Adenike Oladosu : « Pour le climat, les belles paroles ne suffisent pas »

Présente fin juin à Paris pour le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, l’activiste nigériane de 29 ans met en garde contre le coût de l’inaction. Des fonds ont été promis, concède-t-elle, mais « l’argent doit atterrir là où on en a le plus besoin ».

La Nigériane Adenike Oladosu, à Paris, le 23 juin 2023. © Yves Forestier pour JA

Publié le 1 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.

L’ACTU VUE PAR… – Révolutionner la finance internationale pour sauver la planète et éradiquer la pauvreté, c’était l’ambition du sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui s’est tenu à Paris les 22 et 23 juin sous l’égide d’Emmanuel Macron. « Il ne faut pas choisir entre la pauvreté et le climat », avait lancé le président français le 21 mai 2022 lors de la COP27 en Égypte.

Pourtant, si l’on en croit les chercheurs du groupe Loss and Damage Collaboration, 97 % des personnes affectées par les évènements climatiques extrêmes vivent dans les pays en développement. Et pour faire face aux dépenses induites, leurs besoins sont faramineux : 27 000 milliards de dollars selon l’ONG Oxfam. C’est pour cela que les activistes du continent continuent de donner de la voix. Parmi eux, Adenike Oladosu, Nigériane de 29 ans à l’origine du mouvement Fridays for Future dans son pays. Elle répond aux questions de Jeune Afrique.

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Jeune Afrique : L’Afrique est-elle condamnée à faire un choix entre développement et préservation de l’environnement ?

Adenike Oladosu : Il est vrai qu’au Nigeria, par exemple, certains de nos dirigeants pensent encore que nous avons besoin des énergies fossiles pour nous développer. Moi, je pense que c’est l’action climatique qui peut nous aider à nous développer. L’industrie des énergies fossiles a beau générer des milliards de dollars de bénéfices, elle affecte aussi négativement des communautés et des pays entiers.

On oublie souvent que l’innovation, la responsabilité écologique et énergétique, les financements climatiques peuvent eux aussi générer de nombreux bénéfices. L’investissement dans les énergies renouvelables pourrait tripler le nombre d’emplois, et entraîner dans le même temps des retombées positives en termes de bénéfices sociaux ou d’égalité des genres. Sur le long terme, de toute façon, les énergies fossiles ne sont pas une solution. 

Les pays africains font-ils ce qu’il faut ? Le Nigeria, par exemple, en tant que plus gros producteur d’hydrocarbures, est-il à la hauteur des enjeux ?

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Non, ils ne font pas encore suffisamment face à l’urgence climatique, mais c’est aussi une question de capacité. Nous avons besoin de mettre en place des innovations comme la smart agriculture, par exemple, de penser notre transition énergétique et de travailler à des projets tel celui qui consiste à remplir de nouveau le lac Tchad.

Mais comment obtenir les ressources nécessaires ? Comment développer nos capacités ? Sur le papier, tous les pays ont des plans, mais ce dont nous avons réellement besoin, ce sont des actions concrètes. L’argent doit atterrir là où on en a le plus besoin.

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Au Nigeria, le gouvernement a décidé de ne plus subventionner le secteur pétrolier. Mais où ces subventions vont-elles aller ? Je ne peux qu’espérer que notre gouvernement fera ce qu’il faut pour qu’elles soient redirigées vers des sources d’énergies renouvelables pour les rendre plus abordables.

Le nouveau pacte financier mondial esquissé à Paris peut-il être une solution ?

Tous les engagements qui ont été pris, toutes les promesses qui ont été faites sont un pas en avant. C’est forcément très positif de voir que l’on peut engager des millions pour faire face à la crise climatique. Mais il ne faut pas que cela reste de belles paroles, cela ne suffira pas. Il faut que ces financements se concrétisent et que l’on agisse. Que l’on nous dise comment ces fonds vont être débloqués et de quelle manière ils vont être répartis.

On ne peut pas se contenter de réunir des gens du monde entier ni se contenter de parler, sans vraiment faire avancer les choses. On ne peut pas non plus oublier que nous avons parfois des enjeux très différents, que l’on ne peut pas parler de l’Afrique comme d’un ensemble homogène : on parle de plusieurs dizaines de pays distincts, qui ont chacun besoin de financements.

Si nous ne faisons rien au lac Tchad, cela pourrait mener à un conflit plus grave que la guerre en Ukraine

Quelles sont les actions les plus urgentes à mettre en place sur le continent ?

Tout est urgent, et tous les secteurs ont besoin de financements dédiés, parce que le changement climatique n’a pas des conséquences uniquement sur l’environnement, mais aussi sur l’agriculture ou même l’immobilier. Face aux défis climatiques, il nous faut absolument innover.

Un exemple : le lac Tchad, dont la surface a considérablement réduit depuis les années 1960. Si nous n’agissons pas, si nous ne trouvons pas le moyen de le recharger en eau, ce sera une véritable catastrophe, qui touchera l’ensemble de la région. L’assèchement du lac pose déjà de gros problèmes d’insécurité alimentaire. Si nous ne faisons rien, cette situation pourrait mener à un conflit plus grave que la guerre en Ukraine. Ce n’est pas qu’un problème régional, c’est un problème mondial, car les migrations qui en découleront toucheront aussi l’Europe.

nous ne sommes pas près de nous arrêter

En tant qu’activiste pour le climat, avez-vous le sentiment d’être enfin entendue ?

Il y a eu malgré tout des changements. Au Nigeria, par exemple, la loi sur le changement climatique que nous attendions depuis longtemps a été promulguée. Et lors de la COP27 en Égypte, les fonds pour les pertes et dommages ont été approuvés. Cela montre que nous pouvons obliger nos dirigeants à agir, et nous ne sommes pas près de nous arrêter.

Ce qui est encourageant, aussi, c’est qu’il y a une prise de conscience au sein de la population, bien plus importante qu’il y a quelques années. Au Nigeria, par exemple, les gens sont beaucoup plus sensibilisés à ces questions que quand j’ai commencé à me battre, en 2018.

Cela veut aussi dire que nous faisons campagne pour la justice climatique depuis des années et que cela ne devrait pas être le cas. Je crains parfois que nous ne le fassions toute notre vie, et que la génération suivante continue.

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