En Afrique du Sud, c’est dans les vieux livres qu’on fait les meilleures recettes

Les traditions culinaires sud-africaines se racontent dans des livres de recettes qui se transmettent entre générations et communautés depuis plus d’un siècle.

Le chef sud-africain Jan Hendrik van der Westhuizen possède la plus grande collection de livres de cuisine d’Afrique du Sud. © Klein Jan

Publié le 22 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

C’est une grande bibliothèque équipée d’une échelle qui monte presque jusqu’au plafond. Le chef étoilé Jan Hendrik van der Westhuizen a entrepris de conserver la plus grande collection de livres de cuisine d’Afrique du Sud. Plusieurs centaines d’ouvrages sont entreposés dans son studio d’innovation, au Cap, et près de 1 000 autres sont exposés à Klein Jan, son restaurant gastronomique installé dans une réserve privée du Kalahari.

Aucun de ces livres n’a été acheté. Tous ont été offerts par leurs propriétaires, qui allaient s’en débarrasser. « Ici on peut les garder en bon état et ils servent à nos chefs qui peuvent s’inspirer du passé pour innover, explique Hanfred Rauch, éditeur de Jan the Journal, le magazine semestriel du chef Jan Hendrik. L’anachronisme fait partie de notre marque. On a un pied dans le passé et l’autre dans le futur. »

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Cuisine paysanne

La cuisine de Jan Hendrick veut donc « innover le passé », notamment autour des plats traditionnels de son enfance à la ferme, dans une famille afrikaner. C’est la « boerekos », la cuisine paysanne, avec des plats comme le bobotie, la milk tart (tarte au lait et à la cannelle) ou le pastorie hoender, (le poulet du presbytère). Une cuisine simple et riche où le riz, les patates et la viande sont les aliments de base.

Boerekos, c’est également le nom d’un magazine de recette populaire écrit en afrikaans. « Il y a une tradition de publier des livres de cuisine en afrikaans, qui fait partie de la construction d’une identité afrikaner, selon Anna Trapido, anthropologue culinaire. Depuis les années 1930, il y a un effort très conscient de se démarquer du reste de la population et cela fait partie du projet nationaliste afrikaner. »

Bible culinaire

La bible des livres de cuisine sud-africains a d’abord été écrite en afrikaans : Kook en geniet (Cuisinez et savourez). Elle est publiée pour la première fois en 1951 par Stoffelina Johanna Adriana, une autrice de Stellenbosch, près du Cap, décédée en 2010 mais dont le travail a été repris par sa fille, Eunice van der Berg. Ce livre de plus de 500 pages est un manuel technique pour réaliser des plats basiques, du genre La cuisine pour les nuls avec peu d’illustrations.

Cuisiner simplement et rapidement, c’est aussi l’argument de vente du best seller du moment, The Lazy Makoti (La jeune mariée paresseuse). La cheffe Mogau Seshoene incarne ce personnage pétillant, entre tradition et modernité, avec son tablier rouge en forme de cœur. Ici un chapitre sur comment préparer un dîner rapidement, là un autre sur les gâteaux d’anniversaire, mais aussi quelques recettes de son enfance qui s’adressent davantage à la communauté noire et un chapitre dédié aux plats emblématiques du continent africain comme le riz jollof, au Nigeria.

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Si la cheffe Mogau Seshoene fait référence à La jeune mariée, c’est parce que les livres de recettes sont souvent des cadeaux offerts lors du mariage. « J’ai une cliente, le week-end dernier, qui est venue sur ses hauts talons brillants acheter un livre de recettes avant de se rendre à un mariage », se remémore André Sales, de la librairie Clarke’s, au Cap, où une vingtaine de références sont à disposition, dont la Lazy Makoti qui se vend très bien. Indian Delight: A Book on Indian Cookery, publié en 1961 par Zuleikha Mayat, fait, lui, partie de ces livres très populaires qui sont souvent offert lors des mariages dans la communauté indienne.

Le marché des livres de recettes illustre la diversité de la nation arc-en-ciel, où chaque communauté possède ses références culinaires héritées de ses ancêtres. La librairie Clarke’s vend également beaucoup de livres sur la cuisine Cape Malay. C’est une cuisine épicée propre à la communauté musulmane « Malay », dont les aïeux étaient des esclaves venus notamment d’Indonésie pour être exploités au Cap.

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Recettes solidaires

Ces livres de cuisine, qui se transmettent de mères en filles, jouent un rôle social quand ils prennent la forme du « community recipe book » (livre de recette communautaire). Cette pratique venue des États-Unis au XXe siècle consiste à écrire un livre de cuisine collectivement. « Ces collections sont très souvent rédigées par un groupe de femmes dans le but de lever des fonds et sont parfois appelés des livres de charité », explique Errieda du Toit dans son livre Share, publié en 2019, qui rend hommage à ces livres collectifs.

Ces ouvrages sont majoritairement publiés par des femmes de la classe moyenne blanche. Errieda du Toit a ainsi recensé des groupes de paroissiennes, des sociétés de bonnes sœurs, des associations de femmes, des ligues de femmes au foyer, des associations et syndicats agricoles de femmes, des clubs de bowling, des Lions Club, des Rotary, des synagogues, etc.

L’ouvrage le plus populaire étant The International Goodwill Recipe Book (aussi connu sous le titre The Yeoville Book), publié en 1950 par la Ligue sioniste féministe et réédité six fois. Indian Delight, de Zuleikha Mayat, est aussi un classique qui fut écrit pour soutenir le Women’s Cultural Group, une association féministe sud-africaine créée en 1954. Le livre a si bien marché qu’il a permis de financer des œuvres de charité, comme des bourses étudiantes ou des soupes populaires.

Ces livres sont une fenêtre ouverte sur ce que les gens mangeaient chez eux, de manière brute et transparente.

Errieda du ToitAuteure de « Share »

Ces livres communautaires publiés il y a un demi-siècle sont mis à jour au fil des éditions mais l’essence même des recettes reste d’actualité. « Ces livres sont précieux, ce sont des références, ils sont une fenêtre ouverte sur ce que les gens mangeaient chez eux, de manière brute et transparente […] à la différence des livres de recettes commerciaux avec leurs belles images, leur intérêt pour la mode et le ‘bon goût’ », développe Errieda du Toit.

Avec Share: A Century of South African Community Recipes, son dixième livre, Errieda du Toit pense avoir  « donné une voix à des générations de femmes » et apporté ses lettres de noblesse à un genre – les livres communautaires – ignoré. Elle même possède une collection de 2 000 livres de recettes (manuscrits et livrets compris), dont The Paarl Cookery Book in Aid of War Funds, publié en 1918 pour lever des fonds au profit de la Croix-Rouge.

Dans son livre, Errieda du Toit invite à se replonger dans les recettes de ces femmes qui ont mis leurs connaissances de la cuisine en commun. « C’est précisément maintenant, à l’ère des chefs célèbres et de l’accès sans précédent aux recettes en ligne et à la télévision, que nous sommes à la recherche de réconfort, de stabilité et de sagesse », professe-t-elle.

Cette nostalgie qui traverse les livres de recettes sud-africains détone avec les menus qui sont proposés dans les restaurants du Cap ou de Johannesburg : pizza, pâtes, hamburger, steaks… comme si la cuisine traditionnelle n’avait plus sa place à la carte.

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