Coup d’État au Niger : Mohamed Bazoum a-t-il suffisamment lu Machiavel ?

Depuis le coup d’État du 26 juillet contre le président Mohamed Bazoum, le rôle, supposé ou réel, de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, fait l’objet de toutes les spéculations.

Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum, à Niamey le 5 août 2019. © Louis Vincent pour JA

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  • Francis Akindès

    Sociologue, professeur à l’Université Alassane-Ouattara, à Bouaké (Côte d’Ivoire)

Publié le 22 août 2023 Lecture : 4 minutes.

Je croyais rêver le 26 juillet 2023. Je me réveille brusquement. Mais en fait, je ne rêvais pas. Je me rends à l’évidence. C’est mon cauchemar – l’entrée dans l’ère des coups d’État sans cause réelle – qui me sort de mon sommeil. Les instigateurs des récents putschs (Mali, Burkina Faso, Guinée) nous ont habitués depuis peu à donner des justifications vraisemblables à leurs forfaits. Au bénéfice du doute, ces justifications firent basculer les opinions publiques en faveur de la tolérance aux juntes militaires, aidée en cela par les scènes d’occupation de rues par des jeunes désœuvrés et surchauffés à bloc.

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Rhétorique pavlovienne

Les frustrations structurelles et le désespoir de ces jeunes sont une ressource politique toujours disponible, potentiellement mobilisable et se donnant à lire comme signe politique d’adhésion populaire et d’adoubement des nouveaux maîtres en treillis, souvent plus proches d’eux en âge que les « vieux pères » souvent accusés d’être des valets locaux, commis à la protection des intérêts de la France.

La rhétorique très pavlovienne est désormais bien huilée. Par une contorsion de l’esprit, il suffit de trouver une responsabilité aux Occidentaux et de préférence à la France, l’ennemie jurée. Une bonne frange de cette jeunesse manifeste parce qu’elle estime que ses conditions de vie ne commenceront à s’améliorer sur la terre de ses ancêtres, spoliée depuis des siècles, que lorsqu’il n’y aura plus un seul Blanc pilleur sur le continent. Le jeune Aboubacar, d’origine nigérienne, vendeur de jus d’ananas, entouré d’une dizaine de ses compatriotes, me l’a expliqué avec force et conviction à Abidjan la semaine passée. Lui qui ne veut pas prendre le chemin de la Méditerranée et mourir en mer comme son frère cadet. Il a grand espoir que cela se réalise assez rapidement avec la junte qui tente de s’installer au pouvoir à Niamey.

Je l’avoue, je n’ai encore rien compris à ce coup d’État. Plus on me l’explique, moins je le comprends. Je demeure dans une lecture fiction du réel et dans des interrogations. Les sanctions économiques de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sont-elles pertinentes ou pas ? Vont-elles accélérer le déboulonnage de la junte ou pas ? La réponse militaire de la Cedeao sera-t-elle contre-productive ou pas ? Mohamed Bazoum doit-il être réinstallé au pouvoir ou pas ? Face à ce coup d’État au Niger, la position de la France est-t-elle acceptable ou pas, au regard de la posture qui fut la sienne lors de la prise du pouvoir, au Tchad, par Mahamat Idriss Déby Itno après la mort de son père ?

Autant de questions importantes qui font couler salive et encre. Je ne souhaite pas enfoncer des portes ouvertes. Je préfère me concentrer plutôt sur la compréhension des sources du cauchemar qui m’a sorti de mon sommeil ce 26 juillet. Alors que le général Abdourahamane Tiani tente de s’incruster au pouvoir, la demande tardive de libération et de retour au pouvoir de Mohamed Bazoum, formulée sans véritable conviction ni condamnation du coup d’État par Mahamadou Issoufou, dans une interview d’une rare brièveté sur le site de Jeune Afrique, renforce mes propres interrogations sur le cours des évènements au Niger.

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Transition à la Medvedev

Et si cette frilosité était le résultat de dissensions profondes dans le cercle restreint du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) ! Les voies tracées par Poutine sont parfois insoupçonnables. Mais posons-nous juste des questions. Le 2 avril 2021, lors de la prestation de serment de Mohamed Bazoum, n’étions-nous pas dans une transition à la Medvedev qui ne s’était pas assumée ouvertement ? Parlant de l’ex-patron de la Garde présidentielle, le général Tiani, qui essaie d’arracher le statut de président, Mahamadou Issoufou affirme n’avoir imposé personne. L’on a de la peine à y croire. Et son fils alors ! Par quelle alchimie Sani Issoufou Mahamadou est-il devenu ministre du Pétrole ? L’histoire nous l’apprendra un jour.

Dans l’euphorie de la transition, Mohamed Bazoum n’a-t-il pas été un peu naïf et s’est laissé prendre en otage, persuadé qu’il y avait réellement un passage de témoin entre son prédécesseur et lui ? Y-a-t-il vraiment eu alternance au Niger ? Mohamed Bazoum ne paye-t-il pas au prix fort son désir de rompre avec le système qui l’a fabriqué et dont Mahamadou Issoufou restait encore le vrai maître du jeu dans l’ombre ? Et si c’était Mahamadou Issoufou qui tirait les ficelles du jeu politique trouble au Niger ? J’aimerais bien entrer dans la tête de Mohamed Bazoum pour comprendre l’idée qu’il se fait aujourd’hui de l’amitié et de l’inimitié en politique, mais aussi de la relation dialectique entre les deux. Le philosophe président se souviendra que morale et politique ne font pas bon ménage. Aurait-il insuffisamment lu Machiavel ?

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