Pourquoi Meloni retourne à Tunis avec Von der Leyen

La présidente du Conseil italien était en Tunisie mardi. Elle y sera à nouveau dimanche 11 juin en compagnie de la patronne de la Commission européenne. Mais pour proposer quoi, et avec quelles arrière-pensées ?

Ursula von der Leyen (à dr.) et Giorgia Meloni survolant en hélicoptère des zones touchées par des inondations, près de Bologne, le 25 mai 2023. © Palazzo Chigi press office/AFP

Publié le 8 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

À peine la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, avait-elle quitté le tarmac de Tunis-Carthage le 6 juin que son retour était annoncé pour ce dimanche 11 juin.

Comme elle l’avait promis au président Kaïs Saïed, elle sera, lors de cette visite éclair – très précisément de 9h00 à 13h00 selon des sources de la délégation européenne à Tunis –, aux côtés de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi que du Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, dont le pays fait actuellement l’expérience d’une forte migration irrégulière.

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Meloni semble décidée à donner un coup d’accélérateur à son intermédiation entre la Tunisie et l’Union européenne (UE). Au programme ce dimanche : la relation bilatérale entre l’UE et la Tunisie en vue d’élaborer un accord de coopération, mais aussi les économies d’énergie et la migration.

Ce sont précisément les thèmes sur lesquels Giorgia Meloni travaille pour convaincre les uns et les autres que ces dossiers sont cruciaux pour la Tunisie. Mais aussi pour elle, puisque la dirigeante italienne espère pouvoir se prévaloir de l’appui de l’UE dans la seconde partie de son offensive, celle qui vise à obtenir du Fonds monétaire international (FMI) le déblocage du prêt de 1,9 milliard de dollars qu’il a consenti à la Tunisie mais conditionné à des réformes.

De nombreux observateurs doutent de l’issue de cette seconde phase car il faudrait que, dans une certaine mesure, Kaïs Saïed revienne sur son rejet public des diktats du FMI. « Si le FMI accorde ce prêt sur pression de Meloni, il faudrait reconnaître l’influence de celle-ci et reconsidérer la place de l’Italie sur la scène internationale », estime un politologue.

Cette opération de lobbying d’une envergure assez inédite est aussi très inattendue. L’eurosceptique Meloni, qui a construit toute sa campagne électorale sur son opposition à l’Europe, a réussi à convaincre la chrétienne-démocrate et très europhile Ursula von der Leyen, ainsi que d’autres dirigeants, dont le président français Emmanuel Macron, en évoquant la situation alarmante de la Tunisie lors de la réunion du G7 à Hiroshima.

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La présidente de la Commission avait déclaré, en mars, devant le Conseil européen que « l’Union était prête à mobiliser 110 millions d’euros supplémentaires pour l’Afrique du Nord afin d’empêcher les gens de risquer leur vie en prenant des bateaux pour l’Europe ». Une somme qui viendrait s’ajouter aux 208 millions d’euros déjà prévus pour 2023. Mais entre-temps, l’Europe a émis des réserves sur les nouvelles orientations de la Tunisie, ce qui a jeté un froid entre Tunis et Bruxelles.

L’immigration en sous-titre

La dirigeante italienne joue donc gros, et risque de paraître trop entreprenante. Mais elle estime sans doute que le dossier Tunisie est une affaire qui doit être rondement menée afin d’écarter ce qu’elle considère comme un potentiel déferlement de migrants irréguliers sur l’Europe, l’Italie étant en première ligne. Ils sont 45 000, depuis janvier 2023, dont 30 000 Subsahariens et Tunisiens, à avoir rejoint l’Europe depuis la Tunisie.

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La lutte contre la migration irrégulière avait été l’un des thèmes de campagne de celle qui était alors candidate du mouvement d’extrême droite Fratelli d’Italia, même si depuis son accession au pouvoir, elle a arrondi les angles et changé de stratégie.

Plus question de solutions uniquement sécuritaires, place à une coopération qui soutient le développement local dans des pays comme la Tunisie. Il n’est pas dit que cette formule suffise à convaincre les jeunes de rester dans leurs pays d’origine, ni qu’elle soit satisfaisante face à la paupérisation et la précarisation générées par le changement climatique ou les conflits.

Adoptée dans l’urgence, la solution offerte à Tunis par Meloni est en effet ponctuelle. Et ne semble pas tenir compte du fait que la dette tunisienne et les difficultés économiques du pays ne peuvent être compensées par le 1,9 milliard de dollars du FMI, et qu’il faudrait l’équivalent d’un véritable plan Marshall pour remettre le pays sur les rails.

Mais qui va vouloir soutenir un pays en plein marasme et qui ne répond pas aux normes minimales de démocratie exigées par les nations occidentales ? La présidente du Conseil italien compte sur une forme de pragmatisme européen pour écarter toute remarque sur les risques de dérive autoritaire en Tunisie.

Surtout, la présidente du Conseil italien se garde bien de trop regarder vers l’avenir, employant son énergie au « ici et maintenant » pour remporter une partie qu’elle a engagée sans être sûre d’obtenir les appuis nécessaires.

Si elle réussit ce tour de force de rapprocher le pouvoir tunisien de l’Europe et des États-Unis, elle parviendra au moins non seulement à remettre en selle la diplomatie italienne mais à lui donner un rôle central sur le plan régional.

À peine revenue de Tunis, le 6 juin, elle a d’ailleurs reçu le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah, auquel elle a encore une fois offert un cocktail de dynamisme, de détermination et de projets communs. Le tout pour consolider les relations en matière énergétique et déployer son discours antimigration.

« Si on empêche les migrants de passer par la Tunisie, ils passeront aussitôt par la Libye ou le Maroc », prédit un expert de l’Office international de la migration (OIM). Un point crucial que Meloni ne semble pas avoir envisagé.

Ingérence à géométrie variable

En Tunisie, l’opinion est déconcertée et se demande quels leviers Meloni va vouloir – et pouvoir – actionner pour faire cesser les flux migratoires, sachant l’implication de réseaux puissants, notamment la mafia, dans le trafic humain. Elle s’interroge aussi sur les motivations de cet intérêt soudain pour la Tunisie et de cet entêtement à annoncer depuis janvier 2023 un effondrement imminent du pays qui n’a pas eu lieu.

Mais elle s’étonne surtout que le président Saïed ne perçoive pas l’approche de Meloni comme une ingérence, à moins que le président ne « pense que le ballet des Européens à Carthage, sans conditionner leur aide à autre chose que la lutte contre la migration, est une victoire personnelle », suppose un ancien ambassadeur. Lequel estime que les États-Unis approuvent certainement l’initiative de Meloni, pariant que celle-ci aurait tourné court sans le soutien, au moins tacite, de Washington.

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