Livre : Jérusalem, les soupirs de la sainte

Spécialiste de Staline, le biographe britannique Simon Sebag Montefiore publie « Jérusalem, biographie ». Il s’y est intéressé à l’histoire de Jérusalem, « cité à la fois céleste et terrestre » qui concentre toute l’histoire du monde. Captivant !

Le Dôme du Rocher à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam. © Sipa

Le Dôme du Rocher à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam. © Sipa

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 25 janvier 2012 Lecture : 7 minutes.

Blonde comme les sables, alanguie sur son lit de rocs et de broussailles, elle resplendit sous le soleil d’Orient. Le cuivre et l’argent font étinceler ses courbes, et elle arbore comme une reine le plus magnifique diadème d’or et de turquoise. Du monde entier, des foules viennent la contempler et l’implorer. Pour elle, on s’exalte et on se lamente, on se dispute et on se rassemble. Elle est la tentation et la rédemption, elle est tous les contraires réunis. Parfois pieuse, parfois pécheresse, toujours sainte, le coeur du monde bat avec le sien. Combien de rois ont vécu et sont morts pour ses faveurs ? Combien de prophètes l’ont chantée ou maudite ? Combien de peuples ont tenté de la conquérir ou de l’anéantir, sans jamais vraiment y parvenir.

Dans son sein, des boyaux insondables cacheraient les plus puissantes reliques de l’Histoire : l’Arche d’Alliance, le sceau de Salomon, le Saint-Graal, les trésors des Templiers… Les uns, Israélites, l’ont baptisée « Salem a fondé » (Yerushalayim), les autres, Arabes, l’appellent « la sainte » (Al-Qods). En Occident, elle est Jérusalem. Le chandelier du Temple, la croix du Golgotha, le Dôme du Rocher : ses images sont vénérées dans des millions de foyers juifs, chrétiens et musulmans. Elle a enfanté les trois monothéismes, mais engendré les plus violents schismes. Elle devait unir les hommes : elle reste une pomme de discorde au banquet des nations. Tant de fois moribonde, tant de fois ressuscitée, parée selon les siècles des plus splendides atours ou vêtue de haillons, elle doit présider à la fin des temps. Quel peut être son âge ? Elle refuse encore de le dévoiler, mais ses généalogistes la disent conçue il y a au moins sept mille deux cents ans. La vénérable aux charmes toujours renouvelés a trouvé un biographe à la hauteur de son mythe.

la suite après cette publicité

Les murs des lamentations

Ses dizaines de monuments, ses vieilles demeures et ses remparts intacts font de Jérusalem un exemple remarquable de l’architecture ancienne du Proche-Orient autant qu’un symbole de l’histoire humaine. Inscrite au patrimoine mondial par l’Unesco, elle est l’unique site de la liste à n’être associé à aucun nom d’État. En 1947, les Nations unies l’avaient définie comme un « corpus separatum sous régime international spécial », mais, en 1980, Israël en a fait sa capitale, et les Palestiniens la considèrent toujours comme la leur. Les accords de paix esquissés entre les voisins ennemis ont toujours reporté la question de son statut aux négociations finales. Sur le terrain, les Israéliens mènent une politique de conquête active en encerclant la ville arabe de colonies et en rachetant des maisons au coeur de la vieille cité. Depuis 2004, la « barrière de sécurité » érigée par l’État hébreu autour de la Cisjordanie ne l’a pas épargnée : un mur en béton de huit mètres de haut divise désormais ses quartiers arabes. Ville sainte de trois religions, Jérusalem pourrait-elle devenir un jour la seule ville au monde capitale de deux États ? L.D.S.P

Simon Sebag Montefiore, l’historien britannique à succès des tsars blancs et des tsars rouges (Catherin the Great and Potemkin, Le Jeune Staline), a dirigé son regard vers le sud et l’histoire d’une ville dont il fait vibrer le souffle divin et dévoile les mille métamorphoses. Jérusalem, biographie * : un bloc qui semble tiré des carrières d’Hérode, mais dont chacune des 674 pages est ciselée comme une frise délicate. « L’histoire de Jérusalem est l’histoire du monde », décrète la quatrième de couverture. Et Montefiore finit par nous persuader que la cité sacrée est le nombril de l’univers autour duquel gravitent les empires proches et lointains, déchus et triomphants, dans un tourbillon temporel vertigineux. Pour lui faire un bel enfant, Montefiore force parfois un peu l’Histoire et ne cache pas qu’un de ses ancêtres, le richissime Moses Montefiore, a été un bienfaiteur de la cité. Protégeant les Juifs, en très bons termes avec les Ottomans, celui-ci avait été aux temps modernes « le premier Juif à se rendre sur le mont du Temple ». Mais, malgré ses origines familiales, Simon Montefiore montre un grand souci d’impartialité, et il s’est adressé à des historiens de référence aussi bien juifs qu’arabes pour enrichir et valider son texte..

Violence

la suite après cette publicité

L’épopée débute comme un péplum macabre, avec la destruction de la ville dirigée par le futur empereur romain, Titus, en l’an 70 de notre ère. Pour Montefiore, cet événement a décidé « de l’avenir du judaïsme et du christianisme, […] voire, en se propulsant six siècles dans le futur, de la forme que prendrait l’islam ». La tragédie concentre les grands traits de l’histoire hiérosolymitaine : l’ineptie des occupants et l’indomptabilité des habitants, la ferveur religieuse et la débauche la plus sauvage, la volonté de résister et celle d’annihiler. Elle culmine dans un déchaînement de violence qui n’a cessé de se répéter au cours des siècles, ressuscité par le style riche et évocateur de l’historien : « Tout autour des murs se déroulaient des scènes semblables à l’enfer sur terre. Des milliers de cadavres se putréfiaient sous le soleil. La puanteur était insupportable. Des meutes de chiens et de chacals se gorgeaient de chair humaine. »

Pour la seconde fois détruit, le Temple, bâti par Salomon vers 970 avant notre ère pour abriter l’Arche d’Alliance, ne sera jamais reconstruit. Soixante ans plus tard, dans sa volonté d’effacer toute trace du judaïsme et de son coeur, l’empereur Hadrien, « l’un des pires monstres de l’histoire juive », fait de la Judée la Palestine, rebaptise Jérusalem Aelia Capitolina et interdit aux Juifs de l’approcher sous peine de mort. Mais la cité martyre habite désormais les coeurs et les imaginations, elle est devenue un mythe céleste vénéré aux quatre points cardinaux par le peuple de Yahvé, errant et dispersé. Ses bourreaux ont fait de la martyre un idéal immortel. Pendant deux mille ans, Jérusalem échappera au gouvernement des Juifs, jusqu’à ce qu’ils la reconquièrent par les armes en 1967, date choisie par Montefiore pour clore sa saga : « Le corpus central de ce livre se termine en 1967, parce que la guerre des Six Jours a pour l’essentiel accouché de la situation que nous connaissons aujourd’hui, et qu’elle constitue une conclusion majeure. »

la suite après cette publicité

Après le prologue apocalyptique, le biographe revient sur les origines de la ville et met en scène les grands actes de son destin : Jérusalem la judaïque devient païenne, chrétienne, musulmane, croisée, mamelouke puis ottomane avant de se soumettre aux empires coloniaux et de devenir le coeur du sionisme contemporain. Sa vie se confond avec celle des hommes illustres qui y ont vécu ou s’en sont approchés, et Montefiore excelle dans l’évocation de ces personnages, membres soumis ou rebelles d’un corps en perpétuelle convulsion.

Prophètes

La cité de Dieu est celle des prophètes qui l’ont sanctifiée. C’est d’abord Abraham, le « père des peuples », à qui Dieu ordonne de sacrifier son fils Isaac sur le mont Moria, là où sera bâti le temple de Yahvé. Puis Isaïe, « le premier à imaginer la vie au-delà de la destruction du Temple, dans une Jérusalem mythique » qui annonce le Jugement dernier et la venue du Messie. Pour 1 milliard de chrétiens, celui-ci a été crucifié comme un esclave en l’an 33 sur une colline hors les murs : le Golgotha. « Pourtant, il ne se présentait pas comme le Messie, et mettait l’accent sur la Shema, la prière juive de base au Dieu unique, et sur l’amour de son prochain : il était très juif », rappelle Montefiore. Six siècles plus tard, Mohammed, le prophète des musulmans, effectue depuis le mont du Temple son ascension au Ciel et fait de Jérusalem la première qibla, direction de la prière.

La « biographie » de Montefiore est aussi le livre des rois et des conquérants qui s’y sont pressés jusqu’à nos jours, de David, le jeune pasteur devenu le parangon du bon roi, à Moshe Dayan, le ministre de la Défense israélien, vainqueur des armées arabes lors de la guerre des Six Jours en 1967, en passant par Alexandre, Saladin, Soliman et Bonaparte, pour ne citer que les plus grands. Il y a les souverains bâtisseurs, comme Salomon, qui consacre à Yahvé un temple digne de sa splendeur, sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, qui couvre la ville d’édifices grandioses, et le calife Abd al-Malik, qui l’orne du Dôme du Rocher, « un nouvel Éden ». Il y a aussi les destructeurs : en 587 avant notre ère, Nabuchodonosor II le Babylonien rase le premier Temple avant que Titus se charge de détruire le second.

Scandinavie

Et au fil des pages, Jérusalem semble davantage concentrer la violence des hommes qu’abriter la paix de Dieu. Que dire des pieux croisés qui, lors de la prise de la ville en 1099, « tranchèrent têtes, pieds et mains, se glorifiant des fontaines de sang infidèle qui les aspergeait » ? Régicides, fratricides, parricides, infanticides : les pires crimes deviennent justes pour s’arroger le contrôle de la ville. Prostitution, débauche et inceste : Jérusalem n’a pas à rougir de Sodome et Gomorrhe, comme si Dieu et le diable s’y donnaient régulièrement rendez-vous. Et dès sa naissance elle semble tout entière tendue vers un seul destin, être le théâtre de l’apocalypse, que l’on attend en conclusion cathartique. Mais l’épilogue, après un bref rappel de l’histoire de la ville depuis 1967, s’achève dans l’atmosphère apaisée du soleil qui se lève et baigne de sa lumière le mur des Lamentations, le Saint-Sépulcre et le Haram al-Sharif, vers lesquels leurs humbles gardiens vont rendre le premier hommage au Dieu unique.

Aujourd’hui, la cité de Dieu reste une obsession douloureuse pour plus de 2 milliards de chrétiens, 1,5 milliard de musulmans et 13,5 millions de juifs. Né en 1939 à Jérusalem, l’écrivain Amos Oz a un jour proposé de « démonter les Lieux saints pierre par pierre et les transporter en Scandinavie pendant un siècle, pour ne les rendre qu’une fois que tout le monde aura appris à vivre ensemble à Jérusalem ».

___

* Jérusalem, biographie, de Simon Sebag Montefiore, Calmann-Lévy, 674 pages, 26,90 euros

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires