Le traumatisme de la jeunesse malgache

Alors que dans les plus hautes sphères de l’Etat, deux hommes se déchirent pour le pouvoir, les jeunes de Madagascar sont, eux, profondément bouleversés par de longs mois de crise politique et de violences, qui ont modifié tous leurs repères, et qui les laissent livrés à eux-mêmes.

Publié le 25 juin 2009 Lecture : 4 minutes.

A Madagascar, l’avenir de la réconciliation pourrait reposer sur la jeunesse malgache, mais les jeunes, qui ont participé à plusieurs mois de violences politiques et restent exposés, aujourd’hui encore, au chaos, sont désormais désabusés et particulièrement vulnérables, selon un rapport paru dernièrement.

" Les adolescents sont de toute évidence aux premiers rangs du changement, mais en même temps, ils sont extrêmement vulnérables à la violence et à la criminalité ", peut-on lire dans le rapport, intitulé Pandora’s Box: Youth at a Crossroads ? (La Boîte de Pandore : les jeunes à la croisée des chemins?), et rédigé par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et un groupe d’organisations non-gouvernementales (ONG) locales et internationales.

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Le document présente les points de vue et les préoccupations de quelque 13 000 adolescents malgaches d’Analamanga, la région centrale du pays, où se situe Antananarivo, la capitale. Les entretiens menés portaient sur les conséquences des dernières manifestations politiques, qui ont fait des centaines de morts et plusieurs milliers de blessés.

" Il est frappant de constater à quel point la violence a modifié leur perception de la situation, et toute la colère et la frustration qu’elle a provoquées ", relève Bruno Maes, représentant de l’UNICEF à Madagascar.

" Et vous, vous pourriez vivre ici ? Si je meurs, qui s’en souciera ? Je ne vis pas, de toute façon ", a lancé un sondé.

" Chaque fois que j’entends des tirs, mon cœur bat la chamade et je commence à trembler. Je pense à ce qui pourrait se passer, et à ce que je ferais si des membres de ma famille mouraient ", a commenté un autre. 

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Désillusion

L’impasse actuelle entre Andry Rajoelina, ancien maire d’Antananarivo, et Marc Ravalomanana, président destitué, a commencé en janvier 2009, culminant par un changement de gouvernement condamné par la communauté internationale pour avoir été mis en place " à la manière d’un coup d’Etat ", selon cette dernière.

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A la suite de cela, Marc Ravalomanana s’est exilé en Afrique du Sud. En dépit de pressions internationales de plus en plus fortes et de nombreuses tentatives de médiation, les parties rivales ne sont toujours pas parvenues à un arrangement. En attendant, les structures économiques et de gouvernance de Madagascar s’effondrent.

" C’est absurde. Qu’est-ce qui nous est arrivé ? Où sont nos valeurs ? On ne peut pas se parler au lieu de s’entretuer ? ", a demandé un sondé.

" Idiots ! Vous nous avez mis dans une situation irréversible. Vous pensez que les jeunes qui se trouvaient devant les barricades se tiendront tranquilles à l’avenir ? Vous pensez qu’ils se soucieront d’aller voter, la prochaine fois ? Et pourquoi le feraient-ils ? ", s’est indigné un autre. 

Les chercheurs ont exploré les effets de la crise sociopolitique sur la vie des jeunes ; ses conséquences sur leur bien-être émotionnel, psychologique, social et éducatif, et ont mis en exergue l’érosion progressive des valeurs traditionnelles. 

Perte de repères

" [Les] résultats sont inquiétants parce qu’en plus d’une recrudescence de la violence, les jeunes expriment une division de plus en plus profonde au sein de la communauté et avec leurs pairs. Les expériences passées ont montré que la violence engendrait la violence, et si nous n’agissons pas tout de suite, il sera trop tard ", a averti Bruno Maes.

Selon le rapport, " la difficulté des jeunes à distinguer ce qui est "correct" de ce qui est "incorrect" fait partie des conséquences de la crise à long terme. Ce qui est "vrai" et ce qui est "faux", en tant que valeurs traditionnelles de base, a été radicalement modifié par les récents événements ".

Un des jeunes Malgaches interrogés a suggéré que " le peuple malgache était devenu agressif " et que " toute fraternité avait disparu, de même que tout effort de développement. Le "Fihavanana" [système de valeurs traditionnel] a disparu ".

" La vie de la rue a toujours été une vie de misère ; maintenant qu’on peut voler sans que personne ne dise rien, c’est mieux ", a noté un autre, plus cynique.

La perception que les jeunes ont de la crise renvoie ainsi à un affaiblissement des systèmes de justice et de maintien de l’ordre, porte ouverte à des dangers encore plus grands : l’instabilité du pays est en effet propice à un accès facile aux stupéfiants, à la traite des enfants, à la prostitution, à la maltraitance des enfants et à la formation de bandes de jeunes criminels, selon le rapport. 

Des jeunes investis, mais invisibles

" Depuis quelques mois, les jeunes jouent un rôle clé dans la vie politique et sociale malgache : ils ont pris part aux manifestations de rue, aux violences, ont aidé à dresser les barrages routiers ; ils ont été victimes des violences et des crimes, et se sont vus privés de leur droit à l’éducation ", ont fait remarquer les auteurs du rapport.

Pourtant, les jeunes sont, semble-t-il, les grands oubliés des interventions humanitaires. " Ni enfants, ni adultes, ils sont dans une situation de flou, et sont les premiers à subir les conséquences de la violence et de l’agressivité ", toujours d’après le rapport.

Les adolescents ont également exprimé des sentiments mitigés concernant l’avenir : " Je pense que j’ai peur chaque jour, j’ai peur pour mon avenir… c’est une peur profonde qui ne peut être vue de l’extérieur ", a confié un des jeunes interrogés.

Le rapport propose que toutes les parties prenantes interviennent d’urgence pour veiller à ce que les jeunes soient moins exposés aux violences, en répondant immédiatement à leurs préoccupations, en leur offrant des services personnalisés, adaptés à leur âge, en promouvant des valeurs de paix et de réconciliation, et en les invitant à participer davantage à un changement social positif.

" Des expériences négatives de ce type exposent les jeunes à des risques à long terme et à la possibilité de devenir plus agressifs ", a noté Bruno Maes. " Il est possible d’inverser cette tendance ; toutefois, cela exigera des mesures immédiates et audacieuses ".

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