La grossesse: motif de renvoi automatique pour les élèves

En vertu de nouvelles lois locales, en cours d’adoption par les chefs de village du nord de la Sierra Leone, lorsqu’une élève tombe enceinte d’un élève, tous deux doivent arrêter l’école, une situation qui inquiète les experts de la protection de l’enfance.

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

Des lois traditionnelles ont été adoptées par les chefs des villages de certaines zones de Bombali, une région du nord de la Sierra Leone, dont la chefferie de Safroko Limba, selon Ramatu Kanu, directrice adjointe des autorités éducatives régionales. La région de Bombali est composée de 13 chefferies.

Ces lois ont été conçues pour stigmatiser la grossesse chez les adolescents et dissuader les filles de tomber enceintes, selon Maud Droogleever Fortuyn, directrice des services de protection de l’enfance au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Sierra Leone.

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« Dans ces chefferies, lorsqu’une fille tombe enceinte, la plupart des garçons arrêtent aussi l’école. Ils se mettent à faire du petit commerce, ou deviennent chauffeurs "d’okada" [mototaxis] », a expliqué John Amadfoma, 17 ans, scolarisé à Makeni, chef-lieu de la région de Bombali, situé à 140 kilomètres au nord de Freetown.

Taux élevés de grossesse et d’abandon scolaire

Le taux de grossesse chez les adolescentes contribue au faible taux de scolarisation des filles à l’école secondaire, en Sierra Leone, selon Mme Kanu. A peine 17 pour cent des filles et 21 pour cent des garçons fréquentaient l’école secondaire entre 2000 et 2007, selon l’édition 2009 du rapport sur la Situation des enfants dans le monde, publié par l’UNICEF.

Un peu plus de 40 pour cent des femmes, aujourd’hui âgées de 25 à 29 ans, ont eu leur premier bébé avant l’âge de 18 ans, et 12 pour cent d’entre elles avant l’âge de 15 ans, selon l’enquête publique Démographie et santé (DHS) 2009, à paraître.

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La plupart des filles arrêtent l’école avant l’âge de 15 ans, généralement parce qu’elles sont enceintes, selon Mme Kanu. Quant aux garçons, ils arrêtent généralement l’école avant l’âge de 16 ans.

Les experts locaux de la protection de l’enfance pensent que ces grossesses sont le fruit de relations sexuelles volontaires entre élèves, de mariages précoces, de rapports sexuels transactionnels avec des adultes ou d’autres formes de sévices sexuels, mais Mme Fortuyn de l’UNICEF a expliqué à IRIN qu’aucune étude n’avait encore été menée à ce sujet.

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L’UNICEF prévoit de mener des recherches dans ce domaine dans les prochains mois, a-t-elle ajouté.

Contre le renvoi des élèves

« L’UNICEF n’approuve pas ces [lois] qui prévoient d’expulser des écoles les filles enceintes et les garçons qui les ont mises enceintes », a déclaré Mme Fortuyn à IRIN. « Renvoyer les enfants des écoles va à l’encontre de leur droit [à l’éducation] ».

« Bien que nous reconnaissions que le garçon doit lui aussi assumer une responsabilité, ce n’est pas la bonne méthode. Pourquoi ne pas faire en sorte que les familles des garçons soient responsables d’assurer que les filles achèvent le cursus secondaire, par exemple ? ».

Mme Kanu, directrice adjointe de l’éducation, appelle à prendre davantage de mesures incitatives pour encourager les filles à rester à l’école. « Davantage de filles resteraient à l’école si elles avaient plus de modèles à admirer. Nous devons récompenser les filles qui ont de bons résultats et les prendre en exemples devant les autres. Les filles ont les meilleurs résultats à l’école primaire, mais ensuite elles disparaissent à l’école secondaire. C’est vraiment une perte pour la communauté ».

Même dans les zones où de telles lois ne sont pas en vigueur, la stigmatisation sociale contraint les adolescentes à arrêter l’école dès qu’elles tombent enceintes, à en croire Mme Kanu. « En Sierra Leone, si vous êtes une adolescente et que vous êtes enceinte et pas mariée, vous êtes une citoyenne de seconde classe ».

Hannah*, 16 ans, originaire de Makeni, a confié à IRIN qu’elle avait arrêté l’école lorsqu’elle était tombée enceinte, en janvier 2008. Aujourd’hui, elle est maman d’un bébé de cinq mois. « Je regarde mes amis partir à l’école chaque jour. J’ai tellement envie de les rejoindre ».

La jeune fille a raconté que son oncle, qui payait ses frais de scolarité, avait refusé de continuer à l’aider lorsqu’elle était tombée enceinte. « Aujourd’hui, ma vie n’est pas facile. Je reste à la maison toute seule pour m’occuper de mon bébé. Mon père est très fâché contre moi ».

Hannah a expliqué à IRIN que le père de son enfant, élève dans une autre école, avait nié toute responsabilité.

Evolution des attitudes

Teresa Will, 16 ans, est membre d’un club « Girls Tell Us » [Les filles nous racontent] à Makeni, où les élèves, filles et garçons, se réunissent pour discuter des problèmes qu’ils rencontrent – notamment de ce qu’il faut faire lorsqu’une élève tombe enceinte.

« Les grossesses d’adolescentes et les mariages précoces sont les plus gros problèmes rencontrés par les filles de Makeni. L’idée, c’est qu’il ne faut pas tomber enceinte du tout », a commenté Teresa. « On va dans les écoles, on passe à la radio, on s’exprime dans les assemblées pour débattre de cette question ».

Quand une élève tombe enceinte, les membres du club vont voir la future mère et sa famille pour discuter des problèmes auxquels elles risquent de se trouver confrontées, notamment pour subvenir aux besoins du bébé et assumer les frais de scolarité de la maman. A ce jour, le club a aidé trois filles à retourner à l’école, selon Teresa.

D’après les membres du club, néanmoins, les attitudes commencent à évoluer. John Amadfoma, un élève, fait partie des quelques garçons devenus membres du club ; il a expliqué qu’il avait vu les parents de certains jeunes pères accepter de couvrir les soins des bébés. « Si ce n’est pas le cas, ils négocient parfois avec les parents de la fille pour savoir s’ils vont payer ».

Et davantage de garçons, a-t-il dit, commencent à se rendre compte qu’ils ne peuvent pas fuir leurs responsabilités. « Nous faisons passer le message : si tu mets une fille enceinte, toi aussi, tu en assumeras les conséquences ».

A ce jour, aucune solution n’a été trouvée pour Hannah, mais le club « Les filles nous racontent » ne baissera pas les bras. « En persévérant, on peut faire changer les choses », a dit Teresa à IRIN

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