Et si l’IA entravait le financement du terrorisme en Afrique ?

Pour lutter efficacement contre l’hydre jihadiste, il faut assécher ses sources de financement. L’intelligence artificielle peut être un recours pertinent, selon Julien Briot-Hadar.

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Julien Briot © DR
  • Julien Briot-Hadar

    Économiste français, expert en conformité aux normes des entreprises et spécialiste des questions de fraude fiscale

Publié le 5 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

L’État islamique a profité de la chute du régime de Mouammar Kadhafi et de la naissance de conflits entre les différentes ethnies pour s’installer dans la région de Syrte. C’est précisément  de ce lieu que l’organisation terrorisme est arrivée dans la zone sahélienne en créant l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Vaste territoire de près de 100 millions d’habitants répartis entre le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, le Sahel se trouve alors confronté à de multiples difficultés et défis : progression de la menace terroriste et propagation du crime organisé, changement climatique, expansion démographique et migrations. Autant de facteurs qui contribuent à fragiliser l’ensemble de la région.

Deux organisations s’y opposent depuis 2000 : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, filiale d’Al-Qaïda), dirigé par Iyad Ag Ghali, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

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L’OSINT pour rechercher les signaux faibles

Face à la menace jihadiste croissante, qui s’est aujourd’hui propagée aux pays du golfe de Guinée, la lutte contre le financement du terrorisme constitue aujourd’hui un enjeu particulièrement fort pour les institutions bancaires. Sans revenir sur l’engagement citoyen qui s’impose à elles face à ce danger sociétal, sans insister sur les lourdes obligations réglementaires qui se multiplient sur le sujet, on ne peut que souligner les difficultés auxquelles les établissements financiers se heurtent dans la détection et la prévention de ces situations.

L’intelligence artificielle est la solution, bien que deux éléments contribuent à rendre le travail de ces structures bancaires particulièrement difficile. D’une part, le faible nombre de cas avérés – par chance, ces situations se révèlent extrêmement rares et l’analyse statistique devient, en général, caduque pour la grande majorité des établissements, faute de base d’expérimentation suffisamment large.

D’autre part, la nature du phénomène rend son appréhension complexe. Détecter au travers de ses opérations bancaires un potentiel terroriste nous impose d’évoquer la théorie des signaux faibles. Il s’agit en effet d’évènements peu identifiables et/ou peu fréquents qui, au terme d’une certaine période, permettent de caractériser un événement futur probable. Il convient donc d’identifier ces éléments, de les combiner et de les pondérer afin de capter le potentiel cas intéressant. La recherche de ces signaux faibles s’avère la plupart du temps longue, incertaine et la plupart du temps infructueuse.

 Les analystes peuvent désormais utiliser des outils automatisés pour collecter et analyser des données provenant de multiples sources

L’OSINT (pour Open Source Intelligence) est une technique qui consiste à collecter et analyser des informations tirées de sources ouvertes telles que les médias, les réseaux sociaux, les forums en ligne et les blogs. Au fil des années, les méthodes de l’OSINT ont évolué, avec l’émergence de nouvelles technologies et l’utilisation de techniques d’analyse avancées. Les analystes peuvent désormais utiliser des outils automatisés pour collecter et analyser des données provenant de multiples sources, ce qui facilite la détection des activités suspectes. Les techniques d’analyse s’améliorent également, permettant de traiter des quantités massives d’informations en temps réel et de manière plus précise.

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« Loups solitaires » et « assaillants spontanés »

L’emploi d’opérateurs booléens (tels que « ET », « OU », « NON ») améliore la précision de la recherche et donc la pertinence des résultats, ce qui est essentiel dans les enquêtes liées à la criminalité financière. L’expertise des spécialistes de la lutte contre le financement du terrorisme conditionnera la pertinence des résultats. En effet, définir précisément ce que l’on recherche permet d’orienter avec précision les termes (mots-clés) de « codage » selon le résultat souhaité.

Ici, la problématique porte sur les « loups solitaires », qui sont des assaillants individuels sans lien opérationnel avec un groupuscule terroriste et qui n’ont pas reçu d’aide pour mener à bien leur projet. Ceux-ci passent directement à l’acte. Parmi eux, on trouve des « assaillants spontanés », qui ne savent pas qu’ils vont mener une attaque le matin même. Ce sont des cas très difficiles à appréhender, car ils échappent à toute surveillance classique.

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Néanmoins, la plupart des « loups solitaires » donnaient des signaux précoces de cette radicalisation dans le cadre de leurs interactions sur les réseaux sociaux. Contrairement aux criminels de droit commun, les terroristes défendent leurs valeurs, leur allégeance à un groupuscule terroriste, comme l’État islamique, ou à leur patrie, et le font savoir. L’IA est capable de brasser une quantité phénoménale de données et d’isoler des signaux extrêmement faibles, une activité ou un état inhabituel, que l’intelligence humaine n’aurait pas repérés.

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