« Goûts d’Algérie », la gastronomie des mères algériennes

Fondatrice du restaurant Mama Nissa, Hanane Abdelli est à l’origine d’un livre de recettes pensé avec sa mère, Anissa, également aux fourneaux de sa table parisienne. Un témoignage qui donne ses lettres de noblesse à une cuisine méconnue.

Hanane Abdelli et sa mère, Anissa Abdelli. © Aline Princet

Hanane Abdelli et sa mère, Anissa Abdelli. © Aline Princet

eva sauphie

Publié le 19 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Beaucoup trop grasse et calorique, très riche et copieuse. Pour définir la cuisine du Maghreb, les superlatifs ne manquent pas. Ils traduisent la méconnaissance d’un régime méditerranéen qui ne se résume pas au couscous. Si ce plat est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2020, sa valorisation tardive a failli provoquer un incident diplomatique, différentes nations ayant revendiqué sa paternité.

Conçu par l’Algérie, ce projet a finalement été inséré dans un dossier commun, défendu par plusieurs pays voisins. Une candidature qui témoigne du besoin de reconnaissance de l’Algérie s’agissant de sa gastronomie, encore peu ou mal connue, notamment en France, où la diaspora représente pourtant la première population d’origine étrangère.

Recettes du restaurant Mama Nissa, à Paris, photographiées dans le livre "Goûts d'Algérie". © Aline Princet

Recettes du restaurant Mama Nissa, à Paris, photographiées dans le livre "Goûts d'Algérie". © Aline Princet

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« Notre cuisine n’est pas répandue, confirme la dynamique Hanane Abdelli, gérante de Mama Nissa, l’une des rares tables consacrées à la cuisine algérienne située en plein cœur de Paris. D’abord, sa transmission est orale. On apprend en regardant nos mères et grands-mères cuisiner. Ensuite, l’absence de tourisme en Algérie n’a pas permis son expansion. Enfin, le passé qui lie la France et l’Algérie reste empreint d’épisodes traumatiques, qui ont contribué à ce que notre patrimoine culinaire soit faiblement représenté ».

C’est pour pallier cette lacune que cette Française, née de parents algériens arrivés à Paris dans les années 1980, a écrit un livre de recettes avec sa mère, Anissa, déjà aux fourneaux du restaurant qui porte son nom.

Diversité régionale

Sur la façade de cette jolie cantine aux tons bleu canard, on peut lire : « Spécialités régionales d’Algérie ». Un parti pris assumé par la fondatrice du lieu dès son ouverture, en 2020. « Nous sommes peu de chefs algériens à Paris, et les rares qui existent tiennent des restaurants marocains ou bien misent sur une cuisine méditerranéenne sans faire référence à l’Algérie dans leur menu, car notre cuisine souffre d’un certain nombre de clichés », estime-t-elle. Pas de quoi décourager la pétillante Hanane, qui accueille dans son petit espace élégamment décoré une clientèle aussi métissée que sa cuisine.

Mama Nissa puise sa richesse non dans l’excès d’huile et de sucre – dont la dose a été réduite de 25% dans les excellentes pâtisseries signées Maison Yasmina proposées en dessert –, mais dans la diversité des spécificités régionales. « Des plats du Nord, influencés par les saveurs méditerranéennes, aux recettes du Sud, imprégnées d’authenticité berbère et saharienne, sans oublier la Kabylie, chaque région révèle des trésors gustatifs uniques », peut-on lire dans la préface de Goûts d’Algérie, paru chez Mango le 20 octobre dernier, dans une très belle collection déjà à l’origine de Goûts d’Afrique, du chef Anto. Un voyage culinaire complet, émaillé de récits de personnalités bien connues de la diaspora comme du grand public, tels le journaliste Rachid Arhab, la réalisatrice Lina Soualem, ou encore l’historien Benjamin Stora.

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Légumineuses

Condiments, sauces, pains, soupes, entrées froides et chaudes, plats emblématiques, comme le loubia à la viande de veau ou encore le tajine de petits pois et artichauts… Une cinquantaine de recettes ont été élaborées et normées pour la préparation du livre. « Un proverbe arabe dit que ton œil est ta balance, s’esclaffe Hanane. Ma maman a dû refaire toutes les recettes en évaluant les bons dosages et en estimant les temps de cuisson pour que tout le monde puisse les reproduire », rapporte-elle.

Dans l’assiette, direction Alger avec un couscous, non pas rouge, mais à la sauce blanche ! La semoule (fine et légère) est ici nappée d’un bouillon savoureux à base de bâtons de cannelle infusés, accompagnée de morceaux d’agneau de lait d’Auvergne tendres (et pas gras !), de carottes, de navets et de pois chiches. L’origine des produits est retracée avec soin. « Souvent la clientèle n’ose pas prendre ce plat car elle pense que c’est du mouton. Or, on propose de l’agneau label rouge, beaucoup plus doux. Pareil pour le poulet jaune, qui vient des Landes », détaille Hanane, qui rêve de pouvoir importer des épices d’Algérie (coriandre moulue, ras el-hanout…), mais qui est, pour l’heure, confrontée aux barrières des frontières.

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Des plats in fine équilibrés, qui font la part belle aux légumes. « On réduit souvent la cuisine algérienne à des plats de fêtes. On connaît peu celle du quotidien, qui reste un régime méditerranéen très frugal, avec plein de légumineuses. Par exemple, le couscous kabyle est réalisé à partir de semoule d’orge et de cinq légumes de saison cuits à la vapeur, le tout arrosé d’un trait d’huile d’olive, pas plus. C’est même un plat végan ! », sourit la patronne.

Si le couscous à la semoule de blé reste le plat le plus connu de tous, Hanane a souhaité, dans son restaurant comme dans son livre, mettre l’accent sur la diversité du terroir et la pluralité des techniques. « En Algérie, on travaille d’autres céréales, comme le mil ou le sorgho. Mais aussi plusieurs types de conservations, en fonction des régions. On conservera les piments dans du vinaigre, dans des bocaux, d’autres produits dans le sel, et la viande, en la séchant. La préparation du pain peut également varier. Dans le désert, on le fera cuire dans la terre. L’Algérie est un pays très étendu, notre cuisine l’est donc aussi ».

Poissons marinés, salades (de la traditionnelle chouchouka à la salade de carottes au carvi – une épice proche du cumin, au parfum légèrement anisé), spécialités à base de légumes crus et cuits, et, côté dessert, basboussa – un gâteau à la semoule arrosée de sirop d’orange, à la fois fondant et réconfortant… Autant de saveurs de l’Algérie à découvrir à la table de Mama Nissa ou, pour les marmitons, à concocter à la maison.

Goûts d’Algérie, de Hanane et Anissa Abdelli, et d’Aline Princet – Mango Éditions, 31,95 euros, 208 pages

Hanane Abdelli et sa mère, Anissa Abdelli. © Aline Princet

Hanane Abdelli et sa mère, Anissa Abdelli. © Aline Princet

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