Au Sénégal, les démons du charlatanisme « vu à la télé »

Alors que des journalistes sont poursuivis pour propagation de fausses nouvelles, de nombreux charlatans sévissent impunément sur les chaînes de télévision et de radio sénégalaises. Un fléau dont les pouvoirs publics gagneraient à se saisir.

Des prétendus mages et autres grugeurs passent aux heures de grande écoute à la télévision sénégalaise. Photo d’illustration prise à Dakar le 25 novembre 2021. © LI YAN/Xinhua via AFP

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Publié le 1 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Journaliste d’investigation et sniper anti-régime, le Sénégalais Pape Alé Niang bénéficie depuis deux mois d’une liberté provisoire. En décembre et janvier derniers, il était passé deux fois par la case prison pour plusieurs délits de presse présumés, dont la divulgation de fausses nouvelles. Cela nous permet de faire le parallèle avec d’autre fake news, bien plus criminelles, dont les télévisions, notamment privées, se rendent impunément coupables à longueur d’année au Sénégal.

Funestes farceurs

Il s’agit d’abord des réclames où un « tradipraticien » sorti de l’anonymat vient vanter les mérites de ses bouteilles de « médicaments ». Ces récipients recyclés sont emplis de décoctions à la couleur jamais très nette, où flottent encore des morceaux de racines ou des flocons d’un papier dissous sur lequel étaient écrites les prières censées nous guérir. Face caméra, ces marchands apothicaires se font fort de soigner toutes sortes de maladies. Passe encore.

Il ne se passe jamais trois mois sans qu’un scandale n’éclate à l’issue d’une plainte pour escroquerie

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D’autres thaumaturges font de la voyance en direct, sur des chaînes de télévision et de radio, prédisant force choses aux appelants et leur prescrivant les sacrifices rituels à faire pour s’attirer les bonnes grâces ou pour s’éviter un malheur. Cas plus grave : ces charlatans accueillis à la télévision, durant la coupure publicitaire entre deux tunnels de clips de chansons mbalakh, pour démontrer qu’ils peuvent multiplier les billets de banques grâce à un « portefeuille magique ». Démonstration réussie (sic) en direct à la télé.

Il ne se passe jamais trois mois sans qu’un scandale n’éclate à l’issue d’une plainte pour escroquerie impliquant ces charlatans en fausse-vraie monnaie : un citoyen lambda, qui a cru au portefeuille magique, s’en est finalement ouvert aux pandores quand la multiplication de l’argent n’advenait pas. Dans bien des cas, ces personnes escroquées ont remis au « faux marabout » de l’argent qui ne leur appartenait pas.

Mais plutôt des sommes qui leur étaient confiées, prêtées ou qu’ils avaient juste reçues d’un parent émigré avec pour mission de le donner à la famille de ce dernier ou de l’investir dans un quelconque achat. Pour justifier leur crédulité face à ces funestes farceurs supposés multiplier les billets de banques, les personnes abusées assurent qu’elles y ont cru car elles l’ont « vu de leurs propres yeux à la télé ». Cela est encore advenu en ce mois de janvier 2023.

Fendre les flots vers l’Occident

Nous ne ferons pas l’honneur à l’escroc-féticheur, moins mystique que mystificateur, de citer son nom ici, ni même de donner ses initiales. Lui et son chambellan venaient d’être relaxés après avoir purgé une peine de prison de six mois ferme. Ils sont aussi condamnés au paiement d’une amende à sept chiffres. Le grugeur avait déjà défrayé la chronique en 2021 en passant à la télé, puis plus abondamment sur les réseaux sociaux, avec sa peau blanchie par des produits dépigmentants et des lentilles bleues aux yeux.

Tout le monde prenait le parti d’en rire, même si personne n’était totalement incrédule

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Il avait alors promis de fendre l’océan Atlantique en deux, dans un horizon pas très lointain. En donnant même une date précise, coïncidant avec une fête musulmane, lors de laquelle il permettrait aux candidats à l’émigration de passer par ces flots fendus afin de rejoindre l’Occident, qui est leur eldorado fantasmé. Il demandait 50 000 francs CFA (76 euros) à chaque candidat à cette émigration via Soumbédioune, une baie de la corniche dakaroise, où il est allé recevoir un bain de foule couvert par plusieurs caméras. À l‘approche du jour dit, le prétendu mage était l’objet de toutes les conversations dans les chaumières au Sénégal, où tout le monde prenait le parti d’en rire, même si personne n’était totalement incrédule. Bien entendu, il ne se passa rien le jour J.

Comme chacun sait, Jeune Afrique a peu d’appétence pour les faits divers d’Afrique et d’ailleurs. Sauf, d’une part, lorsqu’ils impliquent des VIP de la galaxie politique ou des capitaines d’industrie. Et sauf, d’autre part, si c’est sous la plume aiguisée de notre caricaturiste préféré, Damien Glez –, qui arrive toujours à tirer une leçon de vie, une morale de l’histoire ou un parallèle entre certains faits divers et la haute géopolitique africaine. Ce parti pris de Jeune Afrique est à saluer. Car relater certains de ces faits divers, c’est contribuer, de façon irresponsable, à faire prospérer le fanatisme, le fatalisme et la croyance en la possibilité de miracles religieux  ou animistes.

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Et cela, en plein XXIe siècle. Dans un continent, l’Afrique, où de trop nombreuses personnes croient encore qu’il existe des « voleurs de sexe », lesquels opèrent cet escamotage de nos bijoux de famille en nous donnant une simple poignée de main. Une histoire qui n’est pas une légende urbaine et qui cesse d’être drôle quand on sait que les présumés coupables de cette « prouesse sexuelle » risquent le plus souvent d’être lynchés à mort. La fréquence de certains types de faits divers renseigne sur l’état mental d’une société, sur sa psychologie et sur sa psyché collective. L’Occident et les BRICS ont leurs serial killers, là où l’Afrique subsaharienne a ses « marabouteurs » rebouteux.

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