Ousmane Diagana : « À Marrakech, la transformation de la Banque mondiale va être annoncée »

En amont des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, du 9 au 15 octobre à Marrakech, Ousmane Diagana, vice-président Afrique de l’Ouest et Afrique centrale de la Banque mondiale, livre son diagnostic sur les sujets brûlants de l’actualité.

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Publié le 7 octobre 2023 Lecture : 7 minutes.

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À Marrakech, l’Afrique au cœur des réformes du FMI et de la Banque mondiale

Face au besoin urgent de financements pour surmonter le changement climatique, la crise de la dette dans plusieurs pays et un taux de pauvreté qui peine à se réduire, les espoirs sont grands pour le continent, alors que les deux institutions de Bretton Woods n’y avaient pas tenu de rencontres annuelles depuis celles de Nairobi, au Kenya, en 1973.

Sommaire

L’ACTU VUE PAR – Vice-président de la Banque mondiale chargé de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale depuis le 1er juillet 2020, Ousmane Diagana s’apprête à s’envoler pour Marrakech, où les institutions de Bretton Woods – Banque mondiale et FMI – tiennent leur raout annuel. Depuis 50 ans, c’est la première fois que ces assemblées ne s’étaient pas tenues sur le continent.

Au cours d’un entretien accordé à RFI et Jeune Afrique – Ousmane Diagana est le Grand invité de l’économie du mois d’octobre -, le Mauritanien qui œuvre sur le continent depuis plus de 30 ans a évoqué les sujets du financement de la transformation de son institution, la transition énergétique, l’aide aux pays endettés, la crise énergétique, et bien sûr les changements politiques en Afrique.

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Jeune Afrique : Alors que vous n’aviez organisé un tel événement en Afrique depuis Nairobi en 1973, vous revenez cette fois à Marrakech – région marquée par une catastrophe naturelle il y a à peine un mois. Pourquoi avoir choisi le continent ?

Le fait de tenir ces assemblées annuelles, hors de Washington, et cette fois-ci en Afrique est un signal, un symbole. Mais en même temps, cela se justifie. L’Afrique n’est pas à la marge du monde, l’Afrique est au centre du monde parce qu’il y a un certain dynamisme et beaucoup de défis. Maintenir les assemblées à Marrakech dans ce contexte difficile est aussi un signe très fort de solidarité envers le Maroc et sa population.

La Banque mondiale va-t-elle soutenir le Maroc, même s’il est évidemment loin d’être le pays le plus pauvre du continent ?

Le Maroc et la Banque mondiale sont partenaires de très longue date. La Banque a toujours été présente au Maroc.

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Le pays repose sur un système et une structure administrative extrêmement forts, animés et dirigés par des cadres compétents. Donc le Maroc est un pays qui a toujours été capable de formuler des politiques publiques dont les besoins de financement ont été bien identifiés et bien chiffrés. C’est ce qui lui a toujours permis de bien dialoguer avec la Banque mondiale et aussi avec le Fonds monétaire international (FMI).

À cause de ces problématiques actuelles, qui sont aussi liées aux changements climatiques, il est clair que la Banque mondiale continuera à soutenir ce territoire.

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Quelles annonces peut-on attendre de Marrakech ? Augmenter les capacités d’emprunt, les taux préférentiels ?

Évidemment, en tant qu’institution de développement, on va s’intéresser à toutes les questions liées au développement. Mais cette année, ce qui fait le caractère extraordinaire de ces assemblées annuelles, c’est la persistance de certaines crises et l’émergence de nouvelles. Tout ceci demande des réponses rapides et des financements massifs.

L’institution qui est en voie de transformation, depuis la demande de certains de nos administrateurs et l’arrivée de notre nouveau président, va dévoiler ses nouveaux contours. Une démarche qui doit rendre la Banque mondiale meilleure et plus grande.

Comment expliquez-vous, plus de trois ans après la crise sanitaire du Covid-19, la si forte disparité en Afrique entre des pays résilients et d’autres dont l’économie s’effondre aujourd’hui ?

C’est effectivement un constat que je fais quand je regarde les statistiques que nous produisons. Quand il y a eu le Covid, le taux de croissance était pratiquement à zéro pour certains pays, il a même été négatif.

À la faveur des accompagnements divers et variés, mais également des efforts qui ont été accomplis par les pays eux-mêmes en 2022, on a pu atteindre un taux de croissance relativement important en Afrique subsaharienne, jusqu’à 3,6 %. Cette année, il va être un peu plus bas [2,5 %, NDLR.], à cause notamment des instabilités politiques et institutionnelles que nous voyons actuellement.

Même s’il y a des pays qui échappent à cette instabilité, l’agrégation des challenges auxquels les pays sont confrontés, contribue à tirer le continent dans son ensemble vers le bas en termes de croissance économique.

La prochaine Conférence internationale de lutte contre les changements climatiques (COP28) se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre. Faire du climat une priorité alors qu’il y a tant de pauvreté et que certains États sont fortement endettés, est-ce toujours cohérent pour vous ?

Personnellement, je ne crois pas à l’effet d’éviction, surtout de la façon dont nous approchons les questions climatiques à la Banque mondiale. Nous n’abordons pas la question climatique comme une problématique de développement à part, nous approchons la question de climat et de développement en même temps.

Depuis que la COP existe, il y a eu beaucoup d’annonces et, à l’échelle mondiale, moins d’actions

Quand on règle les questions climatiques, on règle les questions de développement en même temps.

Dans ces événements, on promet beaucoup de choses, mais peu aboutissent. Les COP sont-elles toujours utiles, notamment pour les pays africains ? 

Je peux comprendre la frustration des pays africains. Depuis que la COP existe, il y a eu beaucoup d’annonces et, à l’échelle mondiale, moins d’actions.

Mais je crois d’abord que c’est toujours une bonne chose d’avoir la communauté internationale et les différents pays, dans toutes leurs composantes, autour d’une même table pour dialoguer.

Sur un autre sujet, la politique de prêts des institutions internationales qui consiste à prêter aux pays pauvres pour rembourser les capitaux privés, est très critiquée. Le principe ne peut-il pas inciter à prendre des risques excessifs, notamment eu égard aux pays émergents ou en développement ? 

Je suis d’accord, on ne doit pas s’appesantir énormément sur l’élément risque pour contribuer à faire orienter des financements vers l’Afrique.

Je pense que la façon dont les risques sont estimés et communiqués sur l’Afrique sont très dissuasifs. Et par conséquent, cela réduit les possibilités d’investissement, notamment d’investissement privé, en Afrique. Or, sans investissement privé, on n’aura pas la possibilité de renforcer le développement économique et de créer des emplois.

Les pays africains ne peuvent pas être réduits à un rôle de consommateurs de ce qui vient de l’extérieur

Mamadi Doumbouya, le président de la transition guinéenne, lors des assemblées générales des Nations unies à New York, a déclaré que « la greffe n’a pas pris » entre la vision occidentale et l’Afrique et que le continent « souffre d’un modèle de gouvernance qui n’est pas adapté à ses coutumes ». Vous qui travaillez sur le continent depuis 30 ans et en connaissez la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, que pensez-vous de ce point de vue  ?

Certes, après plus de 60 ans d’accession à l’indépendance, la plupart des pays africains constatent que leurs différents indicateurs socio-économiques sont parmi les plus faibles du monde. C’est une source de frustration et de déception bien entendu pour les gouvernements, mais surtout pour les populations africaines.

C’est donc la pauvreté qui alimente les putsch ?

Cela peut être une explication. Il y a la pauvreté, mais il y a aussi la crise de gouvernance en termes de manque de redevabilité, en termes d’absence d’inclusion. Parfois aussi, des problèmes de mauvais alignement entre ce que les différents partenaires proposent aux pays africains et les attentes de ces derniers. Ils ne peuvent pas être réduits à un rôle de consommateurs de ce qui vient de l’extérieur.

Quand on regarde de plus près, on constate en Afrique de l’Ouest par exemple, qu’il y a deux fronts. Un front côtier plutôt stable et un autre front dans les terres qui est en pleine révolution, revendication, redéfinition. Comment les deux peuvent-ils coexister ?

C’est une bonne description, mais en Afrique, il y a des principes immuables comme celui de la continuité territoriale.

On quitte un pays, on entre dans un autre, sans avoir aucune différence. Au sein même de l’Afrique de l’Ouest ou entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Je pense que la Côte d’Ivoire n’est qu’une continuation du Mali ou du Burkina Faso.

Il y a quand même des frontières…

Il y a des frontières, mais les frontières sont plutôt issues d’un arbitrage réalisé dans un contexte bien déterminé. Mais la réalité des populations est différente.

Donc cela veut dire que ce qui est arrivé au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger pourrait arriver aussi en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Bénin, au Togo ?

Cela pourrait arriver partout. Et en particulier en Afrique, c’est pour cela aujourd’hui, tout en investissant sur les conséquences négatives des conflits, il faut investir suffisamment sur le plan de l’éducation, de la prévention, afin que toutes ces populations qui quittent un pays pour aller vivre dans un pays voisin soient dans une logique de contribution à la stabilité économique dans ces pays d’accueil. Et éviter ainsi une logique autre, qui mènerait à une contagion et s’étendrait aux autres pays de notre de notre continent.

Pour finir, un mot sur votre nouveau président, Ajay Banga, d’origine indienne et issu du secteur privé. Portera-t-il ce changement si nécessaire à l’institution ?

La Banque mondiale est une bureaucratie, c’est une institution, elle peut souffrir donc des défauts de toute bureaucratie. Avec l’arrivée d’Ajay Banga comme président, nous constatons un souffle nouveau au niveau de notre institution.

D’abord, il apporte son expérience personnelle en provenance du secteur privé [il a été le PDG de Mastercard pendant 10 ans, NDLR.], il est natif d’un pays en voie de développement mais a mené une grande partie de sa vie professionnelle aux États-Unis, dont il est citoyen aujourd’hui. C’est également quelqu’un qui, avant de prendre ses fonctions, parlait à beaucoup de décideurs mondiaux.

Il vient avec tout ce bagage-là pour justifier ses constats et les changements qu’il veut opérer. Nous allons travailler avec lui pour que ces changements soient positifs et qu’ils aient un impact essentiellement sur les pays les plus pauvres, affectés de manière disproportionnée par les crises multiples de ces dernières années.

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