m femmes. Le même mois, Fatuma Sado (Éthiopie) chez les femmes et Simon Njoroge (Kenya) chez les hommes ont dominé le marathon de Los Angeles (75 000 euros à la clé). En 2008 déjà, aux Jeux olympiques de Pékin, toutes les disciplines de course au-dessus du 800 m ont été remportées soit par des Kényans, soit par des Éthiopiens. Explications ? Elles sont diverses : entraînement en altitude, morphologie musculaire, organisation de la fédération, solidarité d’équipe…

À l’instar du prodige Kenenisa Bekele (double médaille d’or sur 5 000 m et 10 000 m à Pékin en 2008, il aurait gagné 835 000 euros en 2009) et de la légende vivante Haile Gebreselassie, les athlètes éthiopiens qui ont réussi investissent surtout dans le bâtiment. Ils injecteraient de fait plus de 10 millions d’euros par an dans l’économie de leur pays. Quant aux Kényans, qui dominent désormais la discipline – le record du monde du marathon (2 h 03′ 38") est détenu par Patrick Makau depuis septembre 2011 -, ils misent surtout sur l’agriculture et le bâtiment. Même si leur pays a, ces dernières années, souffert d’une certaine instabilité politique peu propice aux affaires.

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