En Guinée, la transition de Mamadi Doumbouya en plein bras de fer avec la presse

Treize journalistes arrêtés le 16 octobre pour avoir exigé, dans la rue, la levée de restrictions pesant sur des sites d’information ont finalement été libérés en attendant la tenue de leur procès. Après avoir suscité l’espoir, les nouvelles autorités sont soupçonnées de vouloir museler les médias.

Le colonel Mamadi Doumbouya lors du conseil ordinaire des ministres  au Palais Mohammed V, le 14 septembre 2023. © Présidence de la Guinée

Le colonel Mamadi Doumbouya lors du conseil ordinaire des ministres au Palais Mohammed V, le 14 septembre 2023. © Présidence de la Guinée

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Publié le 18 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

C’était en mai 2022. À l’époque, la Guinée venait de gagner 25 places dans le classement annuel de Reporters sans frontières (RSF) et les journalistes guinéens s’étaient pris à rêver. Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir huit mois plus tôt à la faveur d’un coup d’État, n’avait-il pas promis de rompre avec les pratiques du régime d’Alpha Condé ?

Las, l’espoir a fait long feu, et la junte a montré, mois après mois, sa méfiance et son raidissement à l’égard des médias. Dernier épisode en date : l’arrestation de treize journalistes, ce lundi 16 octobre, qui manifestaient dans le centre-ville de Kaloum pour réclamer la levée des restrictions imposées à Guinée matin. Malmenés par les forces de l’ordre, envoyés au commissariat de police et entendus par un juge d’instruction, ils ont été relâchés mais n’en ont pas fini avec la justice.

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« Ils ont été libérés mais restent poursuivis pour participation illégale à une manifestation interdite sur la voie publique, explique à Jeune Afrique l’un de leurs avocats, Me Salifou Béavogui. Ils seront jugés suivant la procédure de flagrance, à une date que nous communiquera le procureur. »

De fait, les militaires au pouvoir en Guinée ne tolèrent pas les manifestations de rue. Les partis politiques ont vu le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) leur intimer l’ordre d’exprimer leur mécontentement au sein de leurs propres sièges. Quand ils ont passé outre, notamment pour répondre à l’appel de la plateforme des Forces vives de Guinée, la répression a été sanglante. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a dénombré une trentaine de morts – tués par balles en marge de manifestations – en deux ans de transition.

Des articles trop critiques ?

Plusieurs médias en ligne ont par ailleurs vu leur accessibilité restreinte. Il s’agit des sites d’information Guinée matin et de L’Inquisiteur – ce dernier était détenu jusqu’à récemment par Moussa Moïse Sylla. Devenu directeur de la communication et de l’information à la présidence, cet ancien journaliste a dû se désengager et a entamé un processus de cession de la totalité de ses actifs à son ancien collaborateur, Mamoudou Babila Keita. Sauf qu’entre la signature de l’acte de cession et la transmission des avoirs du média (compte bancaire, bureaux), les deux hommes se sont brouillés. Au cœur de la querelle : la tonalité des articles du site, très critiques envers la junte. Faute d’accord, Moussa Moïse Sylla a donc décidé de restreindre l’accès au média et de geler la cession.

Il aura fallu l’intervention – et la médiation – du Réseau des médias sur internet en Guinée (Remigui) pour que L’Inquisiteur redevienne accessible mi-octobre. « Le bureau exécutif du Remigui rappelle que, depuis la nomination de Moussa Moïse Sylla à la tête de la Direction de la communication et de l’information de la présidence, celui-ci n’a plus aucune responsabilité dans Inquisiteur.net, qu’il a quitté de plein gré. Par conséquent, les contenus éditoriaux dudit média ne l’engagent pas », précise le communiqué. Les négociations auront duré un mois.

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Tentatives de médiation

Guinée matin en revanche n’est plus accessible depuis deux mois, en dépit des tractations. La première discussion, menée sous la houlette du Syndicat de la presse privée de Guinée (SPPG), a débouché sur l’organisation de la marche pacifique de ce 16 octobre, dispersée par les forces de l’ordre. Auparavant, la Haute Autorité de la communication (HAC), l’instance de régulation des médias, avait été saisie. Elle a écrit à l’Autorité de régulation des postes et télécommunications de Guinée (ARPT), sans plus de succès.

L’ARPT, qui relève du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, dirigé par le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a en sa possession « du matériel qui peut bloquer l’accès aux sites d’information en cas de besoin », affirme un membre d’une équipe de médiateurs.

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Ousmane Gaoual Diallo écarte toute responsabilité dans le blocage, exige de ses « accusateurs un minimum de preuves [pour étayer] leurs allégations », et menace de saisir la justice pour diffamation, si le secrétaire général du SPPG, qui l’a publiquement indexé, ne lui présente pas d’excuses publiques.

« Nous avons enquêté pendant près de deux mois, et c’est lorsque nous avons eu tous les éléments nous permettant d’affirmer sans hésitation qu’il était responsable que nous l’avons affirmé, persiste Sékou Jamal Pendessa, du SPPG. Nous réitérons que c’est bien lui qui est derrière les restrictions qui pèsent sur Guinée matin. »

Seuls 40 % des lecteurs (ceux qui sont à l’étranger) ont encore accès au site. Ceux qui sont basés en Guinée doivent obligatoirement se reporter sur le site miroir mis en place grâce à une assistance de RSF.

Dans un communiqué publié ce lundi, l’organisation non gouvernementale a appelé « les autorités judiciaires à abandonner les charges contre les reporters et condamn[é] les violences policières dont ils ont été victimes » tandis qu’ils manifestaient en faveur de la levée des restrictions.

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