Guerre Israël-Hamas : en Égypte, la crainte d’une vague de réfugiés gazaouis

De l’autre côté de la frontière, le sujet éclipse même l’élection présidentielle prévue dans deux mois.

Dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans la bande de Gaza, le 11 octobre 2023. © MAHMUD HAMS / AFP

Dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans la bande de Gaza, le 11 octobre 2023. © MAHMUD HAMS / AFP

Publié le 13 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

Dans les médias égyptiens et sur les réseaux sociaux, deux grands sujets prédominent : la présidentielle, prévue le 10 décembre prochain et, depuis quelques jours, la crainte d’un « grand déplacement » de Palestiniens fuyant Gaza et venant se réfugier dans le Sinaï. Une hypothèse déjà évoquée il y a quelques années lors d’autres affrontements marqués par des frappes israéliennes sur le territoire palestinien.

Dans son éditorial du 10 octobre, le rédacteur en chef du grand quotidien indépendant Shorouk News, Emad al-Dine Hussein, a mis en garde contre les tentatives israéliennes de pousser les Gazaouis à partir s’installer en Égypte. Sous le titre « Oh Palestiniens, ne quittez pas votre territoire », le journaliste explique qu’ « il existe plusieurs indicateurs selon lesquels Israël cherche à opérer un grand changement démographique via le déclenchement d’une offensive inédite et la destruction d’une ampleur jamais vue de maisons et d’établissements, dont les écoles et les hôpitaux à Gaza, pour pousser les habitants à s’enfuir dans l’endroit le plus proche, à savoir le Sinaï ».

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Le lendemain, le rédacteur en chef continuait de creuser ce sillon. Dans un nouvel éditorial intitulé « Le Sinaï est un ancien rêve israélien », il écrivait : « Israël et ses alliés d’Occident et d’Orient pensent que le temps est venu pour réessayer de déplacer les Palestiniens dans le Sinaï. Pour mettre un terme au cauchemar de Gaza en premier lieu, et éliminer la cause (palestinienne) en deuxième ».

Réfugiés contre effacement de la dette ?

Face à cette inquiétude largement partagée et relayée sur les réseaux sociaux, les médias publics tentent de rassurer, multipliant les interviews de chercheurs et d’analystes qui assurent que l’hypothèse d’un déplacement des Palestiniens vers le Sinaï est complètement exclue par l’État égyptien. Le quotidien public Akhbar a publié le 11 octobre une enquête sous le titre « Le territoire égyptien est une ligne rouge et les appels à l’exode sont ‘un plan sioniste’ ». De son côté, le gouvernement reste silencieux.

Réagissant aux destructions causées par les frappes israéliennes sur Gaza, les médias privés sont tiraillés entre solidarité avec la cause palestinienne et refus de voir la frontière avec Gaza s’ouvrir pour laisser les Palestiniens fuir dans le Sinaï. Les éditoriaux critiquent les atrocités israéliennes, tout en mettant en garde contre une autorisation accordée aux réfugiés de venir s’installer au nord de l’Égypte, une option évoquée dans le fameux « Deal du siècle » imaginé par l’administration américaine durant la présidence Trump.

« Tout le monde s’inquiète d’un scénario qui verrait le pays devenir la terre d’accueil des Palestiniens de Gaza, en échange de l’effacement des dettes de l’Égypte plongée dans la crise économique« , explique Gamal Zahran, professeur en sciences politiques à l’université de Suez. « Le gouvernement reste silencieux. Et les médias confirment qu’il existe un refus officiel et populaire de cette proposition », poursuit-il.

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Cause en danger

« La guerre à Gaza touche directement l’Égypte, estime Khaled Dawoud, le porte-parole du Mouvement civil démocratique, qui représente la majorité des partis d’opposition. La cause palestinienne est en danger et l’ampleur du conflit, le nombre de victimes, le niveau des destructions sont sans précédent. Cela coïncide avec des appels israéliens et américains en faveur d’un déplacement des Palestiniens, notamment vers le Sinaï. Ces appels sont inquiétants tant pour le régime que pour l’opposition. »

Le niveau d’inquiétude est tel qu’il pousse les autorités à prendre des décisions inattendues. Mercredi 11 octobre, elles ont ainsi permis aux syndicats de journalistes d’organiser une petite manifestation critiquant l’attitude d’Israël et exprimant leur soutien aux combattants et à l’État palestinien. Une telle initiative n’avait pas eu lieu depuis environ 7 ans.

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Diversion du pouvoir ?

Dans les médias, le vocabulaire évolue. Le Hamas, qui n’a jamais eu bonne presse en Égypte, est maintenant qualifié de mouvement de « résistance ». Les partis d’opposition ont eux aussi pu se réunir afin d’élaborer une position commune condamnant l’occupation israélienne. Même au sein du gouvernement, « on observe une évolution dans les prises de position concernant la réaction sur cette guerre comparée aux précédents affrontements à Gaza, note Khaled Dawoud. Le régime a donné un peu d’espace aux gens pour exprimer leur refus. »

Pour autant, l’opposition ne se fait pas d’illusion sur le jeu du pouvoir, en cette période pré-électorale. « Les partis d’opposition et les Égyptiens ont arrêté de parler de la campagne pour la présidentielle, note le professeur Gamal Zahran. L’intérêt des médias d’État et du gouvernement pour la guerre à Gaza pourrait bien avoir un autre objectif : faire oublier la prochaine élection ou les pressions exercées sur l’opposant Al-Tantawi par exemple… » Khaled Dawoud ne partage pas ce point de vue. Pour lui, la guerre à Gaza « mérite tout l’intérêt qu’elle suscite, vu sa gravité ».

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