Comment Dubaï contourne les sanctions internationales contre la Russie

Futurs hôtes de la COP28 prévue à la fin de 2023, les Émirats arabes unis sont devenus la plaque tournante du détournement des sanctions internationales. Russes et Syriens en profitent allègrement.

Dubaï, le 18 février 2023. © Karim Sahib/AFP

BOUSSOIS PRO 2 (1)
  • Sébastien Boussois

    Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).

Publié le 6 avril 2023 Lecture : 4 minutes.

Du 30 novembre au 12 décembre 2023, la confédération des Émirats arabes unis accueillera la COP28. Non seulement Dubaï, qui passe pour un hyper-pollueur régional, se lave de tout soupçon dans ce domaine mais, depuis le déclenchement de l’offensive engagée par Vladimir Poutine en Ukraine et l’imposition de sanctions internationales contre Moscou, il se livre à un véritable « recyclage » des oligarques russes.

Blanchiment et prostitution

On s’imagine qu’à Dubaï tout est rose et vert. Si les Occidentaux ont le plus souvent en tête des images de fête, de plages, de filles en bikini ou d’alcool à gogo, ils oublient des facettes bien moins brillantes de la sphère dubaïote : le blanchiment d’argent, la prostitution, l’accueil de dirigeants déchus – comme l’ancien président afghan Ashraf Ghani – ou condamnés dans leur propre pays, tels que Pervez Musharraf, l’ancien chef de l’État pakistanais [décédé le 5 février dernier], le Palestinien Mohamed Dahlan, éternel opposant à Mahmoud Abbas, ou encore nombre de représentants corrompus des anciennes élites afghanes.

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Les Émirats arabes unis jouent avec le feu et, surtout, se jouent du droit international : le rapprochement officialisé de Mohammed Ben Zayed (MBZ) avec Bachar al-Assad, ces derniers mois, et l’arrivée de nombreux jets privés d’oligarques russes désireux de mettre leur fortune à l’abri en dépit des sanctions prises contre leur pays il y a un an, prouvent à quel point, une fois encore, les Émirats se moquent de la législation internationale en matière financière.

L’argent n’a pas d’odeur

Dès février 2022, les liaisons aériennes ont repris de plus belle entre la Russie et le Golfe après que Vladimir Poutine a haussé le ton face à des oligarques qui commençaient à ronchonner contre le conflit en Ukraine. L’argent n’a pas d’odeur, on le sait. Et Dubaï ne refuse jamais de serrer une main tendue, surtout lorsque celle-ci est remplie de dollars. À tel point qu’aux Émirats il n’y existe aucune loi sur la transparence financière et que tous les capitaux y sont les bienvenus.

Abou Dhabi n’a rien à perdre : déjà considéré comme un paradis fiscal dans la région, il est, avec Dubaï, le roi du blanchiment d’argent dans le Golfe, entrant et sortant régulièrement des listes noires de l’Union européenne (UE), et menant des opérations financières en permanence à la limite de la légalité. Les affaires se succèdent. Pourtant, il est l’un des partenaires économiques privilégiés de l’UE en matière d’armement et de lutte contre le terrorisme. Censés aider les Européens à combattre l’islam politique, les Émiratis continuent à leur faire croire qu’ils sont le meilleur modèle de développement de la région, la Suisse du Moyen-Orient !

Sur le front émirato-russe, tout semble se dérouler dans le meilleur des mondes : depuis un an, des centaines de sociétés russes ont été créées en contournant les sanctions occidentales. Les oligarques bannis de leur pays d’origine pullulent. Ils continuent à faire affaire et à entretenir leur fortune. Les investissements dans le domaine de l’immobilier sont légion. Dubaï est devenue la plaque tournante mondiale de l’art du détournement des sanctions internationales. La Russie et la Syrie en profitent sans complexe. Les Occidentaux ont-ils pour autant pris des sanctions contre les Émirats arabes unis ? Aucune, même si le comportement d’Abou Dhabi commence à agacer prodigieusement Washington.

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Nos amis les Émiratis…

On a pu lire, dans un récent article d’Intelligence on Line, que Washington tentait néanmoins de négocier avec Dubaï pour mettre un terme à ce business : « Alors que les Émirats arabes unis sont devenus un hub d’exportation vers une économie russe sous sanctions, le Trésor des États-Unis tente de trouver un accord avec les douanes de Dubaï pour faire cesser ce commerce », est-il écrit.

Ce n’est pas mieux sur le volet syrien : « Les exportations émiraties à destination de la Syrie ont continué à croître en 2018, atteignant 1,5 milliard de dollars, bien que cette croissance soit principalement imputable aux produits chinois transitant par Dubaï et renommés de la sorte aux Émirats arabes unis afin de bénéficier des avantages de l’accord de la Grande zone arabe de libre-échange (Gafta). »

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À preuve : aujourd’hui, 240 000 Syriens vivent et travaillent dans les Émirats arabes unis, essentiellement dans la construction, les médias, le secteur de la santé et le tourisme. Et, parmi eux, il n’y a pas que des réfugiés politiques et des opposants à Bachar al-Assad !

Pendant que l’enlisement des troupes russes en Ukraine accapare l’attention de tous les médias, MBZ tisse sa toile et se rêve en grand leader d’une puissance régionale, voire mondiale. Il y attire les décideurs et les capitaux, et accroît sa puissance financière jour après jour en dehors de tout respect du droit international. Depuis des années, les Émiratis sont devenus « des amis » à la façade bien lisse et policée, qui coopèrent avec les Occidentaux dans le domaine de la sécurité militaire, dans celui de la lutte antiterroriste, et, surtout, en matière de sécurité énergétique. On comprend mieux pourquoi il ne faut surtout pas contrarier les plans de MBZ…

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