Rafiki Fariala : « Les ministres sont partis au bout de quinze minutes. Le lendemain, mon film a été censuré »

Avec « Nous, étudiants ! » le jeune réalisateur dépeint les galères d’une bande d’amis, étudiants à l’université de Bangui, et écorne sérieusement l’image de l’institution, pièce maîtresse de l’éducation du pays. Un point de vue que les représentants du gouvernement n’ont visiblement pas apprécié.

Nous, étudiants ! de Rafiki Fariala © MAKONGO FILMS/UNITÉ/KIRIPIFILMS

Nous, étudiants ! de Rafiki Fariala © MAKONGO FILMS/UNITÉ/KIRIPIFILMS

Capture d’écran 2020-05-27 à 15.07.30

Publié le 16 novembre 2023 Lecture : 5 minutes.

Aaron, Nestor, Benjamin et Rafiki sont étudiants en économie à l’université de Bangui. Dans la seule faculté de la République centrafricaine, les bâtiments sont vétustes, les salles bondées, les notes trafiquées, les professeurs exercent un droit de cuissage sur les étudiantes… Les jeunes doivent doivent affronter mille problèmes quotidiens et inventer autant de stratagèmes pour les surmonter.

C’est ce formidable élan que Rafiki Fariala filme dans son documentaire Nous, étudiants ! Après le court-métrage Mbi na Mo (« Toi et moi »), le réalisateur né en 1997 à Uvira, en République démocratique du Congo, explore de façon touchante et sans complaisance les hauts et les bas de cette amitié confrontée aux vicissitudes de l’adolescence et au plafond de verre de la société centrafricaine.

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Rafiki Fariala a dû affronter une dernière épreuve après le tournage de son film, sa censure par le gouvernement centrafricain. Mais il a su rebondir en exportant son talent : son film a été sélectionné à la Berlinale 2022 et il a été lauréat de multiples prix à Paris, Milan, Lisbonne, Tarifa…

Jeune Afrique : Pouvez-vous nous résumer votre itinéraire jusqu’à Nous, étudiants ! ?

Rafiki Fariala : J’ai commencé mon parcours scolaire à l’école catholique et, à l’âge de 10 ans, je voulais devenir prêtre. J’ai fait cinq ans de séminaire, mais j’ai arrêté pour poursuivre mes études jusqu’à l’université de Bangui, où se déroule mon documentaire. Parallèlement, je me suis lancé dans la chanson sous le nom d’artiste Rafiki RH2O en 2013, avec des titres comme Pourquoi la guerre ?, Je suis élève… En 2017, j’ai découvert la formation des ateliers Varan, organisée par Boris Lojkine, un réalisateur français. Mon dossier a été l’un des dix retenus parmi 170 candidatures. Le premier jour, on m’a donné une caméra et j’ai essayé de reproduire les mouvements de mes réalisateurs de clips. Mon formateur a vu le résultat et m’a dit que je filmais comme un cochon ! En sept semaines, j’ai appris la technique et j’ai réalisé mon premier court Mbi na Mo (« Toi et moi »), que j’ai présenté au Fipadoc, le Festival international du film documentaire, puis dans de multiples festivals.

Quand vous êtes-vous décidé à tourner Nous, étudiants ! ?

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Quand j’ai fini la formation des ateliers Varan en 2018, j’étais encore étudiant en fac de sciences économiques. Au départ, j’avais envie de dénoncer tous les problèmes que je constatais. Il n’y a qu’une seule université en République centrafricaine, pays de 623 000 km2. Lors de ma première année, nous étions plus de mille dans la même salle, il fallait se réveiller à 2 heures du matin pour avoir de la place et à 5 heures, c’était déjà plein ! Les bâtiments sont vétustes, les plafonds s’effondrent, la façade extérieure est juste repeinte pour le défilé de la fête nationale. Comme il n’y a pas assez d’électricité, certains élèves vont réviser le soir sous des lampadaires en bord de route. Les professeurs sont mal payés, beaucoup partent dans le privé ou à l’étranger pour enseigner dans de bonnes conditions. Les enfants de riches s’exilent aussi pour les mêmes raisons.

Parmi les problèmes, les rapports entre professeurs et étudiantes. Pouvez-vous nous en parler ?

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Les étudiantes sont convoitées par les professeurs. Ceux-ci nous demandent de ramener nos copines au lycée. Il suffit qu’un étudiant s’intéresse à une étudiante qui a les faveurs d’un professeur et il se retrouve puni, ses notes sont baissées et il peut se retrouver coincé cinq ans dans la même classe.

Pourquoi avoir choisi de filmer votre bande d’amis, Aaron, Nestor et Benjamin ?

J’ai tourné mon film en trois ans. La première année, j’ai filmé des manifestations, les conditions déplorables dans lesquelles se déroulent les cours… Puis, je me suis dit que je ne voulais pas réaliser un film seulement pour dénoncer. La deuxième année, j’ai réorienté le sujet sur l’amitié.

L’un de vos amis, Nestor, se demande dans une scène si vous le filmez en tant qu’ami ou en tant que personnage du film. Est-ce une question que vous vous êtes posée ?

Je l’ai entendu prononcer cette remarque plusieurs fois et quand je braquais la caméra, il refusait de s’exprimer. J’ai dû beaucoup insister pour qu’il accepte. Le tournage a duré trois ans, à une époque où je voyageais beaucoup pour présenter mon premier court métrage. Beaucoup d’étudiants disaient : « Tu viens prendre des images pour aller t’enrichir. » Une forme de jalousie s’est développée. Mais on a pu s’expliquer et notre relation s’est apaisée. Chaque fois que je revois le film, cette scène me fait mal. Je me suis demandé si je devais couper la caméra ou l’enlever pendant le montage. Je l’ai gardée car les difficultés font aussi partie de l’amitié.

La chanson qui ouvre le film parle du conflit de générations et le film l’évoque aussi. Les vieux ne laissent pas le place aux jeunes en Centrafrique ?

C’est une triste réalité que subissent les étudiants à l’université de Bangui. L’idée n’est pas de demander aux vieux de partir, c’est d’attirer leur attention sur le fait que les jeunes doivent aussi avoir leur place. Les anciens ne veulent pas former les jeunes pour les aider à entrer dans la fonction publique ou dans l’entreprise. Il faut accompagner la jeunesse pour qu’elle puisse devenir le pilier de la Centrafrique de demain

Comment votre film a-t-il été reçu en République centrafricaine ?

Lors de la première à Bangui à l’occasion du festival afro-européen organisé par la représentation de l’Union européenne en Centrafrique, tous les partenaires étaient invités, y compris des membres du gouvernement. Les ministres sont partis au bout de quinze minutes de projection. Le lendemain, j’ai été convoqué et le film a été censuré sur tout le territoire. C’est devenu une affaire politique qui a dépassé ma propre personne. Nous, étudiants ! n’a pas été projeté depuis son interdiction dans le pays, alors qu’il avait été très bien reçu par les étudiants présents lors de cette première. Et beaucoup de jeunes l’ont vu en Afrique de l’Ouest et l’ont apprécié. Je n’ai eu que des retours positifs d’étudiants qui reconnaissent leur réalité quotidienne au Sénégal, au Congo, au Cameroun…

Est-ce que cette censure vous a affecté ?

Je reste positif. J’ai réalisé mon film en tant qu’artiste libre, je ne voulais pas faire de politique. Je veux continuer le cinéma et tant pis si le résultat déplaît à certains. Je veux contribuer au développement du cinéma en Centrafrique.

Nous, étudiants ! de Rafiki Fariala, documentaire, sortie dans les salles françaises le 15 novembre 2023.

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