Au Gabon, l’année zéro de la démocratie ?

Avec le coup d’État du 30 août 2023, le pays entre dans une longue période d’incertitude institutionnelle. Il va devoir, selon Pascal Mbongo, surmonter d’importantes difficultés de mise en œuvre de la démocratie.

À Libreville, le 30 août 2023, après l’apparition à la télévision d’un groupe d’officiers militaires gabonais annonçant qu’ils « mettaient fin au régime actuel » et annulaient les résultats officiels des élections. © AFP

Pascal Mbongo © DR
  • Pascal Mbongo

    Agrégé des facultés de droit, écrivain, directeur de l’Observatoire juridique et politique des États-Unis

Publié le 9 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Un coup d’État est un acte illégal. Puisqu’il s’agit toujours d’un accès à la fonction suprême en dehors des formes constitutionnelles. Toutefois, les juristes conviennent de ce que des actes illégaux peuvent être jugés légitimes dans certains cas, et sous certaines conditions, que les droits pénaux des États qualifient de « légitime défense » ou d’« état de nécessité ». Cela vaut donc aussi pour un coup d’État, qui peut se justifier très exceptionnellement s’il met fin à l’oppression exercée par les gouvernants sur le peuple, ou s’il prévient ou annihile une fraude à la Constitution pratiquée par les détenteurs du pouvoir afin de s’y maintenir.

Le coup d’État pose néanmoins une double et redoutable difficulté intellectuelle et politique. Mutatis mutandis, lorsque le voleur d’une pomme se prévaut de l’état de nécessité tenant à ce qu’il mourait de faim, cet état de nécessité est évalué par des tiers, les juges devant lequel le voleur est déféré. De la même manière, lorsqu’un policier tire mortellement sur un individu armé se dirigeant vers lui, c’est à des juges qu’il revient de dire si le policier était ou non en situation de légitime défense. Or il n’existe pas de tiers impartial pour dire que tel ou tel coup d’État était légitime à la lumière des arguments et des pièces produites par ceux qui l’ont fomenté. Dans le langage de la philosophie politique et du droit constitutionnel, on dira que les auteurs d’un coup d’État ont la « compétence de la compétence » pour statuer sur la légitimité de leur propre action.

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Fair-play constitutionnel

Les organisations internationales, l’Union africaine entre autres, ne sont pas et ne peuvent pas être le tiers impartial qui dit si un coup d’État est légitime ou non. Et elles en apportent la preuve à leur corps défendant puisqu’elles condamnent systématiquement les putschs, et avec des arguments qui ont leurs limites. Ces organisations réprouvent les coups de force au nom de la « préservation de la paix et de la stabilité » internationales ou régionales. Quant au motif de condamnation systématique des coups d’État tenant au « nécessaire respect de l’ordre constitutionnel », il ne fait pas cas de ce que cet ordre constitutionnel peut avoir été bafoué outrageusement et par toutes sortes de vilénies de la part du pouvoir déchu.

Le coup d’État pose une deuxième difficulté. Même en admettant qu’il soit a priori légitime, rien ne garantit que ceux qui l’ont fait ne vont pas vouloir rester au pouvoir et qu’ils s’obligeront à une sorte de flair play constitutionnel. Ce dernier définit les manières d’agir des gouvernants non prévues par les textes mais auxquelles ils doivent se conformer afin que le système démocratique fonctionne ou, s’agissant des auteurs d’un putsch, afin de démontrer leur éthos de démocrates.

Or rien ne garantit qu’ils voudront construire immédiatement un ordre constitutionnel et un système électoral totalement démocratiques. Cette garantie manque pour deux raisons au moins. En premier lieu, les auteurs de coups d’État peuvent craindre pour leur propre vie et pour leur quiétude s’ils venaient à quitter le pouvoir trop tôt. Le pouvoir qui leur succédera pourraient décider de les poursuivre pénalement. En deuxième lieu, rédiger une Constitution et adopter des lois électorales supposément pertinentes ne suffit pas pour construire un ordre constitutionnel et un système électoral sincèrement démocratiques, en particulier en Afrique.

Équité informationnelle

Un système constitutionnel et politique démocratique suppose d’abord un appareil normatif pertinent d’un point de vue anthropologique, parce qu’il tiendrait compte du fait qu’« il est dans l’ordre des choses que tout individu qui a du pouvoir soit porté à en abuser ». Limiter le nombre de mandats, limiter les cumuls de mandats et de fonctions, conjurer ou interdire la transhumance politique, proscrire toute modification des lois électorales une ou deux années avant des scrutins, sont autant de normes limitatives. Il en existe bien d’autres. Ce système implique également une ingénierie bureaucratique – c’est le plus complexe et le plus difficile à obtenir – faisant intervenir aussi bien des administrations que des tribunaux, au-delà des prescriptions de l’outil idéal en Afrique qu’est un code électoral en bonne et due forme.

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Cette ingénierie bureaucratique est complexe parce qu’elle doit organiser tout un ensemble de sécurités, lesquelles sont particulièrement faibles en Afrique. Il s’agit, par exemple, de la sécurité des identités des personnes, qui suppose elle-même des services d’état civil sûrs, une délivrance sécurisée et authentique des titres d’identité, etc. Il ne s’agit pas moins de la sécurité des infrastructures électorales, depuis l’établissement des listes électorales jusqu’aux procès-verbaux des bureaux de vote, tout doit être traçable et objectivable. Outre des sécurités, l’ingénierie bureaucratique qui rend possible un véritable système démocratique doit produire une équité informationnelle des citoyens en matière électorale. Cela suppose bien des contraintes, au-delà des règles organisant la répartition des temps de parole audiovisuelle en périodes pré-électorale et électorale.

Si, par hypothèse, les auteurs d’un coup d’état ont pris la mesure des immenses difficultés qui se présentent à eux, encore leur faut-il prendre au sérieux la question des hommes qui vont œuvrer à la naissance d’un ordre constitutionnel nouveau, démocratique et durable. Et cette question n’est pas plus simple puisque le système déchu n’a pu fonctionner qu’avec l’appui de nombreux fonctionnaires ou juges qui y trouvaient leur compte en matière d’avantages personnels et professionnels, et étant admis que la corruption obère ataviquement la compétence professionnelle des agents publics. La question ici, vertigineuse, est de savoir si des pays africains qui aspirent à entrer durablement dans la démocratie doivent ou non passer par des procédures de lustration telles que celles pratiquées dans les ex-pays de l’Est, devenus membres de l’Union européenne, ou par l’Afrique du Sud, à la fin de l’apartheid.

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