Pourquoi le Maroc s’éloigne de la France

Alors qu’il aurait pu contribuer à apaiser les tensions entre Rabat et Paris, le séisme d’Al Haouz a exacerbé l’état détestable des relations entre les deux capitales. En cause, la question du Sahara.

Le président français, Emmanuel Macron, et le roi du Maroc, Mohammed VI, lors de l’inauguration d’une ligne à grande vitesse à la gare de Rabat, le 15 novembre 2018. © Christophe Archambault / Pool / AFP

Aicha Elbasri
  • Aïcha Elbasri

    Autrice marocaine et ancienne porte-parole de la Mission de l’Union africaine et des Nations unies au Darfour (Minuad), elle est aussi lauréate du prix Ridenhour Truth-Telling (prix Ridenhour dans la catégorie révélation de la vérité) 2015

Publié le 29 septembre 2023 Lecture : 3 minutes.

Tandis que le royaume chérifien affrontait l’une des épreuves les plus douloureuses de son histoire – le séisme meurtrier qui a frappé le 8 septembre le Haut Atlas et la région d’Al Haouz –, deux pays ont blessé les Marocains : l’Algérie et la France. Ce sont en effet les seuls États dont les responsables politiques ont interpellé les Marocains par médias interposés, par-dessus l’épaule du roi Mohammed VI et celle du gouvernement, comme si le Maroc était un bled non gouverné.

Tradition bafouée

Dans un discours filmé et retransmis sur son compte X (anciennement Twitter), le président français, Emmanuel Macron, s’est adressé directement au peuple marocain, bafouant ainsi la tradition et le bon usage diplomatiques en s’octroyant de fait le statut de roi du Maroc, la seule personnalité habilitée à délivrer des discours solennels au peuple marocain. Cet incident soulève bien des questions liées à la crise franco-marocaine que le séisme a révélée au grand jour.

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La gestion des catastrophes recouvrant un enjeu éminemment politique, le choix des partenaires humanitaires du Maroc se devait de s’aligner sur la politique étrangère du pays, laquelle, malheureusement, ne favorise plus la France. Cela est dû, non pas aux petites tensions autour du gel des visas pour les Marocains, ni à l’affaire Pegasus, encore moins à la menace de conditionner l’aide au développement au « retour des illégaux », mais au revirement français sur la question du Sahara marocain.

Dans son discours du 20 août 2022, Mohammed VI a souligné que le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, et l’aune à laquelle il mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats que le Royaume établit. En faisant clairement allusion à la France, il ajouté que le Maroc attendait que certains pays, partenaires traditionnels ou nouveaux, clarifient leurs positions sur l’affaire du Sahara. Autrement dit, la danse équilibriste qu’effectue Paris entre l’Algérie et le Maroc depuis près d’un demi-siècle n’est plus de mise.

Le gouvernement de Macron a opté pour une stratégie de rapprochement avec l’Algérie, qui mène, rappelons-le, depuis 1975, une guerre par procuration contre le Maroc. Le régime algérien accueille sur son territoire les indépendantistes armés du Front Polisario qui livrent une guerre financée par Alger dont le seul but est de créer au Sahara un État indépendant du Maroc. Il est donc tout à fait normal que le partenariat de la France avec l’Algérie et le réchauffement de ses relations avec le Polisario aient suscité des réactions à Rabat. Il en va de l’intérêt suprême du pays, celui de son intégrité territoriale non négociable. L’absence prolongée d’un ambassadeur marocain à Paris, le report incessant de la visite du président français au Maroc, le froid polaire entre les chefs d’État des deux pays indiquent que les relations diplomatiques sont aujourd’hui au point de rupture.

Subterfuge de la « neutralité »

C’est que Rabat n’accepte plus le subterfuge de la « neutralité » vis-à-vis du Sahara. Le royaume réserve son partenariat stratégique aux pays qui reconnaissent sa souveraineté sur ce territoire, comme ce fut le cas de Washington et Tel Aviv. Il entretient aussi des relations privilégiées avec ceux qui, comme l’Espagne et l’Allemagne, soutiennent l’autonomie du Sahara préconisée par le Maroc comme étant la seule solution possible et imaginable au conflit.

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À en juger par l’essor sans précédent des relations économiques entre le Maroc et le Royaume-Uni, il y a fort à parier aussi que Londres marche sur les traces de son allié transatlantique, et se prononcera en faveur de Rabat sur le dossier du Sahara. Quant aux relations Maroc-France, elles ne sont plus du tout ce qu’elles étaient. La France a perdu, au profit de l’Espagne, le statut de premier partenaire commercial du royaume chérifien, ce dont elle bénéficiait depuis l’indépendance du pays. Il se peut même qu’une rupture à la rwandaise se profile à l’horizon. Le pays qui compterait le plus de lycées et d’institutions françaises au Maghreb, se détache progressivement de la francophonie. L’enseignement de l’anglais y sera généralisé dès l’entrée au collège en 2025.

Dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, de nouvelles relations internationales se tissent, en même temps que d’autres se défont. Le Maroc, pays souverain, partenaire fiable, le seul État stable et solide dans une région en crises perpétuelles, a fait son choix. Il exige désormais que ses partenaires européens reconnaissent qu’il n’y a d’avenir pour le Sahara que dans le cadre de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. C’est au tour de la France de revoir sa position sur le Sahara et d’en assumer les conséquences.

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