Coupe du roi Salman : football et soft power saoudien

Rebaptisée « Coupe du roi Salman », la Coupe arabe des clubs champions, dont la 30e édition a débuté en mars, est contrôlée et financée pour une très large part par l’Arabie saoudite, qui a fait du sport l’un des outils majeurs de sa diplomatie.

La Coupe arabe des clubs champions s’appelle désormais la Coupe du roi Salman. © DR

Alexis Billebault

Publié le 22 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

Ce n’est pas parce qu’elle cherche à attirer l’Argentin Lionel Messi à Al-Hilal Djeddah après avoir convaincu Cristiano Ronaldo de s’installer à Riyad pour porter le maillot d’Al-Nassr, qu’elle n’a pas renoncé à se porter candidate à l’organisation de la Coupe du monde 2030, mais sans l’Égypte et sans doute la Grèce, et qu’elle a obtenu celle d’autres compétions comme la Coupe d’Asie des nations de football féminine 2026 et masculine 2027, ou les Jeux asiatiques d’hiver en 2029 que l’Arabie saoudite néglige les épreuves moins médiatiques.

Le royaume, qui a fait du sport un des outils majeurs de sa diplomatie, afin de changer une image désastreuse au niveau international, finance ainsi la Coupe arabe des clubs champions de football. Pour son édition 2023, et sans doute pour les suivantes, cette compétition a même été rebaptisée Coupe du roi Salman, en référence au souverain qui règne depuis 2015.

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Créée en 1981, et sujette depuis à quelques années sans tournoi [1983, 2009 à 2012, 2013 à 2017 et 2020 à 2023, notamment pour cause de Covid-19, NDLR], la Coupe arabe peut malgré tout se targuer d’une certaine régularité.

« Cette compétition est avant tout une affaire saoudienne. Les réunions se font toutes à Djeddah ou Riyad. Elle a été créée par l’Union arabe de football association [UAFA, fondée en 1976 par l’Arabie saoudite, NDLR], et dont tous les présidents ont été saoudiens [Abdelaziz Ben Turki al-Faisal, le président de la fédération saoudienne, la dirige depuis 2021, pour quatre ans, NDLR] », note un diplomate, fin connaisseur du monde arabe.

L’UAFA, qui regroupe vingt-deux fédérations africaines et asiatiques*, n’est cependant pas reconnue par la Fifa. Son comité exécutif est composé de quatre présidents de fédérations africaines et quatre asiatiques, l’Algérien Mohamed Raouraoua en est le président d’honneur, alors que Jibril Rajoub, ancien chef de la sécurité de Yasser Arafat et président de la fédération palestinienne, en est membre permanent.

L’édition 2023, qui concerne 37 équipes, est largement financée par le royaume, qui verse les dotations à l’UAFA, elle-même chargée de les répartir. Le principal sponsor, Sports Partners International (SPI), est une société fondée en 2017 et basée aux Émirats arabes unis. Cette année, les dotations financières sont alléchantes, surtout pour ceux qui vont loin dans la compétition. Le vainqueur empochera 6 millions de dollars, et le finaliste 2,5 millions de dollars. Une somme de 200 000 dollars sera allouée aux demi-finalistes, 150 000 aux quart-de-finalistes, alors que les équipes éliminées en phase de groupes toucheront 100 000 dollars et celles sorties lors des deux tours préliminaires 20 000 ou 40 000.

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Des dotations jugées inégalitaires

« C’est intéressant si on va loin. Sinon, ça peut coûter de l’argent. En ce qui nous concerne, si l’État mauritanien ne prend pas en charge les billets d’avion, pour aller en Jordanie pour le premier tour préliminaire, puis au Koweït en juin pour le second tour, on ne participe pas. Avec notre budget annuel de 500 000 euros, on doit faire attention à nos dépenses », explique Moulay Abdel Aziz Boughourbal, le président du FC Nouadhibou, qui jouera en juin face à Kuwait SC une place en phase de poules.

« Ce que je regrette, c’est que les dotations sont importantes pour les gros clubs des meilleurs pays, mais très faibles pour les Comoriens, les Djiboutiens, les Somaliens ou les Mauritaniens. J’aurais apprécié un peu plus de solidarité, qu’on donne un peu moins d’argent aux gros et un peu plus aux petits… »

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Pour certains clubs, tel le puissant Al-Ahly (Égypte), le plus titré d’Afrique et sans doute le plus riche – avec un budget annuel d’environ 140 millions d’euros –, la Coupe du roi Salman n’est à l’inverse pas assez attractive pour l’inciter à y participer, notamment en raison d’un calendrier international déjà surchargé.

« Économiquement, l’absence d’Al-Ahly est un problème car les télés égyptiennes versent des droits de retransmission élevés », note un spécialiste de l’audiovisuel. « Sportivement, par contre, elle va permettre aux clubs de disputer des matches internationaux et à des joueurs évoluant en Afrique de se faire remarquer, notamment dans le Golfe persique, où ils pourront toucher de meilleurs salaires », intervient Mehdi Rabehi, le président du CR Belouizdad, champion d’Algérie en titre et qui est directement qualifié pour la phase de groupes et la phase finale, prévues en Arabie saoudite (Taëf, Abha, Al-Batah) entre le 20 juillet et le 5 août prochains, avec une prise en charge intégrale (billets d’avion, logements, déplacements sur place) par le royaume.

Le dirigeant algérien, s’il reconnaît que les écarts entre les dotations financières « sont trop importants », voit d’autres avantages à cette compétition. « C’est bien, pour un club maghrébin, de jouer face à des équipes arabes du continent asiatique. Nous n’avons pas l’habitude, il y a une forme d’impatience de disputer un tournoi sur un autre continent, de découvrir, notamment chez les joueurs, un autre pays du monde arabe. »

Pourtant, cette compétition a connu quelques moments de tensions, comme en septembre 2018, à l’occasion d’un match entre l’USM Alger et les Irakiens d’Al-Qowa Al-Jawiya, lorsque des supporters locaux n’avaient rien trouvé de plus intelligent que d’entonner des chants à la gloire du sinistre Saddam Hussein. Les joueurs de Bagdad avaient quitté la pelouse à la 71e minute, et l’ambassadeur d’Algérie en Irak avait été convoqué.

Tensions diplomatiques régulières

La même année, la Fédération algérienne de football (FAF) avait accusé l’UAFA d’ingérence après que celle-ci a décidé, pour relancer son tournoi, de choisir elle-même les participants. La FAF s’était fendue d’un courrier cinglant, assurant que d’autres fédérations partageaient son avis.

Toujours en 2018, la tension était montée entre l’ancien président de l’UAFA, le Saoudien Turki Al-Sheikh, régulièrement accusé par la presse marocaine de publier tweets désobligeants à l’encontre du royaume chérifien et d’avoir manœuvré pour que la Coupe du monde 2026 soit attribué au trio États-Unis-Mexique-Canada plutôt qu’au Maroc.

L’UAFA avait publié sur son site officiel une carte du Maroc amputée du Sahara, ce qui avait provoqué un certain émoi à Rabat et une intervention officielle de la Fédération marocaine royale de football (FRMF). L’instance avait finalement retiré cette publication.

* Les 22 pays dont les fédérations sont affiliées sont l’Algérie, les Comores, Djibouti, le Soudan, le Maroc, l’Égypte, la Tunisie, la Somalie, la Mauritanie et la Libye pour l’Afrique, l’Arabie saoudite, Bahreïn, la Palestine, le Qatar, Oman, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Yémen, le Koweït, l’Irak, la Syrie et le Liban pour l’Asie.

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