Face à Ethiopian Airlines, Egyptair à l’heure de la realpolitik

Les tensions récurrentes entre Le Caire et Addis-Abeba n’empêchent pas l’étroite collaboration des deux compagnies aériennes rivales, leaders de leur secteur sur le continent selon notre classement des 500 Champions africains.

EgyptAir n’est pas parvenu à s’imposer en tant que hub international. © Montage JA; REUTERS/Mohamed Abd El Ghany

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Publié le 15 mars 2023 Lecture : 5 minutes.

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500 CHAMPIONS AFRICAINS – « Le principal atout d’Egyptair ? Ce sont les pyramides », sourit Jean Adadevi, consultant chez Lufthansa Systems. À la différence d’Ethiopian Airlines, première compagnie africaine, le pavillon égyptien, qui a fait voler 9 millions de passagers en 2022, n’est pas parvenu à s’imposer en tant que hub international. Pour preuve : le trafic de transit représente seulement 25 % du trafic de l’aéroport international du Caire, contre 70 % pour celui de Bole, à Addis-Abeba, selon les données compilées par le spécialiste OAG.

« L’Égypte est un produit fort », assure Yehia Zakaria, le tout nouveau PDG d’Egyptair, ancien ingénieur aéronautique de l’Egyptian Air Force, nommé début 2022 à la tête d’Egyptair Maintenance & Engineering et porté à peine dix mois plus tard à la tête du groupe.

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Vingt-deux millions de voyageurs aériens ont ainsi atterri dans le pays en 2022, soit plus qu’avant la pandémie (20,8 millions en 2019). Et ce avant même le retour de la clientèle chinoise, qui s’annonce imminent puisque le pays des Pharaons figure parmi les 20 destinations vers lesquelles la Chine a réouvert les voyages de groupe pour ses ressortissants, le 20 février. Egyptair a donc relancé, en mars, ses liaisons vers Guangzhou, Pékin et Hangzhou. Elle restaure ainsi son niveau de couverture géographique et de fréquence pré-Covid. « Nous avons déjà des retours très positifs quant aux volumes de réservations », se félicite Yehia Zakaria, qui a répondu par écrit à nos questions.

Partenaires depuis 2010

Egyptair, qui a fêté ses 90 ans en mai 2022, est la seule compagnie africaine à pouvoir revendiquer une place auprès d’Ethiopian et de ses 136 avions (parmi lesquels 68 en propriété et 62 loués selon ch-aviation) au club des transporteurs de plus de 100 appareils (la compagnie en fait voler 101, dont 72 en propriété et 29 loués, selon la même source).

Paradoxalement, alors que Le Caire et Addis-Abeba sont à couteaux tirés, notamment à cause du barrage de la Renaissance – construit par l’Éthiopie sur le Nil malgré l’opposition de l’Égypte et du Soudan –,  les deux compagnies 100 % publiques font montre « d’autant de compétition que de collaboration », relève l’ancien directeur du développement d’Airbus en Afrique, Kwame Bekoe, désormais consultant. Toutes deux membres de Star Alliance, aux côtés du groupe Lufthansa, de l’américain United ou Air China, elles ont en outre noué des accords plus poussés de partage de codes sur des lignes spécifiques.

« Ce partenariat a commencé en 2010 pour permettre aux deux compagnies de renforcer leur présence en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Europe », développe Yehia Zakaria, selon lequel l’accord concerne principalement l’axe Addis-Le Caire. Il concerne aussi ce que le PDG qualifie de « points blancs » en Afrique, c’est-à-dire des destinations exploitées par Ethiopian mais pas par Egyptair, comme Bujumbura, Ndola, Lomé ou Hargeisa. « Nous avons aussi conservé Kigali dans le contrat après avoir ouvert notre ligne directe depuis Le Caire, pour offrir à nos clients davantage d’options et de flexibilité » précise le PDG, selon lequel cet accord est « un processus continu ». La destination São Paulo, via Addis-Abeba, a ainsi intégré l’accord en novembre 2022, indique le dirigeant.

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Coopération réelle, mais discrète

Dans l’autre sens, Egyptair permet à son partenaire d’offrir à ses clients certaines de ses destinations en Europe (Amsterdam, Athènes, Budapest…) et au Moyen-Orient (Istanbul, Aman…), via Le Caire. Pour Kwame Bekoe, les deux compagnies ont des complémentarités à exploiter. Cette coopération reste néanmoins discrète : même des cadres dirigeants de la compagnie et des partenaires commerciaux assurent ne pas en être informés, et les moteurs de recherche de billets – y compris ceux des deux compagnies – proposent généralement d’autres possibilités que celles issues du partenariat sur les lignes citées.

Mais « les alliances ne bénéficient pas toujours aux deux parties. Elles peuvent même finir par coûter cher à l’un des partenaires, si ces derniers sont en trop fort déséquilibre », prévient une source proche du dossier. La concurrence reste d’ailleurs de mise en fonction des dossiers. Ainsi, en octobre 2020, Egyptair a signé avec Accra un MOU pour la création d’une compagnie nationale ghanéenne, au nez et à la barbe d’Ethiopian, qui convoitait le contrat. Finalement évincé par Accra au profit d’Ashanti Airlines, Egyptair n’en continue pas moins d’essayer de bâtir son propre réseau africain. « Nous avons lancé récemment de nouvelles destinations en Afrique, à savoir Kinshasa, Douala et Moroni », indique ainsi Yehia Zakaria, selon lequel « d’autres lignes seront exploitées à l’avenir en fonction de leur viabilité économique ».

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Appel du pied aux touristes russes

Mais, à l’image de ce partenariat, la compagnie dont le logo est emprunté au dieu égyptien à la tête de faucon Horus démontre un savoir-faire certain en matière de Realpolitik. En 2022, elle a ainsi su s’adapter à une autre donnée géopolitique : l’agression russe de l’Ukraine. Bien que l’Égypte ait condamné l’offensive lors des deux votes de mars et d’octobre 2022 à l’ONU, Egyptair a augmenté ses dessertes vers la Russie. En décembre dernier, elle a porté à deux ses vols quotidiens entre Moscou et Le Caire, et s’apprête à intensifier les liaisons directes vers les stations balnéaires de Charm-el-Cheikh et Hurghada, surfant sur les restrictions croissantes imposées aux ressortissants russes par d’autres régions du monde. Une position pragmatique finalement conforme à celle du Caire, qui, malgré ses votes exigeant de Moscou l’arrêt immédiat de la guerre en Ukraine, a rejeté à plusieurs reprises l’idée de sanctions contre la Russie, dont le pays dépend notamment pour son approvisionnement en blé.

Côté tourisme, si l’attentat de Charm-el-Cheikh en 2015 contre l’Airbus A321 de la compagnie charter russe Metrojet, revendiqué par l’État islamique, a mis un sérieux coup de frein à la présence de citoyens russes en Égypte pendant plusieurs années, la restauration de liaisons directes entre les deux pays avait relancé la machine. OAG recense ainsi 715 000 passagers aériens au départ de la Russie et à destination de l’Égypte en 2021, et 667 000 en 2022 – contre moins de 50 000 en 2018.

Reste que, malgré ses habiletés et son statut de deuxième compagnie du continent, Egyptair demeure loin des performances du leader continental éthiopien, juge Jean Adadevi. « Il y a d’un côté une compagnie qui a toujours su se renouveler, se montre très sensible aux coûts et s’efforce de faire le maximum par elle-même, de la formation à la technique. De l’autre, une structure plus lourde, dont l’organigramme dépend du politique et qui est très lente à prendre une décision, comme en témoigne par exemple sa transformation digitale relativement poussive ». Une manière de dire qu’il faudra plus que de la Realpolitik pour arriver à ses fins.

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