Entre la France et le Cameroun, un délicat travail de mémoire

Le 3 mars à Yaoundé, la commission mixte franco-camerounaise a officiellement commencé ses travaux. Chargée de documenter la décolonisation du Cameroun et la répression sanglante menée par la France, elle comporte un volet de recherche dirigé par Karine Ramondy, et un volet artistique pris en charge par Blick Bassy.

Emmanuel Macron et Paul Biya à Yaoundé, en juillet 2022. © MABOUP

Publié le 6 mars 2023 Lecture : 2 minutes.

Faire la lumière sur un pan d’histoire sanglant, longtemps tu et méconnu : une commission de chercheurs français et camerounais entame ses recherches sur le rôle de la France pendant la colonisation et après l’indépendance de ce pays d’Afrique centrale, travail mémoriel en terrain miné.

Après la commission Duclert sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, le rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie (2021), la Commission mixte franco-camerounaise s’inscrit à son tour dans la politique mémorielle du président français Emmanuel Macron, au cœur de la « nouvelle » relation qu’il prône avec l’Afrique.

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Le 3 mars, à Yaoundé, l’historienne française Karine Ramondy et l’artiste camerounais Blick Bassy ont officiellement lancé les travaux de cette commission sur « le rôle de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition entre 1945 et 1971 », qui avait été annoncée lors d’une visite du président français au Cameroun en juillet dernier.

Composée d’un volet scientifique – une équipe de quinze historiens des deux pays, dirigée par Karine Ramondy – et d’un volet artistique piloté par Blick Bassy, la commission devra rendre ses travaux fin 2024.

« Rendre visible »

La décolonisation du Cameroun et la répression sanglante menée par la France, qualifiée de « guerre » par certains chercheurs, « a très peu de visibilité, notamment en France, où elle n’est pas enseignée dans les programmes scolaires, contrairement à la guerre d’Algérie », a souligné la chercheure. « Ce sera l’un des enjeux de la commission, rendre visible » ce pan d’histoire, a-t-elle ajouté.

Outre l’accès aux archives, promis par Paris, la commission se penchera sur la France « au sens large : pouvoir civil, militaire, économique, colons », a-t-elle encore expliqué.

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Au Cameroun, Blick Bassy s’occupera de récolter les témoignages oraux. « Je ne vais pas travailler avec les historiens, mais plutôt avec les associations et les gens sur le terrain », a-t-il expliqué insistant sur l’ « aspect inédit de ce volet patrimonial et culture ».

« Insultant »

Le travail de mémoire de la Commission s’annonce d’ores et déjà compliqué.

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Le professeur Daniel Abwa, président de la Société camerounaise d’Histoire, s’indigne de la nomination de Blick Bassy. « On ne peut pas avoir d’un côté une historienne et de l’autre un chanteur, c’est vraiment insultant », selon lui. « Blick Bassy est jeune et certainement plus libre que tous ses pourfendeurs », rétorque Jacques Deboheur Koukam, responsable des éditions L’Harmattan Cameroun à Yaoundé, qui ont publié de nombreux livres sur la colonisation au Cameroun. Au-delà des questions personnelles, « qu’attend-on de cette démarche ? Porter plainte, réparer? », s’interroge-t-il regrettant que la Commission ne soit pas dotée « d’objectifs plus clairs ».

Jean Koufan Menkene, historien camerounais et membre de la commission, interroge la relation du Cameroun à sa propre histoire : « Malgré le discours officiel convenu, notre pays n’a pas pu se réconcilier lui-même avec sa propre histoire », écrit-il. D’autres voix s’interrogent sur la possibilité de mener un travail apaisé dans un pays dirigé depuis près de 40 ans par le président Paul Biya.

(avec AFP)

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