La saga des Libanais en Afrique. © Montage JA

[Série] En Afrique, les Libanais ne connaissent pas la crise

« Business is business ». Une philosophie de vie qu’appliquent ceux qui ont fui un pays en proie aux crises pour un continent qui regorge d’opportunités. Alors que le Liban traverse l’une des périodes les plus tumultueuses de son histoire, sa diaspora établie en Afrique est résolument tournée vers l’avenir.
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Publié le 31 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.

Issu de la série

Le nouveau rebond des Africains d’origine libanaise

Depuis le continent, où ils font affaire, jusqu’au pays du Cèdre, les Libanais d’Afrique suscitent bien des fantasmes. Voici l’histoire de cette nouvelle génération d’entrepreneurs.

Sommaire

Critiqués ou redoutés, admirés et applaudis… Depuis le continent où ils font affaire, jusqu’au pays du Cèdre, les Libanais d’Afrique savent faire parler d’eux (*). Leur succès suscite bien des fantasmes. L’imaginaire collectif les décrit comme des businessmen partis de rien, pour finir à la tête d’empires. Aujourd’hui, le continent compte au moins trente familles d’origine libanaise à la tête de grands groupes. Parmi elles, on compte les Ezzedine, Khalil, Chagoury, Fakhoury, Fakhry, Filfili, Haidouss, Faddoul, Dalloul, El Houry… 

Du commerce à l’industrie, en passant par la finance ou l’immobilier, leur présence économique pèse sur l’échiquier africain, façonnant les réalités locales et contribuant à l’essor des nations qui les ont accueillies.

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Implantation pérenne

La saga des « commerçants phéniciens » a débuté vers la fin du XIXe siècle. La légende raconte que les premiers Libanais arrivés en Afrique se sont trompés de destination. Comme le rappelle l’expert en politique africaine d’origine libanaise, Albert Bourgi, dans son ouvrage Libanais en Afrique, ou d’Afrique, « ils pensaient partir vers l’Amérique et se retrouvèrent à Dakar, Conakry ou Freetown, en Sierra Leone ».

Les mouvements de populations se sont accélérés après la Première guerre mondiale et à l’occasion des indépendances des pays d’Orient. « Les gens fuyaient la famine et l’oppression de l’Empire ottoman dans un Moyen-Orient en pleine restructuration », explique Faysal El-Khalil, l’homme d’affaires originaire du Hasbaya (arrière-pays du Sud-Liban), à la tête de la prospère entreprise Seven-up Bottling Company.

Aujourd’hui, c’est son fils, Sari El Khalil, qui reprend progressivement les rênes de la florissante entreprise. Car, chez les Libanais, le business est avant tout une affaire de transmission et d’héritage. Pour la plupart des conglomérats financiers et des entreprises appartenant aux natifs du pays du Cèdre, la relève est assurée. La présence des Libanais sur le continent semble promise à un bel avenir .

Mauvaise presse

Pourtant, ces réussites éclatantes et pérennes dérangent. La réputation sulfureuse qui les entoure confère à leurs succès un tenace parfum de controverse. Dès l’époque coloniale, des voix s’étaient élevées pour exprimer leur inquiétude face à ce phénomène. En 1935, Jean Paillard, membre du Conseil supérieur des colonies, réclamait même l’interruption de ce qu’il qualifiait « d’invasion libanaise ». À la fin des années soixante, Maurice Voisin, rédacteur en chef des Échos d’Afrique à Dakar, lance une campagne diffamatoire contre les communautés libanaises.

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À cette même époque, le premier président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré, s’empare de ce mouvement qui aboutit à la fuite de nombreuses familles libanaises de Conakry vers d’autres pays du continent. Selon un rapport du patronat français publié à la fin des années 1980, les pratiques diverses telles que « la corruption et la fraude douanière » imputées aux milieux d’affaires libanais seraient responsables du « désinvestissement subi par les États africains ». Les rumeurs s’enracinent, à tel point que, parfois, le mécontentement à leur égard dégénère.

Au Liberia, des boutiques appartenant à la diaspora libanaise ont subi à plusieurs reprises des pillages. Au Ghana, les Libanais ont été accusés de marché noir et de trafic de devises. En Sierra Leone, au Gabon ou en RDC, des scandales financiers ont fait les gros titres des journaux. En juillet 2023, une affaire sur l’acquisition frauduleuse de la nationalité ivoirienne et le trafic de passeports a fait couler beaucoup d’encre.

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Engagement philanthropique

Malgré les controverses, les Libanais ont apporté une contribution indéniable à l’Afrique. Ils ont joué un rôle clé dans le développement économique des régions reculées, en dynamisant les réseaux de communication et en favorisant la transition des économies de subsistance vers des économies de marché. Par exemple, d’après les données de la Chambre de commerce franco-libanaise en 2018, au Libéria, « 50% de l’économie du pays a été générée par des Libanais » ; au Ghana la contribution des Libanais est « d’au moins 25 % de l’économie locale » et représente 50% des investissements. En 2016, les entreprises libanaises contribuaient à au moins 15 % des recettes fiscales de la Côte d’Ivoire et à 8 % du PIB.  Au Nigeria, la diaspora libanaise a été « pionnière dans la création des entreprises informatiques et de high-tech », indique la même source. Et d’ajouter, « au Sierra Leone, au Gabon, au Bénin, au Togo et au Burkina Faso, les Libanais ont joué un rôle moteur dans le développement de l’infrastructure ».

Ils mettent également en avant leur engagement philanthropique, avec la construction d’écoles, de dispensaires, d’hôpitaux, de mosquées et d’églises, aux quatre coins du continent. Dans les moments difficiles, ils ont témoigné de leur solidarité, comme le démontre notamment le soutien financier apporté à la réinsertion des expulsés sénégalais du Congo-Brazzaville en 1967, du Nigeria en 1983 et de Mauritanie en 1989. Sans oublier les ONG fondées par des Libanais, comme la Fondation Atef Omaïs (Fatom), El Khalil (du groupe Eurofin), ou Marcos hôpitaux.

Les différends entre les Libanais d’Afrique et leur pays d’adoption s’atténuent d’ailleurs progressivement. Les nouvelles générations, partageant un destin commun avec les populations autochtones, comme en témoigne le nombre croissant de mariages mixtes, et l’effacement progressif de la notion de « quartier libanais » dans les villes africaines. « Ma famille est établie en Afrique depuis quatre générations. Nous sommes des Libanais africains. Notre identité est multiple et déclinée, et nous sommes fiers de notre africanité », affirme un « libadjanais » (Libanais d’Abidjan), qui requiert l’anonymat à cause d’un devoir de réserve lié à sa fonction. Avant de poursuivre : « je parle moi-même plusieurs dialectes africains, dont le wolof, le swahili, le fula… L’Afrique coule dans mes veines et personne n’y pourra jamais rien ».

Les trois épisodes de la série :

(*) Cette série a été écrite et imaginée avant que l’affaire des acquisitions frauduleuses de la nationalité et de trafic de passeports qui met en cause une dizaine d’Ivoiriens d’origine libanaise n’éclate en Côte d’Ivoire. 

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