Pourquoi la Libye a refusé d’accréditer l’ambassadeur de l’UE

Choisi par les Européens, le diplomate italien Nicola Orlando a vu ses lettres de créance refusées par les autorités libyennes. Qui semblent réagir ainsi à l’activisme de Rome en Méditerranée.

Nicola Orlando (à dr.) avec Abdoulaye Bathily, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Libye © Nicola Orlando/Twitter

Publié le 1 septembre 2023 Lecture : 3 minutes.

Rien ne va plus entre Tripoli et Rome, et c’est Bruxelles qui en fait les frais : le gouvernement libyen a décidé de ne pas accréditer Nicola Orlando au poste d’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Libye et a signifié ce rejet par écrit à Bruxelles. Un fait rare dans les pratiques diplomatiques.

Pourtant, le nom de Nicola Orlando avait été proposé depuis avril 2023 par Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne, et la procédure n’aurait dû être qu’une simple formalité dans le cadre de l’habituel mouvement diplomatique.

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De manière tacite, Nicola Orlando était déjà adoubé par le gouvernement d’Abdel Hamid Dbeibah. Il a ses entrées à Tripoli, où cet ancien ambassadeur italien au Kosovo avait su se faire apprécier, depuis mai 2021, en tant qu’envoyé de la Farnesina et vice-ambassadeur d’Italie à Tripoli. Il avait également le soutien du gouvernement italien puisque sa mission en Libye avait été confirmée par l’actuel ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani.

Inattendu, le camouflet libyen adressé à l’Italie touche tout le champ européen. C’est le Français Patrick Simonnet, jusqu’alors ambassadeur de l’UE en Arabie saoudite, qui était, initialement, pressenti pour prendre le relai de l’Espagnol Jose Sabadell, dont la mission de chef de la représentation de l’UE à Tripoli est arrivée à échéance ce 31 août. Mais Simonnet était arrivé deuxième dans le dépouillement des candidatures au poste de chef de la délégation de l’UE en Libye.

Dans cette situation insolite, il semble que le Premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, ait opéré une nette volte-face en mettant à distance une Italie devenue trop envahissante. La rencontre à Rome de Najla al-Mangoush, ministre libyenne des Affaires étrangères, avec Elie Cohen, son homologue israélien, avait suscité des remous en Libye, si bien que Dbeibah a dû démentir une quelconque ouverture avec Israël et confirmer le refus de toute normalisation pour calmer les esprits.

La présidente du Conseil italien, Georgia Meloni, avait également mis ses partenaires devant le fait accompli en appelant Israël, en mars 2023, à aider la Tunisie à obtenir un prêt du Fonds monétaire international (FMI).

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Les manoeuvres de Georgia Meloni

Conséquence de tout ce remue-ménage, le Premier ministre libyen refuse finalement que son pays soit un trophée pour Meloni, qui tente visiblement de marquer des points à l’international pour compenser ses difficultés à gouverner la péninsule. Meloni estime qu’elle a une certaine légitimité pour se permettre avec la Libye ce qu’elle ne se permettrait pas avec d’autres pays.

Elle a soutenu Tripoli contre le général Khalifa Haftar, qui avait, selon elle, les faveurs de la France. L’Italie avait déroulé le tapis rouge à Dbeibah – deux visites à Rome en moins d’un an – et lui avait accordé un appui total.

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Selon des sources diplomatiques italiennes, Dbeibah doit à ce soutien son maintien en poste. Des sources libyennes estiment quant à elles que les deux déplacements à Rome n’étaient pas réellement motivés, laissant entendre que les rencontres ont pu être l’occasion d’aborder la question de la normalisation. D’autres sources libyennes expliquent que le Premier ministre libyen aurait pu craindre qu’Orlando ne pousse à la tenue d’élections qui mettraient fin à l’instabilité. Une situation difficile à imaginer, surtout s’agissant d’un ambassadeur de l’UE dans un pays comme la Libye, qui en a vu d’autres.

En arrière-plan de cet enchaînement d’épisodes déconcertants, la concurrence agressive que Giorgia Meloni a installée depuis son entrée au palazzo Chigi en septembre 2022 avec le président français Emmanuel Macron se joue également sur la scène libyenne. Mais comme elle l’a fait pour la Tunisie, Meloni avance derrière le bouclier de l’UE. Il semblerait presque que lorsque Meloni veut, l’UE peut. Mais le passage en force qu’elle a opéré pout arracher la signature d’un mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre la Tunisie et l’UE n’a pas suffi à sa mise en œuvre et a provoqué une controverse au sein de l’UE.

Meloni a utilisé avec Tripoli une stratégie de séduction, comme celle qu’elle a déployée en Tunisie, mais les intérêts italiens, notamment en matière d’hydrocarbures, en Libye sont trop importants pour que Meloni accepte le revers que lui inflige la déconvenue de Nicola Orlando.

Meloni tentera, comme à son habitude, un retour sur le devant de la scène, mais risque d’être définitivement rejetée si elle refuse de tenir compte de la position des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Pour le moment, Rome n’a pas réagi au désaveu libyen, et la nomination de Patrick Simonnet suit son cours.

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