Vague d’arrestations en Égypte en plein « dialogue national »

Des fans de foot et des partisans d’un candidat à la présidentielle incarcérés, des militants des droits humains classés « terroristes »… L’Égypte poursuit son implacable répression un mois après le début du « dialogue national ».

Le Centre correctionnel et de réhabilitation de la ville de Badr, à 65 km du Caire, le 16 janvier 2022. A picture taken on January 16, 2022 shows the Correctional and Rehabilitation Centre in Badr city, 65 kms east of the Egyptian capital Cairo, during a government-guided tour for the media. (Photo by Khaled DESOUKI / AFP) © KHALED DESOUKI/AFP

Publié le 9 juin 2023 Lecture : 3 minutes.

Le 3 mai, le matin même de l’ouverture du grand « dialogue national » censé aborder tous les sujets qui fâchent dans le plus peuplé des pays arabes, un journaliste est arrêté tandis que le monde célèbre la journée de la liberté de la presse. Hassan Qabbani est finalement relâché et Diaa Rashwan, le coordinateur du dialogue national, assure qu’il s’agissait d’un « problème d’homonymie ». Au même moment, 16 proches et partisans d’Ahmed al-Tantawi, l’unique candidat (pour l’instant) à la présidentielle du printemps 2024, sont arrêtés.

Peu de temps après, la rapporteure de l’ONU pour les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, s’inquiète de la « disparition forcée », pendant 23 jours, du militant Moaaz al-Charqawy, réapparu ensuite devant le parquet de la Sûreté d’État, une juridiction d’exception, d’après l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR).

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Manœuvre du pouvoir

Pour Amr Magdi, de l’ONG Human Rights Watch (HRW), le dialogue national n’apporte « absolument aucun changement ». Le pouvoir « manoeuvre pour faire comme s’il ouvrait un nouveau chapitre mais, en réalité, il essaye uniquement d’améliorer son image », explique-t-il.

La preuve, pour les militants des droits humains ? Le Caire a réactivé mi-2022 en grandes pompes son comité des grâces présidentielles. Côté face, il a fait libérer près d’un millier de prisonniers, répètent à l’envi les responsables. Mais côté pile, dénoncent les ONG, presque « trois fois plus (de personnes) ont été arrêtées dans le même temps ».

De nombreux Ultras arrêtés

Ces dernières semaines, le rythme s’est encore accéléré. Le 22 avril, une vingtaine d’Ultras Ahlawy avaient été arrêtés lors d’un match au stade du Caire. Aussitôt une campagne appelant à boycotter le stade et à brûler sa carte de supporteur est née. Dans la foulée, au moins 39 fans – dont des mineurs – ont été « raflés chez eux », selon le Front égyptien pour les droits humains (EFHR) qui indique que la justice d’exception les maintient en détention provisoire pour « terrorisme » et rassemblement « en vue de détruire le stade du Caire ». Les Ultras, centraux dans la « révolution » de 2011 qui a renversé Hosni Moubarak, sont de longue date dans le viseur du régime d’Abdel Fattah al-Sissi. Ils ont été interdits en 2018 et des dizaines d’entre eux jetés en prison.

Ahmed al-Tantawi, le candidat à la présidentielle connu pour avoir lancé en 2019 au Parlement un retentissant « Je n’aime pas le président », s’inquiète du sort d’une vingtaine de ses partisans. Seize doivent répondre d’ « appartenance » ou « financement d’un groupe terroriste », de possession d’ « armes » et d’ « outils de propagande ». Et « neuf autres ont été enlevés en route vers (son) bureau au Caire », rapporte-t-il.

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Aucune sécurité

Pour Amr Magdi de HRW, il n’y aura « pas d’élections libres » en 2024. En 2018, le président Sissi l’avait emporté haut la main face à un unique concurrent qui lui proclamait son soutien. « Des gens sont arrêtés pour un post sur Facebook, donc personne ne se sent en sécurité pour mener une quelconque activité politique », dit-il. Diaa Rashwan, lui, estime qu’ « il faut distinguer les cas isolés des phénomènes plus larges » comme le dialogue national ou le comité des grâces présidentielles.

Comme les autorités refusent de donner le nombre de détenus, les ONG tentent de s’appuyer sur d’autres chiffres. L’EFHR rapporte ainsi que les juges anti-terroristes de la nouvelle prison de Badr (à l’est du Caire) ont étudié, en 2022, 25 034 demandes de prolongation de détention provisoire. Dans 98,6 % des cas, ils ont prolongé de 45 jours la détention « principalement pour des détenus inquiétés pour leur activité politique », assure l’EFHR.

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Nouvelles prisons dans le désert

Les prisons sont le nouveau grand chantier du Caire. Fin mars, un cinquième « centre de réhabilitation » était inauguré en grandes pompes. Ces nouveaux complexes construits dans le désert sont censés remplacer les dizaines de prisons vétustes du pays. Mais, depuis janvier, les défenseurs des droits humains ont recensé la mort de 14 détenus, dont au moins cinq dans ces nouveaux établissements.

La répression touche aussi les ONG. Le 14 avril, elles ont appris en lisant le journal officiel que, parmi les 81 Égyptiens tout juste ajoutés à la liste des « terroristes », figuraient plusieurs de leurs membres. Pendant cinq ans, ces derniers ne pourront ni voyager ni accéder à leurs comptes bancaires.

(avec AFP)

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