Von der Leyen, Meloni et Rutte : un trio européen à Tunis

Appui financier, projets communs… Les propositions faites à Kaïs Saïed par les trois responsables européens ce dimanche sont sans surprise. Sur la question migratoire, rien de nouveau n’a vraiment été décidé.

Le président Kaïs Saïed avec Giorgia Meloni (au premier plan), Ursula von der Leyen et Mark Rutte (à dr.), à Tunis, le 11 juin 2023. © Koen van Weel/ANP MAG via AFP

Publié le 12 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

Après avoir, avec opiniâtreté, imposé le dossier Tunisie à l’Union européenne (UE), Giorgia Meloni a mis fin à son initiative d’intermédiation et passé la main à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Ce passage de relai a été acté par la rencontre qui a réuni, au palais de Carthage, le 11 juin, le président tunisien, Kaïs Saïed, et la présidente de la Commission européenne, accompagnée de la présidente du Conseil italien, revenue à Tunis comme elle l’avait promis, et de son homologue néerlandais, Mark Rutte.

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Pour le trio européen, il s’agissait d’entériner le contenu et l’avancement des discussions entre Tunis et Bruxelles. C’est ainsi également que l’entendait le président tunisien, qui s’est entouré notamment de ses ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de l’Économie, du Commerce, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. L’absence de Najla Bouden à la table de discussion a été relevée, mais la cheffe du gouvernement a néanmoins été aux côtés du président Saïed pour le déjeuner qu’il a donné à ses hôtes au palais de Carthage.

Le président s’impose ainsi comme l’unique interlocuteur d’une Europe qui n’a pas ménagé ses critiques sur le recul de la démocratie depuis que Kaïs Saïed s’est arrogé tous les pouvoirs en juillet 2021. Mais sourires, échanges d’anecdotes et chaleureuses poignées de main sont venus dissiper ces bisbilles : Carthage et Bruxelles sont désormais au diapason. Meloni, qui a exécuté son solo le 6 juin, a passé la main à Ursula von der Leyen, qui dirige désormais la partition jouée par l’orchestre des 27.

Car pour l’Europe, la priorité n’est plus le déficit démocratique : il s’agit maintenant d’éviter à la Tunisie un effondrement économique qui aurait immanquablement des répercussions sur les flux migratoires vers les rives Nord de la Méditerranée. Pour ce faire, il a fallu au préalable trouver des points de convergence permettant à l’UE de déterminer la nature de l’aide à apporter à partir d’« une approche globale dans le respect des droits humains », selon Ursula von der Leyen.

Faire pression sur le FMI

Très attendue, cette rencontre a permis de préciser les intentions de l’UE et d’aboutir au principe d’un mémorandum, d’ici fin juin, à l’occasion du Conseil européen. La déclaration commune qui a conclu cette journée confirme un soutien financier pouvant aller jusqu’à 900 millions d’euros, conditionné néanmoins au déblocage par le Fonds monétaire international (FMI) du prêt de 1,9 milliard de dollars que la Tunisie a négocié en 2022.

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Mais dans l’immédiat, l’UE consent à allouer une enveloppe de 150 millions d’euros en 2023 pour soutenir les réformes. Une manière de gagner du temps et de faire pression sur le FMI, dont la prochaine réunion du conseil d’administration, qui a son mot à dire pour valider les prêts, est prévue en décembre 2023.

L’accord du FMI reste une contrainte majeur mais il vaut pour toutes les levées de fonds ou tout prêt que la Tunisie souhaiterait solliciter. Pour ne rien arranger, la dégradation, de cc+ à cc-, de la notation souveraine, annoncée le 9 juin par l’agence Fitch Ratings, enfonce un peu plus dans la précarité le pays, dont la dette s’élève à près de 3,5 milliards d’euros.

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La suggestion, que le président Saïed avait faite à Giorgia Meloni, de convertir une partie de la dette en projets d’investissement semble pour le moment prématurée et doit surtout être évaluée par Bruxelles avant une éventuelle mise en œuvre.

Au final, l’initiative de Meloni aura réussi à redonner des couleurs à un partenariat qui avait été impacté par l’échec de la finalisation en 2018 de l’accord de libre-échange, Aleca. Cette fois, l’Union consolide autrement ses relations économiques et propose un accord sur l’ouverture de l’espace aérien, ainsi que la connexion via Medusa, système de câble sous-marin à accès ouvert qui devrait relier 19 pays méditerranéens à l’Europe.

Il est également question d’investissements dans les énergies vertes et renouvelables, ainsi que du programme italien Elmet de transport d’électricité, qui intéresse la Tunisie comme fournisseur potentiel. Des propositions assez classiques, et qui correspondent à ce que l’UE estime être des objectifs de développement communs aux rives Nord et Sud de la Méditerranée. L’action en amont portera sur l’éducation et la formation, à l’aune du numérique et de la modernisation de l’économie.

Rien de bien nouveau sous le soleil, en somme, y compris en matière de migration, point noir de la relation entre la Tunisie et l’UE. Le pays, qui avait déjà conclu un accord de rapatriement de migrants avec l’Italie, n’a pas obtenu un jackpot similaire à celui des 3 milliards d’euros consentis en 2016 par l’UE à la Turquie pour gérer le flux des réfugiés fuyant le conflit syrien.

Tunis encaissera néanmoins 105 millions d’euros, soit trois fois le montant alloué sur les deux dernières années. L’accord prévoit une lutte globale et commune contre la migration irrégulière avec des actions contre les passeurs et les opérateurs de la traite humaine, la consolidation de la gestion des frontières, l’enregistrement et le retour vers le pays d’origine. Le tout, précisent les deux parties, dans le respect des droits de l’homme. Un vœu que Bruxelles sait être une pure utopie sur le terrain. Rien n’a vraiment été précisé sur le rôle de la Tunisie dans cette question de la migration, pour laquelle elle semble être un prestataire rémunéré.

Vers une loi sur l’immigration ?

Ce non-dit va alimenter une polémique naissante en dépit, ou justement à cause, des propos tenus par le président Saïed le 10 juin à Sfax (Est), ville où se rassemblent les migrants dans l’attente d’un départ. Il y a assuré que « la Tunisie n’est pas vouée à faire le gendarme pour des pays tiers », mais il a aussitôt ajouté que les migrants ayant régularisé leur situation étaient les bienvenus.

Résultat, le problème des migrants irréguliers reste entier, alors que les lois tunisiennes ne permettent pas la délivrance d’un titre de séjour à ceux qui seraient dans une situation de séjour illégal.

Kaïs Saïed, qui ne cesse de souligner le volet humain des mouvements migratoires, pourrait être à l’origine d’un projet de loi qui lui conférerait plus de poids lors de la conférence sur le thème « migration et développement » dont il avait suggéré la tenue, mais que la pragmatique Giorgia Meloni compte organiser à Rome dans un second temps. Une manière peut-être de garder la main sur la question du contrôle migratoire, dont Kaïs Saïed souligne précisément le volet humain.

Côté européen, il semble acquis que le pacte de migration entériné par les ministres de l’Intérieur de l’UE le 8 juin donnera un tour de vis supplémentaire à la réglementation migratoire et mettra les pays de provenance et d’arrivée face à leurs responsabilités. Reste que la Tunisie n’est pas le seul pays émetteur de migration irrégulière. Dans une tribune parue le 11 juin dans le quotidien italien La Repubblica, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jalloun assurait à ce propos que « l’approche de Giogia Meloni sera sans résultats, les débarquements de clandestins se poursuivront ».

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