Pourquoi une approche régionale des échanges rendra l’Afrique plus forte

Le récent sommet des Brics à Johannesburg a marqué un moment clé dans les discussions économiques mondiales. Dans un monde de plus en plus multipolaire, la rencontre annuelle a attiré l’attention sur la poursuite d’un ordre économique mondial diversifié, en particulier en réponse à la domination de la gouvernance économique occidentale.

(De g. à dr.) Le président chinois Xi Jinping, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le Premier ministre indien Narendra Modi et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors du sommet 2023 des BRICS au Sandton Convention Centre de Johannesburg, le 24 août 2023. © GIANLUIGI GUERCIA/AFP

Carlos Lopes Carlos Lopes (Guinée-Bissau),  enseignant à l’université d’Oxford, ex-secrétaire général adjoint de l’ONU et secrétaire général de la commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). © Vincent Fournier/JA
  • Carlos Lopes

    Professeur à l’École de gouvernance publique Mandela de l’université du Cap, président du conseil de la Fondation africaine du climat.

Publié le 29 août 2023 Lecture : 4 minutes.

L’influence collective des Brics – groupe qui réunit depuis 2011 le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, et qui concentre près de 42 % de la population et 23 % du PIB mondial – va au-delà de leur poids économique substantiel. Sur le plan géopolitique, ces économies offrent une alternative redoutable au cadre économique actuel. Le dernier sommet des Brics, qui s’est tenu à Johannesburg du 22 au 24 août, a servi de tribune pour délibérer de leur vision commune d’un paysage économique international plus équitable.

Le pouvoir de l’Occident a été clairement illustré par les sanctions infligées à la Russie, mettant en évidence la capacité de ces puissances à exercer un contrôle économique qui peut anéantir la plupart des transactions financières d’un pays donné. Cet incident, parmi d’autres, a été un catalyseur pour la réaffirmation de la volonté des Brics de créer une structure économique plus équilibrée et résiliente face aux pressions externes. Ont-ils réussi ? Dans les mots et les intentions sans doute, mais ils sont aussi tributaires d’instruments qu’ils peinent à changer.

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Les États-Unis en perte de vitesse

La réunion de Johannesburg a mis en lumière deux points saillants de cette stratégie : la décision d’élargir le groupe en ajoutant six nouveaux membres, dont deux africains, l’Égypte et l’Éthiopie, et la remise en question de la domination du dollar américain dans l’économie mondiale.

Avec plus de 1,3 milliard d’habitants et une richesse de ressources inexploitées, l’importance de l’Afrique dans les discussions visant à remodeler cet ordre économique mondial ne peut être sous-estimée. À mesure que la population du continent pourrait tripler d’ici à 2100, la recherche de voies économiques alternatives gagne en importance, et les nations des Brics ont rapidement reconnu ce potentiel.

Le dollar américain est impliqué dans près de 90 % des transactions de change

Ayant joué un rôle crucial dans l’établissement du système actuel, les États-Unis ont manifestement influencé les mécanismes financiers internationaux existants. Néanmoins, les temps ont changé. L’hégémonie économique des États-Unis a progressivement diminué, incitant les concurrents stratégiques à appeler à des réformes, dont la possibilité d’une déconnexion des systèmes établis, notamment l’utilisation du dollar américain dans le commerce international et la finance. Cela a rendu de nombreuses économies vulnérables aux fluctuations des politiques américaines.

Malgré les critiques, le dollar américain demeure, néanmoins, le pivot du système financier international. Une analyse de la Banque des règlements internationaux (BRI) souligne l’implication du dollar américain dans près de 90 % des transactions de change et dans un impressionnant 85 % des transactions sur les marchés au comptant [qui utilisent le prix spot, NDLR], à terme et d’échange. De plus, il joue un rôle central dans près de la moitié du commerce mondial.

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L’Afrique marginalisée

De fait, et après avoir expérimenté au fil du temps les conséquences de cette vulnérabilité, les pays membres des Brics ont cherché à explorer des alternatives et à renforcer leur souveraineté économique. Dans ce contexte, l’émergence d’un Système de paiement et de réglement panafricain (PAPSS, en initiales anglaises) revêt une importance particulière. Cette initiative s’aligne sur le récit plus large des Brics de se détourner des dépendances économiques unilatérales.

Les aspirations collectives des Brics et du PAPSS sont des réponses à des défis existants et des étapes proactives vers le remodelage du paysage économique mondial. Tandis que les Brics et l’Afrique travaillent en collaboration pour favoriser l’autonomie économique, il convient de souligner l’importance des approches régionales dans la promotion du changement mondial.

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Étant donné leur rôle dans la marginalisation du continent sur la scène mondiale, il est dans l’intérêt du continent africain de réduire sa dépendance aux systèmes actuels. La banque internationale s’éloigne de l’Afrique plutôt qu’elle n’étend sa présence. Ceci est évident, car à la suite de la mise en œuvre des exigences de Bâle III de la BRI – qui œuvre à la coopération monétaire et financière entre les États –, les règles prudentielles, les tests de résistance et les exigences de diligence ont rendu les opérations bancaires difficiles dans la plupart des juridictions africaines. Une plus grande flexibilité dans les transactions commerciales et de change, associée à une pénurie de banques correspondantes, a engendré des obstacles qui se traduisent par des primes de risque élevées, une dégradation des notations et une moindre attractivité pour l’investissement direct étranger sur le continent.

Solutions multiples

Les défis auxquels l’Afrique est confrontée peuvent toutefois être gérés. La poursuite d’un système de paiement panafricain par le continent illustre une approche proactive pour aborder les vulnérabilités économiques. Cette initiative a le potentiel de remodeler le paysage financier du continent, en encourageant le commerce intra-africain et en renforçant la coopération économique. Elle offre également la possibilité de réduire la dépendance aux devises étrangères et d’atténuer l’exposition aux fluctuations des marchés financiers internationaux. En permettant aux pays africains de réaliser des transactions entre eux, en utilisant leurs propres devises, le PAPSS remet en question les normes traditionnelles d’utilisation des devises et renforce la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Le dernier sommet des Brics a ajouté à ces apports essentiels la nécessité d’une conversation globale plus large sur la structure des systèmes financiers internationaux dans leur ensemble. À mesure que le paysage économique mondial évolue, il devient de plus en plus évident qu’il n’y a pas de solution unique.

Le sommet a mis en évidence l’importance des perspectives régionales et des approches sur mesure. Du point de vue africain, tout en cherchant à contester toute forme de domination économique, l’importance réside dans la capacité à construire une réponse collective où chaque région apporte ses propres circonstances, défis et opportunités uniques.

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