À Madagascar, la place du 13-Mai sera-t-elle l’arbitre de la présidentielle ?

À quelques semaines du premier tour de la présidentielle malgache prévue le 9 novembre, les manifestations des opposants à Andry Rajoelina continuent. Avec un objectif : conquérir la très symbolique place du 13-Mai.

Rassemblement de l’opposition pour une destitution du président Andry Rajoelina à Antananarivo, le 2 octobre 2023. © Rafalia Henitsoa / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Publié le 5 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

Ce lundi 2 octobre, les onze candidats de l’opposition à la présidentielle malgache sont apparus en tête des manifestations à Antananarivo. Bras dessus, bras dessous, les voilà avançant comme un seul homme, soudés comme les maillons d’une chaîne. Avec un objectif commun : atteindre la très symbolique place du 13-Mai et obtenir grâce à la pression populaire l’invalidation de la candidature d’Andry Rajoelina, que la Haute cour constitutionnelle (HCC) a autorisé à se présenter.

Depuis des mois, la tension n’a cessé de monter entre le président sortant et ses opposants, réunis au sein du “Collectif des candidats”. Ce 2 octobre, elle est donc à son comble. Les opposants n’atteindront pas la place du 13-Mai. Sous les gaz lacrymogènes, la manifestation est réprimée par les forces de l’ordre. Bis repetitae le lendemain. Les autorités, menées par le chef de l’État par intérim, le Premier ministre Christian Ntsay, veulent à tout prix empêcher la « prise » de la place du 13-Mai, alors qu’une nouvelle manifestation est prévue ce 5 octobre.

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Place symbolique

Pour le gouvernement, la menace est réelle. Malgré le petit nombre de manifestants déployés – quelques centaines – la place du 13-Mai a été rendue totalement infranchissable. « S’ils arrivent à occuper cette place située au cœur de Tana, même de moitié, tout pourrait basculer », explique Denis Alexandre Lahiniriko, enseignant en histoire politique à l’université d’Antananarivo. Depuis le mois de mai 1972, la place est en effet devenue le lieu où se font et défont les régimes de Madagascar.

Les opposants sont obligés de l’atteindre pour légitimer leur mouvement

À l’époque, des foules de jeunes et de travailleurs révoltés s’y étaient rassemblés afin de s’insurger contre les accords de coopération avec la France. Le mouvement avait tourné aux affrontements sanglants avec le régime et les forces de l’ordre, avant d’entraîner la chute du président Tsiranana. Un souvenir gravé dans les mémoires des Malgaches et de leurs dirigeants, qui connaissent donc la puissance symbolique et mobilisatrice de l’endroit.

1991, 2002, 2009, 2018 … « Tous les mouvements de contestation qui arrivent à maîtriser la place réussissent à renverser l’État », raconte un ancien ministre malgache qui a souhaité garder l’anonymat. « Si le gouvernement tient à ce que les élections se déroulent le 9 novembre, il doit empêcher l’accès à cette place. Inversement, les opposants sont obligés de l’atteindre pour légitimer leur mouvement », ajoute-t-il.

Plus de barrages que jamais

Mercredi 4 octobre, après deux tentatives, les manifestations ont été provisoirement suspendues par le Collectif des candidats, après un dialogue organisé par le FFKM (le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes, observateur officiel des élections), dans le but d’apaiser les tensions. Mais le mot d’ordre de rassemblement de l’opposition – et donc la tentative de prise de la place du 13-Mai – doit reprendre ce jeudi 5 octobre. Le début d’une longue période de manifestations ?

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« Il faudrait passer par un accord politique tacite [pour régler la situation ], mais si Rajoelina veut survivre politiquement, il ne peut pas accepter », reprend Lahiniriko. Et pour cause, l’opposition demande non seulement la disqualification de Rajoelina, mais aussi une nouvelle composition de la commission électorale, une cour spéciale pour examiner les résultats des élections et un gouvernement de transition.

Un président sortant fort mais fragilisé face à une opposition faible qui veut se montrer forte

« Les opposants continueront à essayer d’atteindre la place », assure l’ancien ministre, « avant l’élection, pendant et peut-être après ». Mais le gouvernement se montre intransigeant. Les barrages sont nombreux avant de pouvoir atteindre le cœur de la capitale et environ 2 500 hommes seraient déployés dans les rues, soit cinq ou six fois plus que le nombre de manifestants. « Jamais des démonstrations politiques n’ont drainé autant d’éléments sécuritaires, même dans les années 70 », s’étonne Lahiniriko qui y voit un signe de fébrilité du président sortant.

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La carte du temps

Si Rajoelina bénéficie d’une certaine assise et de l’appui du gouvernement, son bilan reste très critiqué. « Il cherche à faire une démonstration de force », ajoute le professeur. Entre un président sortant fort mais fragilisé, et une opposition faible qui veut se montrer forte, l’équilibre est complexe. L’avantage semble plutôt à Rajoelina – seul candidat à être autorisé à réunir ses partisans, il a organisé un meeting ce mercredi 4 octobre -, mais la moindre erreur de son gouvernement pourrait inverser la tendance.

« L’opposition joue sur le temps pour pouvoir affaiblir Rajoelina », analyse Denis Alexandre Lahiniriko, avec pour objectif principal de décaler les élections. Quant à l’armée, aujourd’hui fidèle au régime et qui participe à contenir les élans de l’opposition, elle pourrait retourner sa veste si le camp du président sortant commençait à montrer des signes de faiblesse. En attendant, la place du 13-Mai continue, elle, d’attirer les regards et d’attiser les convoitises. Avant, peut-être, de décider une nouvelle fois de l’avenir du pays.

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