En Algérie, le journaliste Ihsane El Kadi risque cinq ans de prison

Le parquet a requis, dimanche, cinq ans de prison, assortis d’une interdiction d’exercer pour la même durée, contre le patron de presse algérien Ihsane El Kadi, emprisonné depuis fin décembre. Verdict le 2 avril.

Ihsane El Kadi. © DR

Publié le 27 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger, a requis, ce dimanche 26 mars 2023, une peine de cinq ans de prison ferme, assortie d’une interdiction d’exercer pour la même durée, à l’encontre du journaliste et patron de presse, Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et du site d’information Maghreb Émergent, deux médias connus pour être assez critiques envers le pouvoir en place.

Le parquet a également demandé la saisie « des biens et fonds » du patron de presse, ainsi qu’une amende de 700 000 dinars (près de 4 800 euros). Tout comme il a requis une amende de 10 millions de dinars (plus de 68 000 euros) et la saisie des « biens et matériels » de sa société Interface Médias, qui édite Radio M et Maghreb Émergent. Le verdict est attendu pour le 2 avril prochain.

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Arrêté dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022, puis placé en garde à vue dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Alger, Ihsane El Kadi est en détention provisoire à la prison d’El Harrach depuis le 29 décembre dernier. Il est accusé de « financement étranger de son entreprise » et poursuivi au titre de l’article 95 bis du Code pénal qui prévoit une peine de prison de cinq à sept ans pour « quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage […] pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics ».

Au cours d’une conférence de presse organisée le 4 mars, le collectif de défense d’Ihsane El Kadi assure que rien, dans le dossier judiciaire, n’atteste que l’homme de presse ou Interface Médias aient reçu des fonds d’organismes étrangers. Selon Me Zoubida Assoul, l’accusation ne s’appuierait que sur une somme de 25 000 livres sterling (soit 28 000 euros) envoyée à Ihsane El Kadi par sa fille, actionnaire du groupe Interface Médias, depuis la Grande-Bretagne, son lieu de résidence. Ces fonds, envoyés par tranches entre 2019 et 2021, étaient destinés au paiement des salaires des journalistes et employés du groupe, qui se trouvait alors en difficulté financière.

Violations de procédure

Prévu initialement pour le 12 mars, le procès a été reporté en raison de l’absence du président de l’Autorité de régulation de l’audiovisuelle (ARAV), qui s’est constitué partie civile dans le dossier, deux mois après l’incarcération du prévenu.

La veille du procès, le collectif des avocats de la défense avait réitéré sa décision de boycotter le procès pour protester contre « les nombreuses violations de procédure relevées dans cette affaire », notamment les déclarations du chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, qui avait traité publiquement le journaliste, au cours d’une émission télévisée, de « khabardji » (informateur). Pour Me Ahmine, membre du collectif de défense, Ihsane El Kadi a été « accablé d’une accusation qui n’existe pas dans son dossier ». « Et même si elle figurait dans le dossier, il n’est pas possible qu’il soit jugé avant son procès », a-t-il déclaré à des journalistes de Radio M.

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Dès l’entame de sa prise de parole, Ihsane El Kadi a annoncé à la juge qu’il avait décidé de garder le silence. « J’exerce mon droit de garder le silence tant que je suis en détention », a-t-il expliqué, ce dont la juge a pris note. Le journaliste est alors revenu à la charge, rappelant la décision unilatérale de la chambre d’accusation de confirmer sa mise en détention sans la présence de ses avocats en raison de l’avancement de la date d’audience au 15 janvier au lieu de la date initiale du 18 janvier.

Le journaliste a ensuite évoqué « son arrestation arbitraire, la mise sous scellés des locaux de Radio M et Maghreb Émergent, et l’immixtion du président Abdelmadjid Tebboune dans l’affaire. Selon l’un des journalistes présents au procès, Ihsane El Kadi a déclaré à la juge : « Le président Tebboune m’a insulté. » Évoquant la violation de sa présomption d’innocence par le chef de l’État, le journaliste a été interrompu à plusieurs reprises par la juge, qui s’est emportée, refusant d’en prendre note et décidant finalement de suspendre l’audience. Les avocats, qui ont fait acte de présence et portaient leur robe pour soutenir moralement leur client, ont décidé de quitter la salle.

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Plusieurs précédents

Ce n’est pas la première fois que le président Tebboune s’exprime sur des affaires de justice en cours impliquant des journalistes. Au cours d’une rencontre avec des représentants de la presse nationale, en mai 2020, le chef de l’État avait accusé le journaliste Khaled Drareni « d’intelligence avec l’étranger » et l’avait qualifié de « khabardji ».

En juin 2021, dans un entretien accordé au magazine français Le Point, il avait également qualifié de « pyromane » le journaliste Rabah Kareche, qui se trouvait alors en détention provisoire à Tamanrasset, dans le sud du pays, pour un « délit de presse » et dont le procès n’avait pas encore été programmé.

Lancée en février, une pétition initiée par Reporters sans frontières (RSF) pour obtenir la libération de M. El Kadi a recueilli en à peine deux mois un peu plus de 10 000 signatures. Pour rappel, l’Algérie figure à la 134e place (sur 180 pays) du classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) en 2022.

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